IoT : start-up et grands groupes se ruent sur le marché du maintien à domicile

IoT : start-up et grands groupes se ruent sur le marché du maintien à domicile Avec l'explosion du nombre de seniors actifs, le potentiel du secteur est énorme et les financements affluent. Mais les obstacles sont, eux aussi, de taille.

Chez Assystel, le nombre de nouvelles offres de téléassistance souscrites chaque année a bondi entre 2014 et 2015 de plus de 15%. Avant, il ne progressait en moyenne que de 5 à 10% par an. A quoi est liée cette soudaine croissance ? L'entreprise, spécialisée dans le secteur du maintien à domicile des seniors depuis 40 ans, a décidé de revoir son offre de fond en comble à l'heure où les objets connectés faciles à utiliser déferlent sur le marché.

Elle a lancé en 2014 Framboise, un médaillon couleur carmin qui peut être attaché à un collier, un bracelet ou à une ceinture. En cas de chute, le propriétaire du bijou connecté peut contacter un centre d'appel d'urgence d'une simple pression du doigt. "Nous avons développé un produit non stigmatisant, qui ne place pas le senior dans la case de la personne dépendante", souligne Alexis Roche, directeur général d'Assystel. Pour la première fois, l'entreprise a travaillé avec un cabinet de design et des ergothérapeutes.

Le bijou connecté Framboise est un appareil de téléassistance discret. © Assystel

Framboise cible le marché des seniors actifs de plus de 65 ans qui vivent à domicile. Leur nombre explose littéralement depuis les années 2010, période où les premiers baby-boomers ont atteint l'âge de la retraite. Selon l'Insee, les 60 ans et plus représenteront en 2050 près de 32% de la population française, contre 25% en 2015. Or 90% des personnes appartenant à cette tranche d'âge souhaitent rester chez elles aussi longtemps que possible, affirmait en juin 2010 le rapport de la mission "Vivre chez soi", commandée par le secrétariat d'Etat en charge des ainés.

Les acteurs traditionnels du secteur du maintien à domicile ne sont pas les seuls à vouloir profiter de ce créneau porteur. De nombreuses start-up, lancées par des entrepreneurs biberonnés aux objets connectés, veulent leur part du gâteau. La montre intelligente imperméable Zembro fait partie de la nouvelle déferlante d'offres qui ciblent les seniors actifs. Lancée en novembre 2015 en Belgique et en Hollande par la société belge Uest, elle permet à ses utilisateurs d'effectuer des appels d'urgence.

Cette jeune pousse a été fondée en 2014, à la suite d'un voyage officiel organisé dans la Silicon Valley par le secrétaire d'Etat à l'Industrie belge. A peine la tête sortie de ce grand bain d'innovation, 30 entrepreneurs d'horizons différents, mais tous originaires du plat pays, ont mis ensemble cette idée sur la table. La fine équipe, notamment composée du PDG de la banque en ligne ING Direct et du patron de la loterie belge, soutient le projet à hauteur de 500 000 euros. Deux jours plus tard, le fondateur du laboratoire Oméga Pharma Marc Coucke apporte sa pierre à l'édifice : il signe un chèque de 4,5 millions d'euros pour booster le développement de la start-up.

Les seniors peuvent porter leur bracelet Zembro 24 heures sur 24. © Uest

Pourquoi la marque Zembro aurait-elle plus de chances que ses concurrentes de réussir sur le marché des wearables dédiés au maintien à domicile ? "Grâce à ces financements, nous avons les reins assez solides pour vivre pendant plusieurs années sans réaliser immédiatement un important chiffre d'affaires. Ce n'est pas le cas de toutes les jeunes pousses, qui parviennent en général à lever autour de 500 000 euros", répond Olivier Lenoir, directeur de la filiale française de Uest.

Car si le potentiel du marché est important, les entrepreneurs doivent faire face à des obstacles. Le manque d'appétence des seniors pour les nouvelles technologies est le principal. "Pour faire face à cette difficulté, nous avons créé une montre, un objet que les personnes de 60 ans et plus connaissent depuis l'enfance auquel ils s'attacheront facilement", espère Olivier Lenoir.

"La fracture numérique va progressivement diminuer dans les 10 prochaines années, le temps que des personnes habituées à l'usage des smartphones passent la barre des 65 ans", ajoute le directeur de la Silver Valley Benjamin Zimmer, qui supervise un réseau de 270 acteurs spécialistes de la silver économie. "Le système social tricolore est à bout de souffle : les seniors vont être de plus en plus responsables de leur santé et se tourneront vers ce type d'offre IoT, mais il faut laisser du temps au temps", complète-t-il.

"Le business modèle de ces jeunes pousses est encore en construction"

Les ventes des start-up ne croîtront donc pas de façon exponentielle mais progressivement. "Le business modèle de ces jeunes pousses est encore en construction", pointe Aicha Douhou, chargée de projet filière santé et science du vivant chez la banque publique d'investissement Bpifrance. "Elles ne savent pas encore si leurs clients seront directement les seniors ou si elles tisseront des partenariats avec des entreprises d'assurance, qui souhaitent maintenir au maximum les personnes âgées à domicile pour limiter leurs dépenses", poursuit-t-elle.

En attendant d'être rentables, les entrepreneurs doivent trouver des financements suffisants pour faire tourner leur société. En France, Bpifrance épaule plusieurs de ces entreprises, comme Auxivia et son verre connecté capable de mesurer la quantité de liquide bue chaque jour par son utilisateur.

Le fonds d'investissement tricolore Sisa ne soutient que des start-up de la silver économie

Les start-up peuvent aussi compter sur des sociétés de capital-risque spécialisées dans les nouvelles technologies, qui commencent à s'intéresser à ce segment de marché. Dans l'Hexagone, le fonds Sisa (services innovants aux acteurs de la santé et de l'autonomie) a été créé en avril 2014 par la société de capital-risque Innovation capital, spécialement pour soutenir les jeunes pousses de la silver économie.

"Doté pour le moment de 53 millions d'euros, il investira en tout dans une douzaine de sociétés", explique Chantal Parpex, directrice d'Innovation Capital. Cette ancienne rhumatologue, qui a travaillé quatre ans dans un hôpital gériatrique, connaît bien les besoins des seniors. "Nous avons investi 1 million d'euros dans la start-up Wandercraft. Ils ont créé un exosquelette qui pourrait permettre aux seniors de marcher et donc de rester indépendants plus longtemps", rapporte-t-elle.

Orange, Technicolor, ou encore Microsoft travaillent sur des innovations de rupture avec des entrepreneurs

De grandes entreprises s'intéressent aussi à l'IoT dédié au maintien à domicile. Orange, Technicolor, ou encore Microsoft travaillent sur des innovations de rupture avec des start-up qu'elles soutiennent dans le cadre de la Silver Valley. "Le groupe d'électroménager Seb et la mutuelle AG2R La Mondiale ont investi en 2015 dans la jeune pousse SeniorAdom, qui installe des capteurs dans le domicile des seniors pour suivre leur activité tout au long de la journée", illustre le directeur du cluster.

Mais plutôt que de s'associer à ces jeunes pousses, les géants du web et de l'électronique ne vont-ils pas tout simplement les supplanter ? "Leurs incursions dans le secteur sont encore timides car le marché des seniors est très particulier. Communiquer avec cette cible n'est pas du tout dans l'ADN de grands groupes comme Apple, Samsung ou encore Google. Les valeurs de jeunesse éternelle qu'ils véhiculent sont trop éloignées des personnes de 60 ans et plus", veut croire le patron de la filiale française d'Uest, qui travaille à devenir le spécialiste dont les grands groupes ne pourront se passer s'ils veulent un jour s'attaquer sérieusement à ce marché.