La folie des noms à 1 ou 2 caractères

En matière de noms de domaine, plus c'est court, mieux c'est ! Les noms à 1 ou 2 caractères, très faciles à mémoriser, sont les plus courus du Web. Toutes les extensions veulent en proposer.

Nominet se pose la question depuis des années. Le registre de l'extension nationale britannique doit-il autoriser les noms courts ? "La règle interdisant l'enregistrement des noms de domaine à 2 lettres peut-elle être supprimée ?" demandait dès juin 2001 un comité d'étude des politiques d'enregistrement du gestionnaire du .UK.
A l'époque, les risques à débloquer ces noms semblaient trop importants et Nominet n'avait pas souhaité poursuivre. "Mais depuis, l'environnement a changé," avance le registre dans un rapport daté d'août 2010. Car le comité susmentionné s'est repenché sur la question en 2008. Une consultation publique a même eu lieu.
Ses résultats sont sans appel. Une forte majorité souhaite la libération des noms à 1 et 2 caractères dans les extensions anglaises les plus utilisées, dont le .CO.UK. Par conséquent, le Conseil d'administration de Nominet étudiera en septembre une demande officielle de modification des règles d'enregistrement de l'espace de nommage britannique.
 
Pourquoi avoir interdit les noms cours ?
 
Les anglais ne sont pas les seuls à envisager de libérer les noms courts. Car les extensions sont loin d'être toutes égales face aux noms à 1 ou 2 caractères. Historiquement, les pionniers comme le .COM ou le .NET ne les ont pas forcément interdits. Au contraire de la plupart des extensions nationales et de toutes les nouvelles extensions génériques autorisées par l'Icann (le régulateur du nommage sur Internet) depuis 2000. Pourquoi ? Principalement en raison du risque de confusion entre des noms à 2 caractères et les codes pays utilisés pour les extensions nationales comme le .DE (Allemagne) ou le .EU (Europe).
Afin d'uniformiser les règles pour tous, l'Icann a souhaité étendre ces restrictions au .COM et au .NET. Des accords ont été signés et Verisign, le gestionnaire de ces deux extensions, a donc dû y limiter l'accès aux noms courts. Bien entendu, les noms qui avaient été enregistrés préalablement à la mise en service de ces nouveaux accords, dans les années 2000, n'ont pas été supprimés. Ce qui mène à une situation paradoxale dans laquelle certains noms courts existent en .COM ou en .NET (par exemple x.com, q.com ou q.net), mais la plupart sont interdits.
 
Des règles aujourd'hui désuètes
 
Les règles interdisant les noms courts apparaissent aujourd'hui sans fondement. Elles puisent leurs origines dans un souci historique de protéger l'intégrité technique de l'Internet. Mais il a depuis été amplement démontré que cette intégrité n'est en rien menacée par les noms courts.
Par exemple, quel risque de confusion existe-t-il vraiment entre un nom comme DE.COM et l'extension .DE ? Et s'il faut interdire les noms à 2 caractères sous prétexte qu'ils peuvent induire l'Internaute en erreur par leur similitude avec les codes pays existant, dans ce cas pourquoi ne pas interdire tous les noms de domaine reprenant le terme d'une extension ? Ainsi un .TRAVEL.COM ou un POST.EU ne devraient pas exister, puisque le .TRAVEL et le .POST correspondent à des extensions...
Sans surprise l'Icann a donc accepté de réviser la plupart des contrats de gestion des extensions génériques pour autoriser leurs registres à commercialiser des noms courts. C'est le cas pour les extensions suivantes : INFO, BIZ, MOBI, TRAVEL, NAME, PRO, COOP, CAT et JOBS. Début août 2010, le .TEL a lui aussi soumis une demande.
Ce type de demande témoigne aussi parfois de la faiblesse du business model des extensions concernées. Car pour certaines, les noms courts sont un moyen de relancer une activité commerciale peu dynamique. Leurs gestionnaires espèrent attirer les spéculateurs par le biais de ces noms, par définition rares puisque le nombre de combinaisons disponibles est mathématiquement limité. D'ailleurs, cette rareté pose des problèmes sur certaines extensions. L'Icann a déjà échafaudé plusieurs plans pour libérer complètement les .COM à 1 caractère par exemple, mais aucun ne permettant de garantir une allocation de ces noms équilibrée et sans surenchère, ils ont tous été abandonnés pour l'instant.
Verisign n'a néanmoins pas dit son dernier mot. Il vient de soumettre une demande de libéralisation des noms cours en .NET, qui peut être perçue comme une sorte de test grandeur nature avant d'attaquer le .COM (une hypothèse confirmée par un appel d'offre que Verisign vient de lancer pour trouver un opérateur d'enchères capable de gérer une éventuelle libéralisation des noms courts en .COM).
 
3 phases pour commercialiser des noms courts
 
Sur la plupart des extensions, le programme de commercialisation des noms courts est maintenant rodé. Il se compose de 3 phases.
La première vise à favoriser les projets innovants. Le candidat à un nom court doit soumettre un dossier expliquant ce qu'il veut en faire. Cela permet de garantir une exploitation intelligente du nom demandé et de s'assurer que les meilleurs noms ne sont pas alloués aux plus offrants dans un seul but spéculatif.
La deuxième phase est conçue pour protéger les droits existants, comme les marques.
Les noms non attribués au cours de ces deux premières phases passent dans la troisième. Ils deviennent tout simplement des noms "normaux" et sont proposés à l'enregistrement comme tout autre nom ayant plus de 2 caractères.
Ce mode de commercialisation est celui retenu par le gestionnaire du .TEL, qui vient de soumettre une demande à l'Icann dans l'espoir de proposer des noms courts au dernier trimestre 2010.
Sans surprise, la méthodologie proposée pour le .NET est un peu différente. Probablement en vertu de l'importance de l'extension, son gestionnaire a demandé à l'Icann le droit de vendre tous les noms cours restant à attribuer aux enchères. Celui qui remporte une enchère sur un .NET à 1 ou 2 caractères aurait le droit de l'exploiter pendant 5 ans (et pourrait bien entendu le renouveler ensuite).
Ce système semble très favorable à Verisign, qui pourrait gagner des fortunes sur ces enchères alors que le principe même du monopole accordé à tout gestionnaire d'extension est qu'il commercialise tous les noms à un prix unique, sans discrimination ou traitement spécial. Pour prévenir toute critique, Verisign promet d'investir l'intégralité des bénéfices des enchères dans la promotion du .NET. Bravo, mais comment le vérifier ?
 
Le bon modèle ? 
Compte tenu de l'enjeu et de la visibilité d'un tel dossier, ne vaudrait-il mieux pas adopter le même mode de commercialisation en 3 phases pour le .NET (et par conséquent le .COM) au lieu de viser un mode à une seule phase, celle d'une enchère ? L'Icann donnera sa réponse dans quelques semaines (la demande de Verisign sur le .NET a été soumise à l'Icann le 12 août dernier). Mais le régulateur osera-t-il contrarier les projets de la plus puissante des sociétés de gestion d'extensions Internet ?