Vincent Feltesse (PS) "Nous avons levé 750 000 euros sur Internet pour la campagne de François Hollande"

A trois jours du premier tour, le directeur de la campagne numérique de François Hollande dresse le bilan de cette web campagne et revient sur ses forces et faiblesses.

JDN. Comment le Parti socialiste a-t-il appréhendé sa campagne en ligne ? 

Vincent Feltesse. Cette campagne a trois particularités pour le Parti socialiste puisqu'elle a commencé plus tôt en raison de notre primaire. Au regard d'un budget peu significatif à ce moment-là, nous avions accordé une place importante au numérique. Nous avons également décidé d'orchestrer cette web campagne en y intégrant un conseiller politique, en ma personne. Nous considérons, par ailleurs, la web campagne de François Hollande comme un outil plutôt qu'une fin en soi. Notre stratégie était clairement de la faire converger avec la campagne qui se déroule sur le terrain.

De quels moyens disposez-vous ?

Dès la primaire, une partie de l'équipe était déjà en poste. Aujourd'hui ce sont environ cinquante personnes, dont une dizaine en fédération, qui sont mobilisées. Salaires compris, le budget avoisine les 2 millions d'euros, soit 10% de la campagne de François Hollande. Ce n'est pas grand-chose à côté d'un Obama qui consacre un tiers de son budget de campagne au Web. C'est finalement le coût de deux meetings.

Quel premier bilan chiffré pouvez-vous en tirer ?

"Nos appels aux dons en ligne nous ont permis de récolter près de 750 000 euros"

Certaines choses ont mieux marché que d'autres, à commencer par le portail Toushollande.fr où l'on dénombre 50 000 activistes numériques. Notre riposte party et notre bataille de hashtags font parti des opérations phares. Nous avons également réussi a bien valoriser notre base email, point sur lequel nous avons travaillé avec la même agence que Barack Obama, Bluestatedigital. Nos appels aux dons en ligne nous ont permis de récolter près de 750 000 euros pour la campagne alors que nous avions un objectif d'un million d'euros... Par ailleurs la web-radio Radiohollande fut l'un des autres points positif de cette campagne, tout comme Twitter où nous avons constaté un fort engagement des internautes.

Peut-on parler d'une audience significative ?

Je pense que le site de campagne de François Hollande a bénéficié d'une audience proche de celle du site de campagne de Nicolas Sarkozy. Nos booms d'audience ont été ressentis à l'occasion du meeting du Bourget, de la publication du programme de François Hollande et du meeting de Vincennes dimanche dernier. Le programme a d'ailleurs bénéficié de 130 000 visiteurs uniques le jour de sa sortie.

Et quelles sont les opérations qui n'ont pas fonctionné ?

"La vidéo est la grande perdante de cette campagne"

La vidéo est la grande perdante de cette campagne. En 2007, Ségolène Royal cumulait près de 11 millions de vidéos vues. En 2012, nous n'en sommes qu'à 3 millions. Je pense toutefois que Nicolas Sarkozy reste dernière nous, ce chiffre reste donc à relativiser. Mais cette chute est d'autant plus surprenante que nous avons produit 2,5 fois plus de vidéos qu'en 2007. Une baisse que j'expliquerai avant tout par la croissance du poids des chaînes de la TNT. On a également remarqué que l'engouement sur notre application mobile était limité. Mais il fallait le faire pour l'image. Je suis également sceptique quant à l'efficacité de Facebook dans cette campagne.

Dans l'ensemble, le numérique est-il un investissement légitime pour une campagne présidentielle ?

On peut toujours se poser l'éternelle question de l'impact du numérique sur l'électorat. Mais cela reste quoi qu'il en soit un investissement très rentable qui permet de bénéficier d'un média supplémentaire et d'un effet de rebond non négligeable, puisque ce qu'on fait en ligne est repris par les médias. Enfin, le numérique a l'avantage de démultiplier l'impact de nos actions sur le terrain. Internet permet d'appréhender différemment une campagne grâce aux outils de veille. Cette année, nous avions 300 militants bénévoles qui veillaient pour nous, dont quelques-uns qui le faisaient la nuit depuis la Chine. Deux bénévoles nous fournissent également tous les matins une note d'analyse. Une veille humaine à laquelle se sont ajoutées des notes de synthèse fournies par Netscope, un outil d'analyse d'opinion permettant notamment de connaître la tonalité des tweets.

Quel regard portez-vous sur les campagnes en ligne des concurrents de François Hollande ?

Je suis déçu par la campagne en ligne de l'UMP, qui a beaucoup mis Facebook en avant alors qu'ils n'ont pas été tant actifs. Bon point cependant pour leurs bilans géolocalisés mais on peut toutefois se demander si les moyens de l'Etat n'ont pas été utilisés pour les produire. Une déception également à l'égard d'EEVL et du MoDem et une bonne surprise, le travail réalisé par le Front de Gauche. J'ai également été très étonné de voir Marine Le Pen en tête de Google Insights. Signe que les sondages minorent toujours les intentions de vote pour le Front National...

Diplômé d'HEC et de l'IEP de Paris, Vincent Feltesse débute sa carrière en 1991 comme journaliste chez Libération Développement. Après diverses expériences, il devient professeur associé à l'IEP de Bordeaux en 2002 puis conseillera Alain Rousset, le maire de Pessac, entre 1994 et 1997 période durant laquelle il est également conseiller technique auprès du président du conseil général de la Gironde. Il poursuit son parcours politique auprès de Daniel Vaillant et du conseil régional d'aquitaine pour devenir maire de Blanquefort en 2001. En 2003, il devient membre du conseil national du Parti socialiste et depuis 2007, il préside la Communauté urbaine de Bordeaux. Il est en charge de la campagne numérique de François Hollande dans le cadre des élections présidentielles de 2012.