ACTA, la preuve que l'enfer reste pavé de bonnes intentions…
ACTA, l’Anti-Counterfeiting Trade Agreement, ou Accord commercial anti-contrefaçon, est signé le 26 janvier par l’Union européenne. Une signature contestée, précédée et suivie de nombreuses manifestations et oppositions. Pourquoi ?
Tokyo, 26 janvier 2012, l’Union européenne ratifie le texte final du traité international de lutte contre le piratage, ACTA. L’Union européenne ? Pas tout à fait : 5 pays sur 27, à savoir l’Allemagne, Chypre, l’Estonie, les Pays-Bas et la Slovaquie ne signent pas.
26
janvier toujours, Kader Arif, rapporteur du traité au
Parlement européen, démissionne en déclarant qu’il ne participera pas “ à cette mascarade”. Les jours
suivants, la Pologne et la République Tchèque, puis la Lettonie et la Roumanie,
reviennent sur leur signature et suspendent le processus de ratification. Mieux
encore, Helena Drnovšek Zorko, l’ambassadrice de Slovénie au Japon s’excuse
dans un blog slovène d’avoir, en signant ce texte, accompli son “devoir professionnel” mais pas son “devoir civique”.
En même temps, en France comme en Europe
(Allemagne, Autriche, Hongrie, Roumanie, Lituanie…), les manifestants bravent
le froid, glacial, pour descendre dans la rue et protester contre ce qu’ils
voient comme une nouvelle atteinte à leur liberté. Les hackers des Anonymous attaquent
les sites de plusieurs organismes gouvernementaux américains.
Le 25
février 2012, une nouvelle mobilisation, mondiale, est
prévue. Un seul mot d’ordre, empêcher l’approbation du traité par le Parlement
européen dont l’avis doit être rendu ce 1er
mars. Pourquoi cette vague grandissante de contestation ?
Coopérer
contre la contrefaçon
À l’origine, il y avait peut-être une bonne
idée lancée par les États-Unis et le Japon en 2006. Elaborer un accord
"commercial" offrant à tout pays intéressé, développé ou émergent, un
cadre juridique commun de “lutte contre
la contrefaçon et le piratage”.
À la clé, une meilleure coopération
internationale et les droits de propriété intellectuelle mieux respectés grâce
à la mise en place de standards internationaux. Pourquoi pas ? Les
chiffres sont alarmants - la contrefaçon pourrait représenter 7 à 10 % du
commerce mondial. Des pourparlers préliminaires s’engagent, auxquels
participent le Canada, la Suisse et l’Union européenne. En juin 2008, alors que
s’ouvrent les négociations, l’Australie, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle-Zélande
se joignent à l’entreprise. Puis, un peu plus tard, la Corée du Sud et Singapour.
Pourtant, des pays comme le Brésil, la Chine et l’Inde ne sont pas à la
table des négociations. Cette absence ne risque-t-elle pas de vider de sa
substance l’idée initiale de bâtir un projet commun ? S’y ajoute l’opacité
des débats dénoncée, dès juin 2008, par l’Electronic
Frontier Foundation, fondation américaine à but non lucratif, qui demande
l’ouverture d’une consultation aux citoyens. Début 2009, la FFII (Foundation for a Free Information Infrastructure) porte
plainte contre le Conseil de l’Union européenne en accusant l’Europe de “bloquer
délibérément l’accès aux documents de l’ACTA” …
En 2010, le Parlement européen adopte à une très large majorité (633
voix contre 13) une résolution obligeant la Commission européenne à "rendre accessibles au public tous les
documents relatifs aux négociations internationales en cours sur l'accord
commercial anti-contrefaçon". Finalement, la première ébauche du
traité est rendue publique le 21 avril 2010. Quant au texte définitif, il
est adopté le 3 décembre 2010.
Indignation
Le contenu du traité ? 52 pages d’un texte qui dresse le cadre
juridique destiné initialement à “empêcher
l'introduction de marchandises qui impliquent une atteinte au droit de
propriété intellectuelle dans les circuits commerciaux” (Art.8, § 1). Il
impose aussi à chaque partie signataire la mise en place de procédures
devant “permettre une action efficace contre tout acte portant atteinte aux
droits de propriété intellectuelle qui se produit dans l'environnement
numérique” (Art.27, § 1), procédures auxquelles les fournisseurs d’accès à
Internet et les hébergeurs de sites devront coopérer (Art.27, § 4).
Les particuliers seront-ils épargnés ? Rien ne le précise. Or,
selon un principe souvent utilisé dans la rédaction des contrats d’assurance, “tout ce qui n’est pas exclu est inclus”. Enfin, une application (ou
interprétation) stricte du texte ferait probablement obstacle à la
commercialisation des médicaments génériques, pour la plupart fabriqués en
Inde : ils pourraient être considérés comme des produits contrefaits… Ce
contenu suscite l’indignation.
“Ce
n’est pas un accord secret”, affirme la Commission européenne qui précise
avoir consulté 13 fois le Parlement européen et répondu à “plusieurs douzaines de questions écrites et orales”. Elle indique
aussi avoir rencontré des organisations non gouvernementales, des universitaires
ainsi que des représentants de partis politiques et de la société civile. Des
industriels aussi. Leur nom n’apparaît pas dans les documents publiés par la
Commission.
Cependant, en mars 2010, un article du Monde
Diplomatique signé par Florent Latrive, révèle que “certaines ébauches du texte ont été remises à des organisations
représentant le cinéma et la musique ou les multinationales pharmaceutiques,
toutes militantes d’un durcissement du copyright et des brevets”.
En mars 2010 encore, Sandrine Bélier,
Eurodéputée d’Europe Écologie, dénonce dans une interview à ReadWriteWeb “un projet loin d’être conforme aux critères
d’acceptation du Parlement européen, notamment dans les domaines de la
protection des données personnelles, du filtrage et blocage du Net…”, et
qui “s’inscrit dans la continuité
d’Hadopi”. En revanche, les instances internationales existantes, dont
l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), l’Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle, concernées au premier chef, ne semblent pas avoir été
consultées.
Et
maintenant ?
Alors, tout reprendre à zéro ? Bâtir un
nouveau projet qui protégerait les droits de propriété intellectuelle tout en
respectant à la fois les droits des citoyens et la neutralité du Net ?
Pourquoi pas ? Impossible à des États de droit de laisser perdurer cette
nouvelle tendance qui consiste, en dehors de toute décision de justice, à
saisir des noms de domaine, à bloquer des sites légaux, et à pénaliser des
milliers d’internautes, comme l’ont montré récemment les opérations "MegaUpload"
et "JotForm", pour ne citer qu’elles…
D’autant que de tels procédés ne servent pas
la cause de la propriété intellectuelle, encore moins celle de l’innovation qui
y est étroitement liée. Tout interdire risquerait de paralyser les entreprises
qui doivent continuellement s’adapter aux besoins d’un marché qui évolue sans
cesse.
Le droit lui aussi doit s’adapter. Des cadres
et des règles existent et fonctionnent. Avec Internet, l’ICANN a montré quel
chemin était possible en permettant à toutes les parties prenantes de
s’exprimer. C’est sur ce fondement démocratique qu’Internet s’est développé et
que plus de 2 milliards d’internautes l’utilisent aujourd’hui.
Comme vient de le résumer Viviane Reding, Vice
Présidente de la Commission européenne : “La liberté d'information et les
droits de propriété intellectuelle ne doivent pas être ennemis, ils devraient
être partenaires ! ”
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Liens utiles
:
* Le Traité : http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/11/st12/st12196.fr11.pdf
* Document de la Commission européenne sur
les circonstances dans lesquelles les négociations se sont déroulées : http://ec.europa.eu/trade/creating-opportunities/trade-topics/intellectual-property/anti-counterfeiting/
* Résolution
du Parlement européen sur la transparence et l'état d'avancement des
négociations ACTA : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=P7-RC-2010-0154&language=FR