Ludovic Le Moan (Sigfox) "Orange et Bouygues Telecom ne déploieront jamais le réseau LoRa"

Le PDG et fondateur de l’opérateur pour objets connectés veut fournir ses solutions en marque blanche aux acteurs traditionnels du monde des télécoms

JDN. Vous vous écharpez avec Orange et Bouygues, qui déploieront d'ici fin 2016 leur offre IoT sur le réseau de communication LoRa. Votre partenariat signé en mars avec SFR est-il une façon d'enterrer la hache de guerre avec les opérateurs ?

Ludovic Le Moan, PDG de Sigfox. © Sigfox

Ludovic Le Moan. Sigfox n'est pas en croisade contre les opérateurs, bien au contraire. Nous les voyons comme des partenaires qui pourront construire grâce à notre solution de communication dédiée à l'IoT des offres de connectivité globales pour leurs clients. Les opportunités sont à saisir maintenant : nous n'avons pas de temps et d'argent à perdre dans une guerre des tranchées.

SFR a très bien compris notre positionnement : ils vont proposer à leur clientèle des offres haut et bas débit pour l'ensemble de leurs appareils, du smartphone à la caméra de surveillance en passant par le simple capteur. Le client final ne saura pas qu'une partie de ses données transite via Sigfox. Tout se fera sous la marque SFR.

Notre service n'est pas concurrent du leur : Sigfox n'a pas vocation à transférer des SMS ou des vidéos. A la limite, si le réseau mobile de SFR subit une importante coupure, les messages de leurs abonnés pourront transiter via Sigfox, mais c'est une simple béquille que nous leur proposons, loin de notre métier de base.

Voulez-vous devenir un fournisseur réseau des opérateurs, en leur proposant vos solutions en marque blanche ?

Tout à fait. Ils sont habitués à cette formule. Ils font la même chose pour leurs réseaux mobiles traditionnels avec des équipementiers comme Ericsson. Ils packagent et commercialisent des offres sous leur étendard, mais le matériel qu'ils utilisent n'est pas maison. Plusieurs opérateurs ont déjà signé avec Sigfox des contrats de ce type, comme OmanTel mi-avril au sultanat d'Oman, ou encore T-Mobile en mai 2015, qui déploie notre réseau en République tchèque.

"Les marges sont faibles dans l'IoT, il n'y pas de place pour le roaming !"

Ces contrats vous permettent-il de commercialiser plus facilement votre offre à l'international dans des pays ou vous n'êtes pas connus, grâce à l'ancrage local de ces marques ?

C'est exact. Nous bénéficions de leur force de frappe dans des régions où nous ne sommes pas encore implantés et où ils ont souvent une présence commerciale forte, voire de leader sur leur marché local. Nous installons ainsi notre infrastructure dans le monde entier. C'est un point essentiel pour nos clients qui sont pour beaucoup des entreprises présentes dans plusieurs pays et qui ont donc besoin d'un réseau international.

Certains opérateurs attendent pour déployer leur offre que des standards de communication basés sur des réseaux mobiles déjà existants soient finalisés. C'est une erreur, car pour faire transiter une information d'un pays à l'autre sur ces réseaux, il faudra payer des frais d'itinérance. Or pour que le marché de l'IoT décolle, le coût de la connexion des appareils intelligents doit être négligeable. Les marges sont faibles, il n'y pas de place pour le roaming !

 

Certains opérateurs, comme Bouygues et Orange, n'attendent pas qu'un standard basé sur les réseaux mobiles traditionnels émerge. Ils vont déployer la technologie LoRa pour connecter les appareils intelligents. Avez-vous peur de cette concurrence ?

"Entre 2013 et 2016, nous avons investi six millions d'euros en recherche développement"

Ces deux opérateurs ne déploieront jamais le réseau LoRa de façon efficace. Dans les faits, Bouygues et Orange pourront chacun déployer leur réseau LoRa mais nous pensons qu'ils ne pourront pas les opérer dans de bonnes conditions sur le même territoire, car ils interfèreront entre eux.  Il ne s'agit pas tant d'être capable de déployer un réseau que de pouvoir assurer une bonne qualité de service.*

En réalité, Bouygues et Orange veulent à mon avis utiliser les réseaux existants et les adapter à l'IoT. Mais s'ils installent un jour des antennes LoRa, ils perdront la course : leur techno consomme au minimum 20 fois plus que la nôtre. Nous allons connecter des objets de plus en plus petits, dont la taille se rapprochera un jour de celle de l'atome. Il faut que ces appareils soient aussi économes en énergie que possible, que leur consommation soit proche du micro watt et qu'ils soient capables, à terme, de se recharger tous seuls en captant de l'énergie dans leur environnement (soleil, mouvement…).

Entre 2013 et 2016, nous avons investi six millions d'euros en recherche développement. Cette somme est à 100% consacrée à l'amélioration des composants de connectivité en partenariat avec les fabricants de silicium, pour qu'ils coûtent moins cher et qu'ils soient moins énergivores. Nous prévoyons d'investir deux à trois millions d'euros par an dans les années à venir sur cette thématique. LoRa est loin derrière nous sur cette question.

Comment être sûr que Sigfox consomme effectivement moins que LoRa ? Les opérateurs réalisent les tests chacun de leur côté... Quelles preuves pouvez-vous apporter ?

C'est vrai que chaque entreprise du secteur brandit ses chiffres à la figure des autres. "Un objet connecté tient 10 ans sur mon réseau." "Sur le mien, c'est 15 !" Mais en fait, personne ne sait dans quelles conditions réelles ces essais sont réalisés : quel type d'appareil intelligent a été connecté ? De quelle batterie il était équipé ? Quel volume de données il a envoyé ? Autant de questions sans réponse.

J'appelle à la création d'un organisme indépendant, qui pourrait effectuer en toute transparence des tests comparatifs de consommation d'énergie entre les différentes technos proposées par les acteurs du marché. Cela permettrait au marché d'y voir plus clair. Un industriel qui veut équiper toutes ses usines de capteurs a besoin de savoir précisément combien de temps la batterie de ses appareils tiendra le coup afin de calculer le montant exact de son investissement. Cet outil pourrait être un vecteur de développement du marché.

* Suite à la parution de cette interview, Ludovic Le Moan a demandé à la rédaction d'ajouter ces deux phrases à l'article pour contextualiser son propos.