Destruction de la chose louée et indemnité d’éviction : la coexistence impossible
En application de l’article 1722 du Code civil, la destruction totale du bien loué entraîne la résiliation de plein droit du bail et la perte par le preneur de ses droits contractuels et statutaires.
Dès lors, le preneur ne peut plus prétendre au versement d’une indemnité d’éviction qui ne lui serait pas définitivement acquise au jour du sinistre et ne serait pas encore entrée dans son patrimoine : tel est le rappel formulé par la Cour de cassation dans un arrêt du 29 juin 2011.En l’espèce, le propriétaire
d’une parcelle de terrain, d’une part, et une discothèque, d’autre part, sont
liés par un bail commercial. Quelque temps plus tard, le bailleur refuse le
renouvellement du bail et donne congé au preneur. Une expertise est ordonnée en
vue de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction. Prévue à l’article L. 145-14 du code de commerce, celle-ci est due au preneur par le bailleur
lorsque celui-ci décide de ne pas renouveler le bail commercial. Elle vise à
indemniser le preneur du préjudice que lui cause nécessairement le défaut de
renouvellement.
Alors que l’expertise
est en cours, un incendie survient et l’immeuble loué est totalement détruit.
Le bailleur assigne alors le preneur en constatation de la résiliation du bail
sur le fondement des dispositions de l’article 1722 du Code civil qui
dispose que, « si, pendant la durée
du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est
résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur
peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la
résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a aucun
dédommagement ». Or, le preneur demande le versement d’une indemnité d’éviction.
Quel est le sort de l’indemnité d’éviction en cas de destruction totale de la
chose louée survenue après la notification du non-renouvellement du bail ?
La Cour de
cassation retient qu’en application de l’article 1722 du Code civil, la
destruction totale du bien loué entraîne « la
résiliation de plein droit du bail ». Elle prive le preneur d’un droit
au paiement de l’indemnité d’éviction dès lors que cette indemnité « ne lui était pas définitivement
acquise au jour du sinistre et n’était pas entrée dans son patrimoine ».
Par conséquent, le preneur ne pourra obtenir aucune réparation du préjudice
subi du fait de la destruction de la chose louée, la résiliation intervenant
sans dédommagement. Il s’agit d’un effet attaché à la survenance d’un cas de
force majeure. En ce sens, l’article 1148 du Code civil énonce qu’« il n’y a lieu à aucuns dommages et
intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le
débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé […] ». La résiliation du bail étant de
plein droit, elle intervient dès la destruction de la chose et aucun loyer n’est
en conséquence dû après cette date.
La Cour de cassation
relève que le preneur ne pouvait prétendre au versement de l’indemnité d’éviction
qui ne lui était pas définitivement acquise au jour du sinistre. A contrario, il semblerait que le
bailleur demeure tenu au règlement de ladite indemnité même en cas de destruction
totale de la chose louée si cette indemnité se trouvait définitivement acquise
au preneur au jour du sinistre. Tel serait le cas, par exemple, en présence d’un
accord des parties sur le montant de cette indemnité et de l’engagement du
bailleur à la régler, ce qui se serait produit en l’espèce si l’expertise en
cours avait été achevée et le montant de l’indemnité déterminé.
À titre
subsidiaire, notons que cet arrêt se prononce également sur la conformité de l’article 1722
du Code civil aux textes européens relatifs au droit de propriété : l’article 1er
du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 17 de la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
La Cour de cassation réaffirme
la conformité de l’article 1722 du Code civil à ces textes. Elle rappelle
sa position déjà affirmée dans un arrêt de la troisième chambre civile du
4 janvier 2011 par lequel elle avait refusé de transmettre au Conseil
constitutionnel la question de la constitutionnalité de l’article 1722 du
code civil au regard du principe constitutionnel du respect de la propriété
privée garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
La Cour retient que
l’exclusion de tout dédommagement lorsque le bail est résilié de plein droit
par suite de la disparition fortuite de la chose louée n’est que la conséquence
nécessaire de la disparition de l’objet même de la convention que les parties
avaient conclue.
Les dispositions de l’article 1722 du code civil poursuivraient
ainsi un objectif d’intérêt général en assurant, en cas d’anéantissement de relations
contractuelles dû à une cause étrangère, un équilibre entre les intérêts
respectifs des parties.