Mathias Thomsen (Airbus) "Nous testerons nos taxis volants autonomes avec des passagers en 2020"

Le directeur général de la division Mobilité urbaine aérienne d'Airbus explique pourquoi l'industriel veut faire du ciel un moyen de transport en ville.

JDN. Pourquoi un avionneur comme Airbus s'intéresse-t-il au transport en ville ?

Ancien d'Uber, Mathias Thomsen dirige la branche mobilité urbaine d'Airbus depuis novembre 2016. © Airbus

Mathias Thomsen (Airbus). Nous pensons que la mobilité urbaine aérienne a un avenir pour aider les citadins à couvrir de longues distances de transport, par exemple pour aller à l'aéroport ou connecter deux extrémités de Paris. Les gens voudront voler lorsque cela leur permettra de réduire leur trajet en évitant les rues congestionnées, même si cela leur coûte deux fois plus cher qu'un taxi. On pourrait faire en une demi-heure en l'air un voyage qui prend une heure au sol. Par ailleurs, le moment est opportun : de nouvelles technologies comme l'électrification et la conduite autonome, ainsi que la production en série de matériaux composites, permettent de proposer des vols urbains à un prix fortement réduit, avec une amélioration de la sécurité et une réduction du bruit.

Où en êtes-vous dans le développement de ces nouveaux appareils ?

Nous avons conçu deux démonstrateurs d'aéronefs à décollage et atterrissage verticaux (VTOL). Le Vahana, un appareil d'une place, complètement autonome conçu dans notre centre d'innovation de San José, en Californie. Et le City Airbus, qui dispose de 4 places, développé par Airbus Helicopters à Munich. Un peu comme les voitures sans chauffeur de Waymo, il doit pour l'instant être testé avec un pilote à bord, mais le but à terme est de l'automatiser. Nous préparons un vol test fin 2018 avec un modèle à échelle réelle, qui va permettre de valider la viabilité de l'appareil. Nous devrions ensuite réaliser de premiers vols test avec des passagers en 2020. Et nous nous attendons à ce que le marché pour de tels services s'ouvre dans cinq ans.

Serez-vous un simple vendeur d'appareils comme dans l'aviation ou comptez-vous proposer votre propre service de mobilité urbaine aérienne ?

Nous pensons que les règles du jeu changent lorsque les appareils deviennent automatisés. Il est possible qu'Airbus élargisse sa portée dans la chaîne de valeur. Nous avons d'ailleurs commencé à tester la mobilité aérienne à la demande avec des hélicoptères à Sao Polo, via une interface numérique qui dispatche les appareils dans la ville.

Justement, ces services basés sur des hélicoptères sont-ils appelés à disparaître une fois que vos drones seront opérationnels ?

"Nous pourrons tenir la promesse originelle de l'hélicoptère, qui n'a eu qu'un succès limité dans le transport urbain"

Les VTOL comme le Vahana et City Airbus sont des compléments de l'hélicoptère qui réduisent de manière significative le coût des opérations. Lorsqu'on y ajoute l'automatisation, le service se démocratise davantage. Le prix auquel nous pourrons offrir ces services passera de "cher" à "abordable". Nous pourrons ainsi tenir la promesse originelle de l'hélicoptère, qui n'a eu qu'un succès limité depuis les années 50 dans le transport de personnes en ville.

Airbus dit vouloir aider à réduire la congestion dans les villes. Comment comptez-vous produire assez de véhicules et rendre le service assez abordable pour engendrer une utilisation – et une influence sur la congestion– à grande échelle ?

Nous ne pouvons pas régler les problèmes de congestion seuls. La mobilité aérienne viendra compléter d'autres solutions. L'avenir de la mobilité intelligente est dans la multi-modalité grâce à une plateforme numérique qui nous aidera à combiner plusieurs services pour nous rendre d'un point "A" à un point "B". On peut aussi envisager la mobilité aérienne comme un système intégré au transport public. La technologie est extensible et abordable, et la plupart des villes pensent qu'il faudra procéder ainsi pour augmenter leur capacité de transport.

Les réglementations sur les vols de petits drones sont déjà très strictes dans de nombreuses villes, comment pouvez-vous croire que les régulateurs seront plus tendres avec des engins plus lourds transportant des passagers ?

"L'air est un meilleur espace pour l'autonomie que le sol, où il y a beaucoup de piétons et des rues bondées" 

La question intéresse beaucoup les régulateurs. Nous en discutons en ce moment avec l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA). Le problème vient du fait que les drones actuels ne peuvent pas être suivis et contrôlés à distance. Il faudra un espace aérien entièrement automatisé pour que nous puissions développer notre service. Si tous les drones sont automatisés, ils auront le droit de survoler les villes. Nous pensons d'ailleurs que l'air est un meilleur espace pour l'autonomie que le sol, où il y a beaucoup de piétons et des rues bondées, alors que nous sommes habitués aux routes aériennes et à l'automatisation dans l'aviation. Les trajets autonomes pourraient donc débuter plus tôt en l'air qu'au sol.

Airbus se lance sur un marché beaucoup plus concurrentiel, innovant, et qui va demander de nouer des relations avec les villes. Comment l'entreprise s'adapte-t-elle à cet environnement inhabituel ?

Nous avons d'abord lancé un centre d'innovation en Californie l'année dernière qui a  été à l'origine de nombreuses nouveautés, comme le Vahana. Cela nous donne accès à un esprit entrepreneurial de start-up, dans lequel la créativité peut prospérer. Les innovations actuelles dans le secteur aérien font que les gens s'attendent à une nouvelle révolution de l'aviation. Des milliards de dollars sont investis dans des start-up pour qu'elles réalisent de la R&D, alors que ces dépenses étaient habituellement portées par des gros industriels comme Airbus. Nous investissons dans certaines de ces sociétés pour nous assurer que l'industrie peut transformer aussi vite que possible ces nouvelles technologies en services à destination de l'espace aérien. Nous commençons aussi à bâtir l'organisation et les équipes en interne pour réussir dans la mobilité urbaine, car nous sommes habitués à vendre au secteur public, mais pas aux villes.