Printemps arabe : quelles conséquences économiques ?

Camille Sari, consultant international et spécialiste de l'Afrique du Nord, analyse la situation économique de l'Algérie, de l'Egypte, du Maroc et de la Tunisie.

 

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Camille Sari. © DR

Les manifestations en faveur de la démocratie, le respect de la dignité humaine, la justice sociale et la fin du népotisme et de la corruption sont saluées par toute la communauté internationale. Si ces processus, qui prennent différentes formes selon les pays de la région, débouchent sur des systèmes économiques stables, les bénéfices sur le long terme seraient puissants. Mais il est à craindre une période d'agitation et de gestation qui pourraient durer.

 

Tunisie : une croissance affaiblie

J'étais en Tunisie en avril 2011 et j'ai assisté à des réunions publiques. Les Tunisiens sont en attente et se méfient de leurs dirigeants au point de sortir dans la rue début mai. Ce qui a entrainé une sortie inattendue du gouvernement annonçant le report des élections. Des incidents violents ont éclaté le 9 mai, ce qui n'est pas de nature à rassurer les touristes et les investisseurs étrangers. Les phénomènes de contestation touchent tous les secteurs. La productivité va encore se dégrader. De nombreux foyers Tunisiens ne payent plus leurs factures de gaz et d'électricité "suivant" en cela les familles Ben Ali et Trabelsi dont les entreprises en furent exemptées.

D'après le gouverneur de la banque centrale (La presse du 27/04/2011), le taux de croissance du PIB devrait se situer entre 0 et 2%. Le nombre de demandeurs d'emplois a dépassé 700 000 contre 500 000 il y quelques mois. La situation en Libye (retour massif des Tunisiens), le ralentissement du secteur touristique, les réticences des investisseurs étrangers, la désorganisation des entreprises, des administrations et des banques en sont les facteurs explicatifs. Les Tunisiens discutent de la nouvelle constitution et cherchent un modèle approprié, mais il y a une prise de conscience d'aller vers un pays démocratique et une économie concurrentielle.

Les réserves de change sont passées de 6,5 Mds€ en début d'année à 5,5 Mds€ à fin avril 2011. Elles ne couvrent que 123 jours d'importations.

 

Algérie : l'aggravation des déficits budgétaires

En Algérie, il suffit de manifester pour obtenir des augmentations de salaires de 50 à 100%. L'Etat a injecté 15 milliards de dollars de subventions aux produits de première nécessité. Dans certains secteurs les salaires étaient anormalement bas comme ce fut le cas dans l'enseignement, la santé...Mais il est à craindre une aggravation des déficits budgétaires sans que cela ne profite à toutes les couches de la population. Les dépenses publiques ont augmenté de 25% passant de 63 à 78,6 milliards d'euros.

L'Etat a débloqué 5,5 milliards de dollars pour la remise à niveau des PME/PMI. Cependant, la Confédération nationale du patronat algérien se plaint des contraintes qui pèsent sur celles-ci, notamment au niveau du foncier et la bureaucratie, rappelant que le secteur public national privé assure 76% des emplois.

Des mesures en faveur de l'accès au logement social sont en cours d'exécution. Les oligopoles qui dominent le marché des biens de consommation vont augmenter les prix. Ces mesures pourront pallier provisoirement les déséquilibres du passé mais ne sont pérennes.

Fuites massives de capitaux et spéculation intense sur le marché parallèle des devises.

Autres effets des incertitudes politiques, El Khabar et El Watan ont fait état de fuites massives de capitaux et d'une intense activité de spéculation sur le marché parallèle des devises. L'euro a atteint le chiffre de 140 dinars contre 100 sur le marché officiel.

Les incertitudes sur les revenus futurs liés aux exportations des hydrocarbures révèlent la fragilité d'un tel modèle. Les autorités algériennes parent au plus pressé et agissent sur des évènements de court terme. Mais il va falloir assurer l'avenir par une modernisation des structures économiques, une diversification de l'économie, actuellement dépendante du pétrole et du gaz, créer des PME viables et former massivement les jeunes dans les domaines techniques et technologiques.

D'après le FMI les évènements que connait la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) se traduiront par une hausse des déficits budgétaires de 8%. Au Yemen le FMI table sur une baisse de la croissance de -2%.

 

Egypte : la Lybie dévastatrice

En Egypte le secteur du tourisme est sinistré. Il fait vivre des millions d'Egyptiens. L'incendie d'une église copte le 9 mai n'est pas de nature à inciter les étrangers à investir en Egypte ou à s'y rendre pour le tourisme.

La crise libyenne aura des conséquences incalculables sur ce pays mais une Lybie sans Khaddafi est beaucoup plus prometteuse à long terme. A court terme, les conséquences sur les pays voisins sont catastrophiques. Le retour des travailleurs marocains, tunisiens et égyptiens notamment aggravera le chômage dans ces pays et réduira les transferts de leur épargne vers le pays d'origine.

 

Maroc : des fragilités nombreuses

Le Maroc a opté pour un modèle économique tourné notamment vers les économies européennes.

Outre les exportations de produits agroalimentaires, les phosphates et quelques biens manufacturés, ce pays compte, pour équilibrer sa balance des paiements, sur le tourisme (5,28 Mds€ de recettes), les transferts des Marocains résidant à l'étranger (5,1 Mds€) et les investissements étrangers. Ce pays dépend aussi des importations des hydrocarbures, des biens d'équipement et de consommation. Son industrie textile a souffert de la suppression des quotas au profit de la Chine, qui a inondé le marché marocain de produits made in China. 

Le Maroc a pris le virage de l'industrialisation, des énergies renouvelables, de la relance de l'agriculture et du tourisme.

Le Maroc a pris le virage de l'industrialisation, des énergies renouvelables, de la relance de l'agriculture (plan vert) et du tourisme. Cela s'ajoute aux efforts considérables en matière d'infrastructures et de développement des populations rurales. Mais beaucoup reste à faire au niveau de la gouvernance aussi bien du secteur public que du secteur privé. Dans une thèse de doctorat en 2000, j'ai dénoncé la corruption, les inégalités sociales et la pauvreté et plaidé pour une économie concurrentielle et transparente.

La formation d'ingénieurs et de techniciens intermédiaires et supérieurs doit compléter les formations en management. La formation professionnelle ne doit pas être le parent pauvre de l'enseignement.

L'extraversion de l'économie marocaine est entachée de fragilités que j'ai analysées dans mon récent ouvrage (voir En savoir plus). Cette économie subit de plein fouet les facteurs exogènes. Ainsi la crise financière et économique mondiale de 2007/2009 a impacté la capacité d'épargne des Marocains de l'étranger. Plusieurs d'entre eux sont au chômage et leur pouvoir d'achat s'est fortement détérioré. Il est à craindre une chute, ou au moins une détérioration de cette source de rentrées de devises. Des centaines de milliers de Marocains vivant en Espagne sont rentrés définitivement au pays.

 

Tourisme : l'irrationalité des comportements

Les attentats de Marrakech montrent la difficulté de développer le secteur du tourisme, sans tenir compte de facteurs imprévisibles et aléatoires qui peuvent chambouler tous les plans à moyen et long terme. Le "client" du produit tourisme est versatile et extrêmement influençable.

Il est nécessaire de développer l'offre touristique à l'échelle maghrébine.

Les révolutions tunisiennes et égyptiennes et les manifestations dans les autres pays du Maghreb sont à l'origine de la dégringolade de l'afflux des touristes français en Tunisie, au Maroc et en Egypte de respectivement 80%, 40% et 88%. Je me suis rendu en Tunisie fin avril 2011 et j'ai constaté un frémissement et un retour des croisières mais cela reste fragile. Etant sur les lieux touristiques, on mesure l'irrationalité du comportement du citoyen européen fortement influencé par les images véhiculées par certains médias. Tous les pays que j'ai visités quelques jours après les attentats ont connu un retour à la vie normale rapidement. Les mesures de sécurité et la vigilance des citoyens empêchent la récidive.

Le Maroc s'est lancé dans un programme d'investissements en matière d'infrastructures touristiques dans le cadre du plan tourisme 2020. Complétant le tourisme à l'intérieur du territoire le choix a été fait de réaliser des stations balnéaires. L'objectif est d'augmenter les nuitées.

 

Ce que je propose 

Parmi les actes de solidarité que les Européens pourraient manifester, ce serait d'organiser des charters remplis de touristes et des voyages médiatisés pour montrer que les villes maghrébines ne sont pas à feu et à sang. La probabilité de perdre la vie en circulant sur les routes dans les pays européens est plus forte que de se trouver à l'instant T dans les lieux d'un attentat.

Il est nécessaire de développer l'offre touristique à l'échelle maghrébine. La variété (montagne, désert, mer, monuments historique..) l'enrichirait et la rendrait plus flexible. Se déplacer sur un espace de 5 millions de Km2, rendrait difficile la tâche aux terroristes. Ils ne pourront pas frapper tous les Etats du Maghreb en même temps. Les Agences de voyages pourraient proposer des formules (packages) mer,     montagne et/ou culturel tout au long de la méditerranée et au Sahara. De ce fait Les voyagistes socialiseraient les pertes et se partageraient les gains. Cela impose la réouverture des frontières entre l'Algérie et le Maroc.

Il est urgent de cesser cette course aux armements entre ces deux pays et de réorienter les dépenses vers des secteurs productifs, éducatifs, et investir dans les énergies renouvelables ; l'eau, la recherche rendant ainsi la destination Maghreb attractive.

La création d'un marché commun maghrébin renforcerait les économies de toute la région.

Instaurer immédiatement une monnaie commune le ''dinrham'' qui tout en cohabitant avec les monnaies nationales, stimulerait les échanges de biens et de services et des capitaux mais aussi la circulation des Maghrébins en tant que touristes. Ils n'auront plus besoin de devises pour voyager à l'intérieur de la région.

Une fois les bases d'une communauté économique maghrébine assurées, une coopération avec l'Egypte sous forme d'accord d'association et de libre échange doit être entamée. C'est ensemble économique de 170 000 millions d'habitants sera attractif et attirera les investisseurs étrangers et les capitaux des autres pays arabes, dont les fonds souverains sont placés en dollar, une monnaie qui connaitra une dépréciation certaine et voulue par les étatsuniens.