Les brevets finiront-ils par tuer l'innovation ?

Si l'innovation mérite d'être protégée, une gestion opportuniste de la propriété intellectuelle se révèle de plus en plus souvent être utilisée comme une arme stratégique pour nettoyer le champ de la concurrence. Et neutraliser par le biais du brevet toute velléité de compétition.

La santé d'un écosystème est lié à l'équilibre dynamique des relations qui s'établissent entre les différentes communautés qui le constituent. Elle peut être mise en danger par les stratégies de certaines communautés qui détournent à leur seul profit certaines de ces relations.
De tous temps, les écosystèmes d'innovation ont été soumis à de telles stratégies. Ce qui est plus dommageable, c'est que certains mécanismes mis en place pour soutenir l'innovation peuvent être détournés à son détriment. Le phénomène lié à l'activité de ce que les Anglo-Saxons appellent les patent trolls relève de ce type de stratégie et est préjudiciable à l'innovation.

Ce phénomène n'est pas récent. De quoi s'agit-il? Les "patents trolls" sont des sociétés, la plupart du temps de petite taille, qui ne développent pas de produits mais produisent des brevets dont les revendications sont assez larges pour que de grandes sociétés se trouvent prises dans le champs de la violation de ces brevets. Une fois dans le piège,  elles se voient proposer à des prix prohibitifs, bien souvent au dessus du prix du marché, des licences d'exploitation.

Trois chercheurs de l'Université de Boston ont estimé le coût que pouvait avoir ce phénomène. Selon leurs calculs (J. Bessen, M. Meurer: Patent Failure: How Judges, Bureaucrats, and Lawyers Put Innovators at Risk, Princeton University Press), ceux qui ont eu à se défendre contre les patent trolls auraient dépensé 500 milliards de dollars depuis 1990!!! Ces coûts seraient de l'ordre de 85 millions de dollars par an, depuis quatre ans.

On pourrait se dire que finalement il est assez normal que la création de propriété intellectuelle soit justement rémunérée.

Mais les auteurs ont étudié la perversité du système au point de nous amener à nous poser la question de l'encadrement de ces pratiques afin de ne pas pénaliser ce pour quoi les brevets avaient été créés au départ; protéger les inventeurs. Ils ont noté que, du montant payé par les sociétés qui ont été attaquées par les "patent trolls", moins de 10% étaient revenus aux inventeurs. Ils ont observé que c'était surtout l'industrie des logiciels qui semblait sensible à ce phénomène. L'industrie pharmaceutique et l'industrie chimique seraient moins touchées.

On arrive à une situation telle que les sociétés technologiques innovantes se voient menacées par des patent trolls qui ont pour modèle d'affaires les gains lors de poursuites devant les tribunaux pour la violation de brevets qu'ils détiennent mais n'exploitent pas.

Évidemment, les patent trolls représentent un cas extrême.

Il n'est pas si rare de voir des entreprises, en particulier les grandes, celles qui ont des moyens conséquents à consacrer à une véritable stratégie de propriété industrielle, jouer dans une certaine mesure au patent troll. Elles déposent des brevets qu'elles ne comptent de toute façon pas exploiter. Il s'agit avant tout de bloquer les velléités d'innovation de concurrents potentiels ou identifiés sur des champs où elles ne sont pas forcément présentes, mais qu'elles veulent contrôler.

A ce petit jeu, nul doute que la grande perdante c'est l'innovation. A une époque où l'on parle de plus en plus de soutenir un brevet européen pour stimuler l'innovation, peut-être serait-il bon que les législateurs aient cela en tête ?