Rencontre avec Rick Tetzeli, coauteur de "Becoming Steve Jobs"

Rencontre avec Rick Tetzeli, coauteur de "Becoming Steve Jobs" Depuis le décès du PDG d'Apple, plusieurs livres consacrés à sa vie sont sortis. Le dernier en date paru en mars dernier apporte une lumière nouvelle suite à la biographie officielle écrite par Walter Isaacson.

Selon Apple, le livre de Brent Schlender et Rick Tetzeli "Becoming Steve Jobs: The Evolution of a Reckless Upstart into a Visionary Leader" est l'un des plus fidèle au personnage qui ait été écrit. Les dirigeants d'Apple, y compris le PDG Tim Cook, ont fait l'éloge du livre paru récemment et ont affirmé que c'était un portrait bien plus authentique du cofondateur de la firme à la pomme que la biographie officielle écrite par Walter Isaacson.

Après la parution du livre, résultat d'années de travail en collaboration avec Schlender qui entretenait une relation étroite avec Steve Jobs, Tetzeli nous fait découvrir en profondeur ce qui a fait de Steve Jobs un visionnaire si reconnu et si unique dans le monde des affaires et des technologies de pointe.

Business Insider : Au cours de votre travail de recherche et de rédaction y a-t-il eu une interview ou un détail qui vous ait vraiment marqué ?

Rick Tetzeli : Beaucoup de choses m'ont surpris. Beaucoup de moments me restent en mémoire. Une des toutes premières personnes que nous avons interviewées, ce fut Bill Gates. Et je n'oublierai jamais l'image de cet homme debout, se prenant pour Steve Jobs sur le point de faire une annonce. Il a eu ce geste typique de Steve Jobs, de mener sa main à sa tête et d'agir comme s'il venait juste de se rappeler quelque chose en disant "juste un dernier mot".

Une autre chose m'a grandement surpris, comme tout étranger à la culture Apple. L'entreprise n'a pas coopéré dès le départ. Au début, nous avons interviewé des personnes qui avaient quitté l'entreprise, ou qui avaient été licenciées. Deux de nos trois premières interviews ont commencé par des larmes. Et bien que les relations qu'entretenaient ces personnes avec Steve Jobs se soient mal terminées, elles avaient l'impression d'avoir fait du bon travail et elles ressentaient une sorte d'affection pour lui après toutes ces années.

Dernière chose étonnante à propos de ces interviews, qui ont débuté 14 mois après sa mort, c'est que les personnes parlaient de lui au présent. J'ai été étonné de cette marque d'affection car ce n'est pas le genre de choses que l'on associe en général à Steve Jobs. Il était plutôt connu pour être un patron difficile, pouvant parfois se montrer vraiment implacable.

Pourquoi pensez-vous que ces personnes étaient si émues en parlant de Steve Jobs ?

Je pense que c'est une combinaison de plusieurs facteurs. Steve Jobs pouvait se montrer extrêmement insensible, c'est bien connu. Et cette réputation n'a pas été inventée de toutes pièces. Mais en tête-à-tête avec des personnes qui lui avaient prouvé qu'elles étaient excellentes, intelligentes, efficaces, et avec qui il voulait vraiment travailler il pouvait au contraire se montrer charmant.

On pouvait vraiment se sentir spécial en face de lui. Les gens qui se retrouvaient seuls avec lui avaient réellement l'impression qu'une personne exceptionnelle leur accordait de l'importance. Je pense qu'ils avaient conscience que ses intentions étaient bonnes, ils savaient qu'il était très, très intelligent et qu'il se rendait compte de ce qu'ils avaient accompli. Quand votre patron reconnaît votre travail, c'est incroyable.

Et donc je pense que tout tourne autour de ça. Ils le voyaient aussi se comporter de façon très désagréable. Mais ses bonnes intentions et la bienveillance dont il pouvait faire preuve prenaient le dessus. Ils gardaient les bons côtés en mémoire, ils y accordaient encore de l'importance des années plus tard.

Le génie de Steve Jobs consistait à transformer des choses déjà existantes en innovations. © Dan Farber

Racontez-nous quelques-uns des détails intéressants de vos recherches que vous n'avez pas intégrés au livre.

Il y a une histoire en particulier. C'est une anecdote qui est dans le livre, mais la façon dont elle y a été intégrée m'a rendu fou. On venait de terminer une première ébauche du livre. On savait qu'il y avait encore du boulot, on devait rencontrer nos éditeurs pour évoquer la question de la publicité autour du livre. J'étais assis avec Brent. Et pour une raison quelconque il a commencé à me raconter une histoire à propos de Neil Young et Steve. L'histoire était intéressante et elle se termine par un "et puis m****", de Steve Jobs ou quelque chose comme ça.

Quand je pense que j'avais travaillé avec ce type pendant trois ans. J'avais extrait une histoire après l'autre de son cerveau. Vous savez, quand on a fréquenté une personne pendant des années on oublie des choses. Voilà le type d'histoire qu'il a oubliée. J'étais assis devant lui et tous les gens autour de nous ont commencé à rire parce que je le regardais, incrédule. "Pourquoi ne m'as-tu pas raconté cette histoire plus tôt ?! Du coup elle n'est pas dans le livre !"

BI : En résumé, qu'est-ce qui a fait de Steve Jobs ce qu'il est ? En lisant le livre, on dirait que cela s'est fait graduellement, il n'y a pas eu un événement spécifique qui l'a transformé ?

RT : C'est tout à fait ça. C'est une des choses qui m'a intéressée chez le personnage. Ce stéréotype du personnage à la fois ours et génie est tout à fait vrai. C'est facile de trouver des exemples. Mais ce stéréotype n'explique pas tout. La personne qui dirigeait Apple dans les premiers temps puis qui s'est exilée était très différente de celle qui a brillamment réussi à la tête du groupe. Son succès est très différent de ce à quoi est habitué le monde des affaires. S'il était resté le même, tout ça serait-il arrivé ? C'est peu probable.

Si vous connaissiez bien votre sujet, Steve Jobs vous accordait son respect

Il y a eu un changement. Je suis persuadé que les gens changent. Nous avons tous des principes, des bases auxquelles nous nous accrochons et qui nous définissent. La plupart des gens que je connais essayent de tirer le meilleur de leurs forces et d'atténuer leurs faiblesses. Steve Jobs aussi a fait un travail sur lui, mais il ne voyait pas les choses de cette façon. Il ne révélait pas où il avait appris ce qu'il savait. Ed Catmull nous a raconté que, quand il avait appris quelque chose à Steve, celui-ci le reconnaissait à peine et encore, uniquement devant lui. Ce n'était pas son genre...

Il y a une différence entre être un véritable génie des affaires et juste un esprit intelligent. Qu'est-ce qui a fait de Jobs le génie qu'il était ?

Bill Gates nous a déclaré que tout le monde pouvait avoir un côté désagréable. En revanche peu de personnes sont des génies. Je pense que les deux vont de pair. Steve Jobs pouvait avoir la manie de tout contrôler, gérer des tâches de moindre importance, ou être un génie visionnaire.

Et la raison pour laquelle je pense que les deux vont de pair, c'est que vous devez considérer la technologie comme un travail de synthèse. Il s'agit toujours d'assembler plusieurs choses existantes afin de créer quelque chose d'entièrement nouveau. C'était ça le génie de Steve Jobs. Et pour ce faire, vous devez être ouvert à tout un tas de choses, être au courant de tout ce qui se passe. Et il était ouvert à ce qui se passait même hors de son domaine d'expertise. Il disposait donc d'une grande ouverture d'esprit et d'un souci du détail, qui lui permettaient de savoir comment faire quelque chose de nouveau et de grand.

Brent entretenait une relation étroite avec Jobs, et ce dernier lui faisait vraiment confiance. Comment a-t-il réussi cet exploit ?

Ils avaient presque le même âge et venaient tous les deux de la classe moyenne. Brent s'y connaissait en programmation. Il avait travaillé sur un ordinateur central en cours de programmation à l'université du Kansas. Il pouvait donc avoir avec Jobs des conversations sur ce sujet, qui lui tenait beaucoup à cœur. C'était toujours ce qui importait le plus à Steve : si vous saviez de quoi vous parliez, vous gagniez un certain respect de sa part, respect dont les autres ne bénéficiaient pas.

Article de Lisa Eadicicco. Traduction par Manon Franconville, JDN.

Voir l'article original : The author behind the new Steve Jobs book talks about what surprised him the most, how to gain Jobs' trust, and more