Google serait-elle au bénéfice de la liberté d’expression et de la liberté du commerce ?

La meilleure façon d’arrêter le message est-elle d’arrêter le messager ? Certainement pas à la lecture des conclusions de l’Avocat Général déposées devant la CJCE à propos des conflits opposants Google et les titulaires de marques.

« La liberté d'expression et la liberté du commerce » sont en jeu dans les questions préjudicielles posées par la Cour de Cassation en juin 2008 à la CJCE (affaires C‑236/08, C‑237/08 et C‑238/08) à propos du système AdWords de la société Google, selon les conclusions de l'Avocat Général du 22 septembre 2009.

 

L'intérêt pour les acteurs de l'e-commerce de ces trois affaires opposant la société Google aux sociétés avait déjà été souligné (notre article sur le Journal du Net « Quelles stratégies juridiques pour les acteurs de l'e-pub ? » ), Rappelons simplement que la Cour de Cassation avait interrogé la CJCE sur l'application de la Directive 89/104 qui a unifié les règles applicables aux marques nationales, du Règlement 40/94 sur la marque communautaire, et sur la Directive 2000/31 traitant de la responsabilité spécifique de l'hébergeur. Depuis juin 2008, d'autres juridictions ont également interrogé la CJCE pour l'application de ces mêmes textes à l'encontre des activités de la société américaine.

 

Si le régime de la  responsabilité atténuée de l'article 14 est écarté pour le dispostif AdWords, mais l'Avocat Général relativise, lui -même, son analyse en relevant que la question de la sanction est de la compétence du juge national, ses conclusions portent essentiellement sur l'emploi des signes qui constituent des marques et les actions des titulaires de marques.

 

Au-delà de sa conclusion finale qui écarte l'atteinte aux marques selon les questions posées par la Cour de Cassation, ce sont les principes invoqués et leur articulation qui méritent d'être relevés.

 

A propos des différents régimes de protection de la marque, l'Avocat Général les considère comme « liés à la promotion de l'innovation et de l'investissement » et que la liberté d'expression et la liberté du commerce  « sont particulièrement importantes dans ce contexte, car la promotion de l'innovation et de l'investissement suppose aussi la concurrence et le libre accès aux idées, mots et signes ».

 

Et d'expliquer à propos des marques : «  C'est pourquoi les droits de marque, bien que liés aux intérêts du titulaire de la marque, ne peuvent pas s'interpréter comme des droits de propriété classiques, permettant au titulaire d'exclure tout autre usage. La transformation de certains signes ou expressions -par nature publics - en biens privés est le résultat de règles de droit, et se limite aux intérêts légitimes que le droit juge dignes de protection. C'est pour cette raison que seuls certains usages peuvent être interdits par le titulaire de la marque, tandis que plusieurs autres doivent être acceptés ».

 

C'est bien un droit général à l'information que l'Avocat Général revendique pour l'internaute :  «  l'accès des internautes aux informations relatives à la marque ne devrait pas être limité par le titulaire de la marque, ni limité à celui-ci. Cette affirmation ne vaut pas seulement pour les moteurs de recherche tels que celui de Google; en revendiquant le droit d'exercer un contrôle sur les mots clefs correspondant aux marques dans les systèmes de publicité tels qu'AdWords, les titulaires des marques pourraient de facto empêcher les utilisateurs d'Internet de voir les annonces de tiers qui correspondent à des activités parfaitement légitimes liées aux marques. Cela concernerait, par exemple, les sites consacrés aux critiques de produits, comparaisons de prix, ou ventes de produits d'occasion ».

 

Et l'Avocat Général pour appuyer sa demande à voir reconnaître par la CJCE un droit général à l'information, de citer différentes décisions de celle-ci qui n'ont pas sanctionné l'usage d'un signe à des fins purement descriptives, ou l'utilisation d'une marque pour décrire les propriétés de produits ou services, si l'origine des produits ou services en cause est clairement indiquée,  ou encore sur la publicité comparative.

 

Arrêtons nous aussi sur la démarche de l'Avocat Général pour faire bénéficier de ce droit à l'information le dispositif AdWords. Ce dispositif est qualifié d'outil, comme d'ailleurs le moteur de recherche de Google,  ils fournissent une aide pour trier les résultats en les classant en fonction de leur pertinence par rapport aux mots clefs utilisés.

 

Les ayant qualifiés d'outils, l'Avocat Général examine comment ils sont employés au regard des problématiques du droit des marques.

 

- Du côté de l'internaute, ses conclusions exposent qu' « il  se peut que les internautes s'attendent, en raison de l'idée qu'ils se font de la qualité du moteur de recherche utilisé, à ce que les résultats les plus pertinents incluent le site du titulaire de la marque ou le site autre qu'ils recherchent. Cependant, il ne s'agit que d'une attente. La confirmation n'arrive que lorsque le lien vers le site apparaît, une fois que sa description est lue, et qu'il y a eu clic sur le lien. Souvent, l'attente sera déçue, et les internautes reviendront en arrière et essaieront le résultat pertinent suivant » pour conclure que « Les utilisateurs d'Internet ne décident de l'origine des produits ou services offerts sur les sites qu'en lisant la description et, finalement, en quittant Google pour se rendre sur ces sites ». 

 

- Pour l'annonceur, le dispositif Google n'est là aussi qu'un simple outil : « Lorsqu'ils recourent à AdWords, les annonceurs essaient en réalité de faire bénéficier leurs annonces de la même attente quant à la pertinence vis-à-vis de la recherche - raison pour laquelle celles-ci sont affichées à côté des résultats naturels les plus pertinents ».

 

Et d'apprécier que « les internautes n'évalueront l'origine des produits ou services objets de la publicité qu'au vu du contenu des annonces et en visitant les sites objets de la publicité; ils ne porteront pas de jugement en se fondant uniquement sur le fait que les annonces sont affichées en réponse aux mots clefs correspondant aux marques ».

 

Cependant si l'Avocat Général relève que « le risque de confusion réside dans l'annonce et dans le site objet de la publicité », il précise bien que la Cour n'ait pas saisi de l'emploi par les tiers des AdWords mais uniquement  « sur l'usage par Google de mots clefs correspondant à des marques ». 

 

Rangée dans la rubrique « outils », Google devient pour l'Avocat Général « moins intrusive à l'égard des intérêts des titulaires de marques que les usages purement descriptifs ou la publicité comparative », ce qui la placerait sous le bénéfice des décisions antérieures de la CJCE, le conditionnel est néanmoins de rigueur dans l'attente de la décision finale de la juridiction communautaire.