Aéronautique : comment la double crise sanitaire et climatique peut-elle accélérer la résilience ?

Si l'aéronautique est aujourd'hui sous le choc, avec à son chevet les Etats et leurs plans de soutien, cette mutation peut déboucher sur une résilience à long terme

S’il est un secteur où le monde d’après ne ressemblera pas à celui d’avant, c’est bien le secteur aéronautique. Bouleversé et malmené par la pandémie du coronavirus, au cœur d’une crise plus longue et plus douloureuse que jamais, après des décennies de croissance, il semble aujourd’hui à l’arrêt, comme paralysé par les annonces successives de pertes financières et de licenciements, dans presque tous les pays. 

Sous tension extrême, avec une visibilité nulle sur une reprise à court terme, il est aussi sous pression pour ne pas abandonner ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effets de serre. En France, comme en Autriche ou en Allemagne, les plans gouvernementaux de soutien à l'aéronautique sont liés à des conditions de décarbonation des avions. La France a affiché ses ambitions : se positionner en championne de l’avion du futur,  avec un premier avion à hydrogène neutre en carbone, à l’horizon 2035.  

Mais la route est encore longue. Pour accélérer les mutations technologiques du secteur et équilibrer les efforts considérables des Etats, les industriels doivent donner des contreparties. La double crise du changement climatique et du Covid 19 transformera le visage de l’industrie aéronautique et aérospatiale.  La métamorphose sera radicale. Elle sera aussi, on ose le croire, résiliente.

Comment la Covid renforce l’enjeu environnemental

Les entretiens que nous avons réalisés avec plus de 300 dirigeants de l’industrie aéronautique européens - dont Airbus, sa filiale allemande du Composite Technology Center, l’italien Tecnam, le groupe autrichien Schiebel, pour ne citer que quelques-unes des entreprises… -, en février 2020, montraient déjà que la crédibilité et les enjeux environnementaux étaient, selon eux, au centre de l’avenir de leurs entreprises. 

Depuis, ce "focus vert" s’est accentué : lors des derniers entretiens, en juin 2020, 77% des dirigeants du secteur faisaient de la réduction des émissions le nerf de la guerre. Si la Covid a d’abord pu sembler aller contre les ambitions et les ressources dédiées par les entreprises à la question environnementale, la tendance s’est aujourd’hui inversée : la mobilisation pour protéger le climat s’est accrue, dans l’industrie aéronautique. 

Pour survivre, pas de transition rapide, mais une résilience à long terme

La crise sanitaire pourrait par conséquent avoir des résultats positifs inattendus : flexibilité des chaînes d'approvisionnement, amélioration des processus de fabrication, digitalisation et mutation vers l’internet des objets accélérées. A son actif, aussi,  la  capacité de répondre aux pressions sociales des consommateurs avec des avions plus respectueux de l'environnement. 

Pour survivre, il ne s'agira pas d'opérer une transition rapide, mais de renforcer la résilience à long terme. Cela implique de produire la prochaine génération d'avions : plus légers, plus économes en carburant, moins polluants et plus aérodynamiques. De nouveaux types d'avions, de modèles commerciaux et de chaînes d'approvisionnement vont apparaître. 

Innovation, technologies du futur et rapidité d’accès au marché au centre du jeu 

Parmi les questions importantes qui se posent sur les technologies du futur et l’accès au marché, celles qui permettront d’alléger les avions et d’accélérer leur production. L'innovation dans les structures, les matériaux composites et les alliages devraient attirer des investissements et soutenir une grande partie de l'effort de réduction des émissions de la prochaine génération d'avions. Un avion plus léger, par exemple en titane ou en aluminium, consomme moins de carburant, mais il doit néanmoins être composé de matériaux pouvant supporter des contraintes élevées et des expositions thermiques extrêmes.

De nouveaux procédés reposant sur la numérisation et l’internet des objets, tels que la fabrication additive, non limitée au prototypage mais de plus en plus utilisée pour la production,  joueront un rôle certain dans l’allègement des matériaux et l’efficience des process. Dans le secteur de la défense, chaque gramme économisé sur l’avion permet d’augmenter l’éco-efficacité : endurance et capacité de charge utile. 

Aujourd’hui, l’impression 3D offre déjà la possibilité de traiter les matériaux à une plus grande vitesse, avec moins de déchets, et de comprimer plusieurs composants en une seule pièce ou de livrer des composants recyclables en un temps réduit. Par exemple, pour certaines pièces, de deux ans à deux mois. Elle autorise une plus grande liberté de conception et un gain de poids précieux.  Le tout avec un impact sur la flexibilité de la chaîne, sa souplesse et sur les coûts de production. 

Quand le trafic reprendra, les industries qui continueront à investir dans les matériaux, l’allègement et la durabilité seront celles qui, répondant à la pression croissante de l'opinion, seront les plus crédibles. L’enquête que nous avons menée le démontre, sans aucun doute :  65 % des dirigeants de l’aéronautique interrogés déclarent qu’investir pour innover dans l'efficacité énergétique et la réduction des émissions devra constituer la priorité, malgré la crise du Covid.