Vers une remise en cause de la gratuité des demandes en ligne de remboursement des taxes aéroportuaires ?

La loi relative à la consommation du 17 mars 2014 dite loi « Hamon » a créé, entre autres, à l’article L. 113-8 du Code de la consommation, une procédure en ligne gratuite de demande de remboursement des taxes et redevances aéroportuaires. Toutefois, cette disposition spécifique au secteur en ligne pourrait ne pas trouver à s’appliquer, pour défaut de notification préalable à la Commission Européenne.

La procédure de notification à la Commission Européenne

Il s’agit d’une procédure issue de la directive 83/189/CEE du 28 mars 1983 mise en place dans le but de contraindre les Etats membres à notifier à la Commission Européenne, au stade de préparation du texte, les mesures nationales contenant des règles techniques obligatoires, afin d’apprécier leur conformité au droit communautaire. Ce dispositif a ensuite été repris dans la directive 98/34/CE du 22 juin 1998 et étendu aux services de la société de l’information par la directive 98/48/CE du 20 juillet 1998. Au niveau national, c’est une circulaire du 22 novembre 2011 qui encadre l’application de ces dispositions.

Cette notification permet l’instauration d’échanges entre l’Etat membre, la Commission mais aussi les autres Etats membres. Dans les trois mois suivant ladite notification, la Commission ou les autres Etats membres peuvent émettre des commentaires intermédiaires, des observations ou des avis circonstanciés. Dans ce dernier cas, l’adoption du projet de texte relatif aux services de la société de l’information est reportée d’un mois supplémentaire, pour permettre la prise en compte d’éventuelles modifications du texte.

Il apparaît que la loi Hamon n’a pas fait l’objet d’une telle notification. Or, au moins une de ses dispositions semblait y être éligible : l’article 6 créant le nouvel article L. 113-8 du Code de la consommation.

Les activités en ligne des compagnies aériennes et des agences de voyages pénalisées par le jeu de l’article L. 113-8 du Code de la consommation

Ce nouvel article L. 113-8 prévoit que les transporteurs aériens et les personnes physiques ou morales commercialisant des titres de transport peuvent désormais se voir demander, notamment par une demande en ligne, de rembourser les taxes et redevances individualisées et affichées comme telles dans le prix du titre de transport qu’ils ont vendu, dont l’exigibilité découle de l’embarquement effectif du client, lorsque le titre n’est plus valide et n’a pas donné lieu à transport. Le remboursement peut être facturé pour un montant n’excédant pas 20% du montant remboursé. Toutefois, ledit remboursement doit être effectué à titre gratuit lorsque la demande est déposée en ligne par le client. L’article L. 113-9 indique que « tout manquement à l’article L. 113-8 est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3.000€ pour une personne physique et 15.000€ pour une personne morale ».

Ainsi, pour un même service, celui-ci pourra être facturé ou non au client, selon le moyen de communication (mail ou courrier, téléphone) que ce dernier choisit. Pourtant, quel que soit le moyen utilisé pour demander le remboursement, le service rendu et les moyens employés par les compagnies aériennes ou les agences de voyages pour satisfaire à ladite demande restent les mêmes. On comprend donc mal la logique qui sous-tend ce système foncièrement discriminant pour les acteurs du tourisme en ligne.

L’éligibilité de l’article L. 113-8 du Code de la consommation à la notification 98/48

La directive 98/48 sur les notifications à la Commission Européenne vise les mesures et règles techniques applicables spécifiquement aux services de la société de l’information.

Cette règle technique se définit comme « une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services […] dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour […] la prestation de service […]. Constituent notamment des règles techniques de facto : les dispositions législatives, réglementaires ou administratives d’un Etat membre qui renvoient […] à des règles relatives aux services […] » (Article 1 11)). Une règle relative aux services se comprend comme « une exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services […] et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services […] » (Article 1 5)). Le service de demande en ligne de remboursement sans frais prévu par l’article L. 113-8 est bien une règle portant sur l’exercice des activités de services et concerne le service et le prestataire de services, qui se voit dans l’obligation d’instaurer la procédure en ligne prévue et qui ne peut facturer une quelconque somme pour ledit service de remboursement en ligne, lié au service initial de vente de titres de transport.

Dans un deuxième temps,  cette règle doit concerner un service de la société de l’information, que l’article 1 2) définit comme une prestation fournie « normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services ». Cette définition est d’ailleurs reprise dans la directive 2000/31 sur le commerce électronique. La jurisprudence européenne a eu l’occasion d’affiner et d’élargir cette définition et a rapproché la notion de rémunération de celle de contrepartie économique (service fourni par un prestataire engagé dans des activités rémunérées et financé par des fonds privés - arrêts Humbel du 27.09.1988 et Wirth du 7.12.1993) mais l’a également dissociée du paiement de la prestation par la personne qui en bénéficie (arrêt Bond Van Adverteerders du 26.04.1988). Ainsi et au regard de cette définition, le service prévu à l’article L. 113-8 du Code de la consommation peut s’analyser comme un service de la société de l’information, en ce qu’il est fourni en retour d’une contrepartie économique (prestation générale de fourniture de titres de transport), par voie électronique et à la demande individuelle du consommateur, destinataire de ce service.

Enfin, la règle doit viser spécifiquement les services de la société de l’information. Une règle est considérée comme telle « lorsque, au regard de sa motivation et du texte de son dispositif, elle a pour finalité et pour objet spécifiques, dans sa totalité ou dans certaines dispositions ponctuelles, de réglementer de manière explicite et ciblée ces services. Une règle n’est pas considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l’information si elle ne concerne ces services que d’une manière implicite ou incidente » (Article 1 5)). Cette nouvelle disposition mettant en place une procédure de demande de remboursement en ligne, on peut légitimement conclure qu’elle vise spécifiquement les services de la société de l’information et en particulier les acteurs du tourisme en ligne.

Cette nouvelle règle instaurée par la loi Hamon aurait ainsi dû être notifiée à la Commission Européenne au stade du projet de loi et ce défaut de notification n’est pas sans conséquences sur son application.

L’inopposabilité du nouveau dispositif de l’article L. 113-8 du Code de la consommation

Le défaut de notification d’un projet de texte entrant dans le champ de la directive entraîne, outre l’ouverture d’une possible action en manquement à l’encontre de l’Etat, l’inopposabilité dudit texte aux tiers (CJCE, 30 avril 1996, CIA Security International et dans le même sens : Commission Européenne, communication 86/C 245/05) en ce que le texte en cause entrave l’exercice des libertés économiques européennes (CJCE, 16.06.1998, Lemmens).

Par ailleurs, certains textes peuvent également faire l’objet d’une annulation par la juridiction administrative, pour irrégularité de procédure (ex. CE, 30.03.2011, SFEPA et autres ; CE, 10.06.2013, AFNIC).

Les conséquences attachées au défaut de notification sont donc importantes en pratique. Malgré cela, ce dispositif semble parfois oublié tant du législateur (voir récemment la loi du 8 juillet 2014 dite « anti-Amazon ») que des praticiens du droit, même si on peut souligner que l’argument du défaut de notification à la Commission Européenne fut récemment soulevé par la société Uber à l’encontre de la loi « Thevenoud », dans le cadre du litige l’opposant à ses concurrents Transdev et LeCab ainsi qu’à l’Union nationale des taxis (le tribunal de commerce ne s’est toutefois pas prononcé sur ce point au stade du référé). Une plainte a même été déposée auprès de la Commission Européenne par la société américaine. L’article L. 113-8 du Code de la consommation pourrait subir le même sort et, du fait du non-respect des dispositions de la directive 98/48, voir ainsi sa portée rééquilibrée et l’équité vis-à-vis des acteurs du tourisme en ligne rétablie.