Zlatan Ibrahimovic, un drôle de chantage au nom de domaine ?
Nicolas N., un internaute malicieux, a réservé zlatan.fr. Il en a ensuite fait un site sur lequel il lance des défis à l'attaquant vedette du PSG, pour lui permettre de récupérer son nom de domaine. Une "bonne blague" qui illustre le besoin de faire progresser le système de nommage sur Internet.
* "M'offrir un maillot du PSG dédicacé, avec la mention
'après Zlatan, c'est vraiment toi le meilleur'".
* "Remporter une séance de tirs au but contre moi, au
Parc des Princes, pour que tu sois à domicile et que tu ne puisses pas avoir d'excuse
au cas où je gagnerais."
* "Me demander de te céder le domaine tout simplement…
mais de visu et, clin d'œil à notre cher Guillaume, en français
évidemment."
Quelques exemples des 12 défis lancés par l'actuel
propriétaire de zlatan.fr au
footballer du Paris St Germain. Le ton est donné. Celui de la bonne blague face
à un Ibrahimovic, certes dieu du ballon rond, mais incontestablement dépassé
par Nicolas N. au niveau Internet et noms de domaine.
Le Nicolas N. en question revendique d'ailleurs le côté
taquinerie. "J'ai d'abord contacté le PSG pour essayer de leur vendre mais
ils n'ont pas donné suite," explique le propriétaire de zlatan.fr, cité
par Métro et décrit comme étant au chômage depuis quelques mois. "Si je
prends une baffe en direct sur beIN Sport ou s'il vient squatter quelques temps
chez moi, je serai content," ajoute-t-il, faisant référence à deux autres de
ses défis.
Au-delà du fait divers dont les médias généralistes (français et anglais
ont fait gorges chaudes ces derniers jours, l'acte d'enregistrer sciemment un
nom de domaine visant l'identité d'un tiers est-il si bon esprit que ça ? On
peut en douter.
Le précédent milka.fr
Il ne paraît pas admissible que, parce qu'ils ont une
meilleure connaissance du nommage sur Internet, certains se permettent
d'usurper ou de s'approprier le patronyme d'autres gens. C'est donc peut-être
le système lui-même qui devrait protéger les victimes.
Et dans cette affaire zlatan.fr, c'est à la fois Nicolas N.
et Zlatan Ibrahimovic qui peuvent être considérés comme victimes. Le
footballeur, publiquement pris à partie et privé de contrôle sur un nom de
domaine reprenant sans équivoque son prénom, est bien entendu lésé. Mais
l'Internaute aussi, car sa méconnaissance des risques encourus par son action
pourrait lui coûter cher si Ibrahimovic ne voit pas le côté humoristique de
zlatan.fr et se tourne vers la justice.
Dans ce cas, peu de chance de voir le côté David contre
Goliath de l'histoire émouvoir un tribunal. D'autres ont déjà opposé le
patronyme au droit sans succès. On se souvient notamment de l'affaire milka.fr,
dans laquelle Milka Budimir, une couturière vivant en France, avait réservé le
nom milka.fr.
La société Kraft Foods, détentrice de la marque Milka, avait
récupéré ce nom de domaine devant les tribunaux. Un exercice du droit aussi
logique que limpide, que seul l'avocat de Mme Budimir avait à l'époque (2005)
feint avec une fausse naïveté de trouver injuste, déplorant que "le droit
des marques l'emporte sur le droit de la personne".
Améliorer le système
L'avocat ne pouvait ignorer l'issue probable du procès. Mais
Milka Budimir ou Nicolas N. pouvaient légitimement ne pas percevoir la portée
de l'enregistrement par eux de noms comme milka.fr et zlatan.fr. Même si les
deux cas sont très différents. Car zlatan.fr vise manifestement Ibrahimovic et
n'est pas le prénom du propriétaire du domaine alors que milka.fr, dont le site
reprenait certes les codes couleurs de la marque Milka, ne visait pas Kraft de
manière aussi explicite et mais reprenait en revanche le prénom usuel de sa
détentrice initiale.
Pour permettre aux grandes marques, au titulaires de droits,
aux gens connus qu'ils soient sportifs, musiciens ou acteurs… comme aux
internautes ayant un jour la "bonne idée" de réserver un nom célèbre
sur Internet, et éviter à tous ces acteurs de se sentir lésés, se sont les
fonctionnements même du nommage sur Internet qui doivent progresser.
Pour le moment, ce n'est pas le cas. Pourtant, avec un
Internet qui prend de plus en plus de place dans nos vies et un espace de
nommage appelé à considérablement évoluer sur les deux ou trois années à venir,
cette progression s'impose.
Ainsi, lorsqu'on a le sentiment de s'être fait dérobé son
nom sur Internet, ne faudrait-il pas pouvoir facilement identifier le fautif ?
Certes chaque propriétaire d'un nom de domaine est en théorie enregistré dans
une base de données appelée WHOIS (la contraction des mots anglais "who"
et "is" signifiants "qui" "est"), mais celle-ci
ne propose pas le même niveau d'informations en fonction de l'extension
concernée.
Sur le .FR par exemple, l'opérateur de l'extension permet à
ceux qui enregistrent des noms de se déclarer comme étant des particuliers. Leurs
données WHOIS sont ainsi masquées. Mais aucune vérification n'est faite sur la
véracité du statut de particulier du déposant. Sociétés, cybersquatteurs
(surnom donné à ceux qui usurpent les droits de tiers par le biais de noms de
domaine) et réels particuliers se côtoient donc en toute impunité sur le WHOIS
du .FR, qui bien souvent (c'est le cas de zlatan.fr, enregistré en WHOIS
masqué) ne donne pas d'autres informations sur le détenteur d'un nom que la
seule mention "diffusion restreintes, données non publiques."
Le WHOIS est un des grands chantiers 2013 de l'ICANN, le
régulateur mondial du nommage sur Internet. Mais l'ICANN n'a de pouvoir
contractuel que sur les extensions génériques comme le .COM. Les extensions
nationales, comme le .FR, échappent à son contrôle direct. L'organisme ne
pourra donc que suggérer des lignes de bonne conduite aux opérateurs
d'extensions nationales, en espérant que ces derniers comprendront l'avantage
pour les utilisateurs d'un système WHOIS unifié au niveau mondial et protecteur
des Internautes avant tout.
Grands chantiers
Cela étant, le seul dossier des extensions génériques est
déjà très important. Il constitue d'ailleurs LE grand chantier puisque plus de
1 000 nouvelles extensions de ce type devraient commencer à apparaître sur
Internet dès cette année. D'un .ALSACE pour la région éponyme à un .FITNESS ou
un .MOBILE, ces nouvelles extensions promettent l'ouverture de nouveaux espaces
de nommage thématiques.
Une perspective qui effraie plus d'un détenteur de marque ou
de droit. Nationales et génériques cumulées, l'Internet actuel compte moins de
300 extensions. Or il est déjà difficile pour un Zlatan Ibrahimovic de savoir
comment se protéger. Si le nombre d'extensions explose, comment nous protéger
tous ?
En guise de première réponse, le programme des nouvelles
extensions comprend des mesures de protection accrue pour les détenteurs de
droit. Dans le même esprit, l'ICANN a renforcé les obligations contractuelles
pour les opérateurs d'extensions.
Alors oui, le "coup" zlatan.fr est sans doute à
prendre à la rigolade. Du moment que la blague permet aussi de comprendre le
besoin, pour l'ensemble des acteurs du nommage sur Internet, de se montrer toujours
plus vigilants et réactifs face aux risques encourus par les utilisateurs du
Net.
Sinon, ce qui arrive aujourd'hui à Ibrahimovic sur le .FR pourrait
nous arriver à tous demain. Et ce dans des extensions aussi obscures qu'un
.WOW, un .MOM (deux vrais dossiers, demandés à l'ICANN par Google) ou même
d'autres en caractères chinois, arabes ou cyrilliques, qu'on ne saura même pas déchiffrer.
Alors, toujours envie de rire ?