Dirk Ahlborn (Hyperloop Transportation Technologies) "Nous avons eu des discussions pour créer un Hyperloop en France"

Hyperloop Transportation Technologies va construire deux lignes de transport à très haute vitesse d'ici 2020. Son fondateur nous dit tout sur son projet et sur ce mode de transport futuriste.

JDN. Votre entreprise, Hyperloop Transportation Technologies, n'est pas la seule à développer un Hyperloop. Votre concurrent principal Hyperloop One a récemment levé 80 millions de dollars, notamment auprès de la SNCF. Quelles sont les différences entre les deux projets ?

Dirk Ahlborn est CEO d'Hyperloop Transportation Technologies. © HTT

Dirk Ahlborn. Hyperloop One s'est lancée en 2015, deux ans après nous. Nos approches sont très différentes, la nôtre étant très ouverte et la leur plus traditionnelle. Ceci étant dit, nous apprécions avoir de la concurrence. L'idée de l'Hyperloop ne nous appartient pas et elle n'est d'ailleurs pas nouvelle. Je crois même qu'elle est française à l'origine puisque le premier à avoir décrit ce mode de transport n'est autre que le fils de Jules Verne dans l'un de ses livres datant de 1889 ("La journée d'un journaliste américain en 2889", NDLR).

Des projets similaires ont depuis émergé, à l'image du Swissmetro qui n'a finalement jamais vu le jour. Pas forcément pour des raisons technologiques. Mais nous disposons aujourd'hui d'un savoir-faire technologique qui nous permet de faire davantage de choses. Je pense notamment à l'énergie solaire qui offre de nouvelles perspectives en termes de modèles de revenus.

L'Hyperloop est souvent présenté comme un 5ème mode de transport : quels sont ses avantages ?

Le premier est évidemment la vitesse, l'Hyperloop pouvant atteindre 1 200 km/h. Son deuxième atout est son modèle économique. Il n'existe en effet pratiquement aucune société ferroviaire dans le monde qui soit rentable. La plupart d'entre elles, que ce soit le TGV en France ou le métro à Los Angeles, ont besoin d'aides publiques pour subsister. Nous voulons changer cela. L'Hyperloop produisant davantage d'énergie qu'il en consomme, ses coûts opérationnels sont très bas.  

Le coût de sa construction se monte entre 5 et 20 millions de dollars par miles, ce qui est également beaucoup moins cher que pour les trains à grande vitesse. Mais le plus important est que le business model va permettre d'amortir ce coût : ce qui change avec l'Hyperloop, c'est qu'il existe un réel retour sur investissement.

Justement, quel sera le business model ?  Il a été dit dans la presse que l'Hyperloop pourrait être gratuit, est-ce exact ?

"Le coût d'une ligne Hyperloop est moins cher que celui d'une ligne TGV"

Ce n'est pas ce que nous avons dit. La plupart des gens pensent automatiquement à la vente de billets comme principale source de revenus, mais nous envisageons d'autres modèles. Si nous arrivons à trouver des sources permettant de générer davantage de revenus à mesure que des passagers voyagent il sera alors dans notre intérêt qu'il y ait plus de personnes à bord. Pensez par exemple à Google et Facebook. Ils donnent un accès gratuit à des services dont les infrastructures sont pourtant très coûteuses. Pourtant, ils gagnent énormément d'argent.

Toutefois, ce n'est pas nous qui prendrons la décision du modèle de revenus mais les sociétés, souvent détenues par les pouvoirs publics, qui s'occuperont d'opérer les lignes. Néanmoins, nous voulons leur donner l'opportunité de choisir leur business model afin de ne pas avoir à dépendre des aides publiques. C'est une erreur de résumer cela en disant qu'Hyperloop sera gratuit. C'est précisément le contraire ! Nous voulons gagner de l'argent. Pourquoi pas imaginer par exemple que le système soit payant en cas de forte demande et gratuit le reste du temps ?

Et donc adapter le prix à la demande ?

Rappelez-vous, lorsque vous étiez plus jeune et que vous sautiez dans le premier bus qui était bondé alors qu'il y en avait un qui était presque vide juste derrière. Ces sociétés de transport n'avaient aucune idée de qui vous êtes et de l'heure à laquelle vous preniez généralement leur bus. Grâce aux technologies d'aujourd'hui, et notamment au Big Data, il est possible d'optimiser les capacités et d'utiliser les billets pour réguler la demande. Nous serons capables de vous dire : "si vous voulez prendre la première capsule, cela vous coûtera X dollars". Ceux qui auront davantage de temps pourront voyager moins cher ou gratuitement, alors les plus pressés paieront.

Schéma d'une capsule Hyperloop © S. de P. Hyperloop Transportation Technology

La publicité à l'intérieur des capsules pourrait-elle aussi être un mode de rémunération ?

"Un Hyperloop verra le jour à Quay Valley en 2019"

Lorsque les gens pensent à la publicité, ils pensent forcément à quelque chose d'ennuyant. Là aussi nous voulons faire les choses différemment. Les capsules n'étant pas équipées de fenêtres mais d'écrans, nous voyons là l'opportunité d'y intégrer toutes sortes d'images. Imaginez par exemple que vous puissiez voyager dans le monde de Jurrassic World ! Nous pourrons aussi utiliser des technologies d'eye-tracking et de réalité virtuelle pour modifier ces images. Il ne s'agira donc pas de publicités traditionnelles mais d'expériences qui pourront être sponsorisées.

Combien coûtera un ticket ?

Cela dépendra du trajet et du pays. Ce que je peux vous dire, c'est que pour une liaison San Francisco-Los Angeles, qui était la première liaison initialement envisagée, nous étions rentables en 8 ans avec un prix de billet fixé à 30 dollars. Les capsules seront équipées de 28 places en classe affaires et d'environ le double en classe économique.

L'Hyperloop a été choisi pour équiper Quay Valley, une ville futuriste entièrement alimentée par l'énergie solaire qui verra le jour à mi-chemin de Los Angeles et San Francisco. Quand sera-t-il fonctionnel ?

Hyperloop assurera en effet le transport de près de 10 millions de personnes par an, sur une distance de 4.8 miles. Quay Valley disposera de trois hôtels, d'un parc à thème et d'un grand centre commercial. Nous espérons démarrer la construction en milieu d'année et la terminer en 2019.

Vous venez également de signer avec les autorités slovaques pour y construire le premier Hyperloop en Europe. Où en êtes-vous ?

"Elon Musk ne soutient aucune entreprise en particulier"

Nous allons bientôt définir le traçage des routes avec le gouvernement. Nous espérons que le premier Hyperloop slovaque sera en fonction d'ici 2020.  L'idée est de démarrer d'abord avec des destinations nationales sur une distance de 5 à 10 kilomètres. Nous étudierons ensuite la mise en place de liaisons supplémentaires, comme par exemple Brastilava-Vienne ou Brastilava-Budapest. Evidemment, tout cela risque de prendre davantage de temps, car d'autres pays devront être invités à la table des discussions.

Qu'en est-il aujourd'hui de la liaison San Francisco-Los Angeles ? Comment expliquez-vous qu'il soit plus difficile de faire adopter l'Hyperloop aux Etats-Unis plutôt qu'en Slovaquie ?

Nous serions ravis de bâtir cette liaison un jour mais ce n'est plus notre priorité pour le moment. Le projet s'est en effet compliqué à cause des lois pour l'acquisition de terrains. Des régions comme l'Asie, l'Afrique ou le Moyen-Orient rencontrent aujourd'hui de gros problèmes de transport. Il est donc logique et plus simple pour nous de nous tourner en priorité vers ces régions. Pour revenir à la Slovaquie, le pays a toujours su se montrer innovant dans le secteur du transport. Par exemple, la première voiture volante, l'Aéromobile, a été créée en Slovaquie, et la plupart des constructeurs automobiles ont installé des usines là-bas.

Quelle est l'implication d'Elon Musk dans votre projet ?

Elon est déjà très occupé avec Tesla, Space X, et Solar City. Il n'est ni derrière nous ni derrière aucune entreprise en particulier qui travaille sur l'Hyperloop. Mais il soutient la communauté en organisant notamment une compétition Open Source dédiée aux étudiants.

Votre entreprise a la spécificité de ne rémunérer ses employés qu'en stock-options. Pourquoi ce choix et quels sont leurs profils ?

"Nous voulons donner à tout le monde la possibilité d'investir dans l'entreprise"

Sur les 520 collaborateurs impliqués dans le projet, seuls deux d'entre eux sont rémunérés. Tous les autres travaillent au moins 10 heures par semaine en échange de stock-options. Nous avons ainsi des employés de Boeing, Tesla, Space X, ou encore d'Apple qui travaillent pour nous en parallèle de leur job. Parmi nos collaborateurs, il est également possible de trouver des scientifiques à la retraite mais aussi des étudiants, des avocats, des attachés de presse, etc. Tous sont répartis à travers le monde, nous avons même des collaborateurs en France ! Côté organisation, personne ne travaille seul dans son coin. Le travail se fait toujours en équipe. Vos collègues savent toujours sur quoi vous travaillez, et vice-versa.

N'est-il pas trop difficile de mener un projet comme le vôtre avec un tel modèle ?

Tout fonctionne très bien pour la simple raison que chacun est passionné. Nos collaborateurs savent que ce sont eux qui créent la valeur. Bien sûr, ce système n'est pas forcément adapté à toutes les entreprises. Et certains se rendent parfois compte que ce système n'est pas adapté pour eux et que l'implication demandée est trop importante. Pourtant, l'un des problèmes que nous rencontrons est que nous recevons trop de candidatures, en moyenne cinq par jour ! Ce n'est pas simple à gérer car notre volonté est de travailler avec le plus de personnes possible. Nous avons donc récemment mis en place une procédure consistant à tester un candidat en lui confiant d'abord quelques tâches avant de l'intégrer dans une équipe.

Piste d'essai d'Hyperloop © S. de P. Hyperloop Transportation Technology

Comment vous financez-vous ?

Nous avons d'abord demandé à tous les membres de notre équipe s'ils souhaitaient investir dans le projet et plus d'une centaine d'entre eux se sont montrés intéressés. Depuis, près de 600 investisseurs institutionnels, dont des fonds d'investissement, des business angels, des milliardaires, des fonds souverains ont manifesté leur intérêt d'investir. De très gros fonds d'investissement pourront également nous accompagner si besoin. Enfin, les différents partenariats conclus avec des gouvernements représentent une autre source de financement.

Une entrée en bourse est-elle d'actualité ?

"Hyperloop est un mouvement pour inventer le transport de demain"

Nous n'avons pas besoin de devenir une entreprise cotée pour récolter de l'argent mais nous voulons malgré tout le faire pour notre communauté. Les marchés financiers ne sont pas au mieux en ce moment et, même si ce n'est pas notre priorité du moment, nous voulons effectivement donner à tout le monde la possibilité d'investir dans l'entreprise. Car, si vous n'êtes pas riche, vous ne pouvez pas investir dans une société privée aux Etats-Unis.

Avez-vous des projets en France ?

Nous avons effectivement eu des discussions avec la France à la fin de l'année dernière mais cela n'a rien donné de concret pour le moment. Nous sommes un fournisseur de technologie qui propose un mode de transport plus rapide, plus efficace et moins coûteux, et cela suscite forcément de l'intérêt de la part de beaucoup de pays.

La Slovaquie va être l'un des premiers pays au monde à s'équiper de l'Hyperloop. L'Europe est-elle plus ouverte à l'innovation que certains ne le disent ?

Je suis né en Allemagne et je me sens avant tout européen. Nous avons la chance d'avoir d'incroyables ingénieurs en Europe qui sont parmi les meilleurs au monde. Grâce à notre accord avec la Slovaquie, nous espérons nous rapprocher des Européens et leur montrer notre technologie. Ce n'est que le début et nous avons besoin de tout le monde.  L'entreprise n'est ni américaine, ni européenne, ni quoi que se soit : il s'agit avant tout d'un mouvement pour inventer le transport de demain.

Dirk Ahlborn est le CEO Hyperloop Transportation Technologies (HTT), une entreprise créée en 2013 qui ambitionne de bâtir le train supersonique imaginé par Elon Musk nommé 'Hyperloop'.  Il est également le CEO de JumpStarter, une plateforme collaborative dédiée aux entrepreneurs. Dirk a démarré sa carrière en tant que trader au sein de la banque allemande Bankgesellshaft Berlin. Il a ensuite travaillé pour le Girvan Institute of Technology, un incubateur de la NASA.