Les spécificités du e-commerce en Afrique

Comprendre l'e-commerce en Afriquen c'est appréhender ses spécificités. Certaines sont issues du monde des télécoms - smartphone et pré-paiement -, d'autres sont d'ordre plus socio-culturel.

Un marché « mobile centric »

Le réseau Internet fixe étant globalement faiblement développé en Afrique, l’accès à Internet s’effectue principalement via mobile et s’est développé à une vitesse exponentielle ces dernières années.

Selon une étude IPSOS/BearingPoint/CFAO portant sur le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Nigeria et le Kenya, seuls 42 % (en moyenne sur ces pays) des foyers de la classe moyenne sont équipés avec de l’Internet fixe haut débit, alors que dans le même temps, 85 % possèdent au moins un smartphone avec une moyenne de 2,4 smartphones par foyer[1] de la classe moyenne. Les acteurs de l’e-commerce en Afrique conçoivent et développent nativement leurs services pour un usage sur mobile.

Un accès très majoritairement prépayé

Par ailleurs, l’essentiel de l’accès à l’Internet mobile – 95 % et plus des utilisateurs dans la quasi-totalité des marchés africains – se fait via des formules prépayées.

Ainsi, contrairement aux forfaits que l’on retrouve le plus souvent dans les pays de l’OCDE de l’Internet illimité, l’accès via l’Internet fixe notamment, ou un volume de data mobile important inclus dans le forfait, la donnée consommée a un coût direct. De cela résulte une navigation sur Internet où les consommateurs africains vont être plus attentifs au temps passé sur chaque site et à l’utilité de leur navigation. Or, on observe que les sites d’e-commerce comme Jumia sont dans le top 5 des sites les plus visités dans les pays où ils sont présents, cela montre donc l’intérêt des consommateurs pour ces sites qui leur donnent la possibilité d’accéder à des biens de consommation difficiles à trouver par ailleurs.

Un faible taux de bancarisation mais une adoption importante des services de paiement mobile

Une autre différence résultant de la prédominance du mobile et d’un faible taux de bancarisation est l’utilisation bien plus importante du paiement mobile. Le paiement par mobile est bien plus développé en Afrique que dans les pays de l’OCDE, notamment parce qu’il a permis de s’adresser à une population que les banques ne touchaient pas jusque-là. En effet, le taux de bancarisation en Afrique est estimé entre 15 % et 20 %[2].

Des differences culturelles et sociétales

Certaines spécificités culturelles et sociétales influent significativement sur la façon dont les plateformes d’e-commerce se sont développées sur le continent.

La première spécificité est le besoin pour le consommateur africain de voir et de toucher le produit avant de l’acheter. Ce besoin est renforcé par une méfiance envers les services en ligne, liée à l’important taux de fraude observé dans certains pays.

Certains acteurs ont ainsi ouvert des showrooms dans des grandes villes pour rassurer le consommateur et lui présenter physiquement certains de ses produits. D’autres, très nombreux, proposent un paiement « cash on delivery » qui permet au consommateur de payer sa commande en cash seulement au moment de la livraison. Ce système lui permet ainsi de vérifier l’adéquation du produit avec la photo vue sur Internet ainsi que la qualité de celui-ci.

Ce moyen de paiement/livraison, de loin le plus utilisé, entraîne d’autres spécificités.

La première est que le taux de retour des produits est bien plus faible : les acteurs évoquent globalement un taux de retour de moins de 5 %, ce qui est nettement plus faible que dans les pays de l’OCDE (ce taux peut par exemple atteindre 80 % en Allemagne sur certaines périodes[3]).

La seconde spécificité concerne le service client : alors que la plupart des transactions dans les pays de l’OCDE se font sans aucun contact avec celui-ci, toutes les commandes avec paiement à la livraison nécessitent un appel d’un opérateur au client pour vérifier la commande et l’adresse. Cette vérification est systématiquement faite par les plateformes pour éviter les « no show » : situation où personne ne réceptionne la livraison non encore payée qui résulte en une perte nette pour l’e-commerçant.


Un marché adressable encore réduit

Le continent africain est composé d’économies très diverses qui ont la particularité d’être toujours en voie de développement. Au sein de ces économies, seules les classes moyennes et aisées sont des consommateurs potentiels. La cible adressable est donc beaucoup plus réduite en Afrique que dans les pays de l’OCDE où les plateformes d’e-commerce peuvent toucher l’ensemble de la population. Selon l’étude menée par CFAO/BearingPoint/Ipsos, seulement 20 % de la population vit avec plus de 4 dollars par personne et par jour. Ce pourcentage correspond à la part de la population que l’on peut raisonnablement cibler sur les plateformes d’e-commerce. Cette part tombe à 11 % si l’on considère les personnes vivant avec plus de 10 dollars par personne et par jour.

Un poids fort des diasporas

Une forte diaspora africaine est présente dans les pays de l’OCDE, notamment en Europe et aux États-Unis. Celle-ci est encline à envoyer des fonds aux proches restés dans leur pays d’origine. On observe depuis l’avènement de l’e-commerce une nouvelle tendance remplaçant une partie des transferts de fonds internationaux : il s’agit d’acheter et de régler en ligne depuis l’Europe avant de faire livrer ses proches localement. Des sites tels qu’Afrimarket se sont lancés sur ce segment de l’e-commerce. Ils permettent de transférer des fonds sous forme de biens ou de services via des partenaires divers : pharmacie, librairie, supérette, etc. Ce segment représente un poids significatif. Selon la Banque mondiale, en 2015, 33 milliards de dollars ont été transférés par la diaspora en Afrique subsaharienne[4].

 

Par ailleurs, au-delà des spécificités listées ci-dessus, la faible maturité du secteur du retail en général et la faiblesse des infrastructures logistiques posent un certain nombre de freins au développement rapide des services d’e-commerce. Ces freins sont progressivement levés.

 

Jean-Michel Huet, associé BearingPoint, Olivier Darondel, manager, Sarah Calvados et Simon Dabadie, consultants


[1] Source : BearingPoint/CFAO/IPSOS, « Les classes moyennes en Afrique », 2015.

[2] Source : BearingPoint/CFAO/IPSOS, « Les classes moyennes en Afrique », 2015.