Les nouvelles extensions, trop méconnues

Qui a tout suivi et bien compris ? Certes, les professionnels du nommage sur Internet et les habitués de l'ICANN perçoivent bien les avantages potentiels de nouvelles extensions type .PARIS… Mais ce n'est pas toujours le cas de la plupart des utilisateurs non initiés.

C'est encore tout chaud : la semaine dernière, dans le cadre d'un congrès international sur l'Internet et les nouvelles technologies, à Cologne, en Allemagne,  nous avons discuté pendant toute une matinée entre professionnels et institutionnels sur  le sujet des nouvelles extensions. C'était l'occasion de mieux comprendre comment est perçu ce développement majeur, qui  pourrait profondément modifier notre façon de naviguer et même d'utiliser le Web dans les années à venir.
 
Invité à ce congrès pour parler du projet .PARIS (pour lequel Indom conseille la ville de Paris), j'ai ensuite participé à une table ronde sur les nouvelles extensions, aux côtés de l'un des responsables allemands du spécialiste de la revente de noms de domaine Sedo, d'un représentant du gestionnaire du .COM (Verisign), d'un registrar luxembourgeois, du promoteur du .KÖLN (l'extension de la ville de Cologne) et d'un représentant de l'association des régions allemandes (Landkreistag).
 
Pour résumer, il y avait donc un panel de spécialistes et... un profane. Parlant au nom des gouvernements locaux de la région de Cologne, ce dernier a justement fait part de son inquiétude face à l'arrivée d'un .KÖLN. Comment utiliserait-on cette nouvelle extension ? Qui en serait responsable ? "Si vous parlez des nouvelles extensions à quelqu'un dans la rue, personne ne saura de quoi il s'agit," a-t-il affirmé. "Alors à quelle demande correspond ce projet ?"
 
Qui attendait Google avant son lancement ? 
Voici un argument qui revient souvent dans la bouche de ceux qui redoutent un changement de leurs habitudes d'Internautes. Pourquoi changer, puisqu'il existe déjà des extensions Internet ? La réponse d'un des membres du panel m'a semblé particulièrement pertinente : "Comment les Internautes vont-ils utiliser ces nouvelles extensions ? Je pense que ce n'est même pas notre problème !"
 
Ce que nous ne comprenons ou ne connaissons pas nous fait souvent peur. Une réaction tout à fait naturelle, qui explique que, souvent, lorsqu'un nouveau projet est envisagé, il suscite des réactions de méfiance. Il en est ainsi du programme de création des nouvelles extensions sur lequel travaille actuellement l'ICANN, le régulateur du nommage sur Internet au niveau mondial.
 
Pour autant, l'innovation doit-elle dépendre uniquement des seules attentes exprimées ? Avant Google, personne n'avait envisagé avoir besoin d'un moteur de recherche qui fasse aussi office de webmail, de système d'exploitation alternatif ou encore de bibliothèque universelle. Heureusement, Sergei Brin et Larry Page n'ont pas attendu de mener des enquêtes de consommateurs pour oser se lancer. Pas plus que Marc Zuckerberg, qui n'imaginait certainement pas que son système de mise en contact pour étudiants deviendrait le phénomène Facebook. Ni Jack Dorsey, Biz Stone et Evan Williams, les trois compères de Twitter, à qui on aurait certainement répondu que vouloir restreindre les gens à 140 caractères était de la pure folie.
 
Attendre de répondre à une demande exprimée pour innover, c'est forcément se limiter. Rappelez-vous la célèbre phrase de Henri Ford : "si j'avais demandé à mes clients ce qu'ils voulaient avant de construire ma première voiture, ils m'auraient fait fabriquer un cheval plus performant."
 
Impératif d'explication 
Le programme de création des nouvelles extensions de l'ICANN est basé sur une philosophie d'innovation, comme l'explique le régulateur sur son site : "Depuis la création de l'ICANN il y a 10 ans, l'un de ses principes fondateurs a toujours été de développer la libre concurrence sur le marché des noms de domaine, tout en maintenant et en garantissant la stabilité et la sécurité du système. L'expansion des extensions génériques de premier niveau (gTLDs) va favoriser l'innovation, donner plus de choix aux consommateurs, et faire évoluer le système d'adressage de l'Internet qui repose actuellement sur 21 gTLDs."
 
L'ICANN a de grandes ambitions et ose remettre en cause les acquis de l'Internet. En effet, pourquoi se reposer uniquement sur quelques extensions génériques comme le .COM ou le .INFO ? Pourquoi ce premier niveau de l'Internet, celui des extensions, serait-il uniquement réservé à quelques gestionnaires spécialisés ? Pourquoi ne pas permettre à d'autres acteurs représentatifs - entrepreneurs, sociétés, associations, causes humanitaires, ONG, régions, villes, et bien d'autres - d'opérer sa propre extension et ainsi de mieux "capter" et servir  son public sur Internet ? Et pourquoi ne pas donner aux Internautes la possibilité de bénéficier d'une navigation plus ciblée, plus proche de ses attentes, offrant des garanties de provenance et correspondant mieux à ses envies ?
 
Se poser ces types de questions, c'est bien. Mais les expliquer, c'est mieux. Comme le sait tout bon comique, la blague la plus drôle ne vaut rien si ceux à qui on la raconte ne la comprennent pas.
 
Premiers arrivés, mieux servis 
Or, justement, le programme de création des nouvelles extensions reste un ésotérisme. Véritable délit d'initié du nommage sur Internet, il n'est actuellement compris que de ceux qui sont au centre de cette industrie. Eux perçoivent les avantages - techniques, commerciaux ou encore juridiques - d'un système de nommage plus précis et plus riche.
 
Ils seront donc les premiers arrivés sur cette innovation, et en repartiront les premiers servis. Un peu comme le .COM à la fin du siècle dernier. Les rares personnes à en avoir alors compris le plein potentiel sont aujourd'hui ceux qui réalisent des opérations de revente de noms à plusieurs millions de dollars, ou qui exploitent des noms intuitifs pour mettre en avant des services dynamiques sur Internet, ou qui sont plus proches de leurs publics parce qu'ils ont pu réserver à temps (comprenez alors qu'il était encore disponible) le bon terme pour être compris de ceux à qui ils s'adressent.
 
Pour éviter les incompréhensions que j'ai rencontrées la semaine dernière en Allemagne, les entraves au développement de cette innovation indéniable que sont les nouvelles extensions, l'ICANN et les acteurs du nommage sur Internet doivent bien mieux communiquer.
 
L'ICANN a certes prévu d'engager des actions de communication planétaires autour de son projet. Mais pour l'instant, hormis quelques publicités très ciblées dans la presse économique anglo-saxonne, cette campagne n'a pas vraiment commencé. Il ne faudrait pas trop tarder à mettre ce programme en place.

L'ICANN l'a manifestement compris. En publiant le lundi 5 octobre 2009 la dernière mise à jour de son guide pour les candidats aux nouvelles extensions, le régulateur a également mis en ligne un projet pour un plan de communication. Ce plan en plusieurs phases doit permettre d'accompagner le lancement des nouvelles extensions et restera en place une fois le programme lancé. Son budget prévisionnel est de USD 2,7 millions.
 
Ce plan, tout comme les actions de communication "de terrain" pouvant être lancées par les spécialistes du secteur, est primordial. Car à défaut de communiquer et d'expliquer, le louable esprit d'innovation ayant manifestement motivé l'ICANN à démocratiser le premier niveau de l'Internet, pourrait ne pas trouver son public.
 
Et ça, ce serait vraiment une mauvaise blague.