Banques et entreprises : quelles relations en période de crise ?

Pour mettre un terme à la relation de méfiance, les établissements bancaaires et les entreprises doivent faire évoluer leur comportements.

Banques et entreprises ont la réputation de ne pas faire bon ménage. Le monde de l’entreprise fait peur aux banques en raison de réglementations  qui les pénalisent souvent. Et les banques font peur aux entreprises … parce que ces dernières ont besoin d’elles et que les établissements financiers gardent le pouvoir de dire « non ». les banques sont aujourd’hui encore assimilées à un  service public, alors qu’elles sont des acteurs privés libres de leurs choix. Médiation, FCDE, gestion de crises, stratégie, restructurations viennent se mêler pour mettre en exergue des difficultés ou des solutions ...

Le contexte de crise et de difficultés économiques n'est pas favorable à la prise de risques ; il est donc normal -et souhaitable- que les banquiers soient devenus prudents. L'évolution du droit et des pratiques a entrainé une recrudescence de procès en responsabilité pour les établissements bancaires qui ont prêté à certains moments très largement et très imprudemment. Prêter est donc devenu dangereux. Les banques sont là pour gagner de l'argent sur des marges en forte diminution à la faveur de la baisse des taux d'intérêts, ce qui a créé de facto un rapport défavorable entre le gain attendu sur une ligne de crédit et le risque de perte.
En fait, banquiers et entrepreneurs ne se connaissent pas. La raison en est simple : les embauches dans les banques se font à la sortie de l'école, sans expérience en entreprise. Bien souvent ces embauches s'effectuent dans le cadre de la convention collective de la banque) Il en résulte une approche très théorique et livresque de l'entreprise qui est analysée à travers une liasse fiscale et des chiffres, et non à travers des critères qualitatifs (la nature de l'activité, les parts de marché, le savoir-faire, le patrimoine...). C'est une véritable « dictature de l'EBITDA » qui vient prendre le pas sur la démarche entrepreneuriale, en ignorant les qualités du dirigeant, et la potentialité d'un projet.

Changement d'interlocuteur bancaire
Si les exploitants bancaires ne sont pas formés au monde des entreprises, ils le sont encore moins aux difficultés de celles-ci, et ce d'autant plus qu'elles sont incomprises de la part d'employés vivant dans un secteur protégé, quasi imperméable aux faillites et  généralement « secouru » par des mécanismes de solidarité ou l'Etat en cas de problèmes. C'est dans cet esprit, les banques ont créé des services « d'affaires spéciales » avec des interlocuteurs dédiés, connaisseurs du droit et des difficultés des entreprises, et à la hauteur des problèmes. Mais ces services engendrent un effet pervers, car leurs collaborateurs n'ont pas de pouvoir d'engagement ; bien au contraire, ils sont là pour les réduire les risques ! Il est malheureusement fréquent d'entendre de la part de responsables du contentieux qu'ils ne participeront pas à la consolidation d'un crédit, par exemple ou à un « new money » car « de toute façon l'encours est provisionné et que cela ne les gêne pas de le perdre ».
Une véritable réflexion doit donc exister au niveau des établissements bancaires dans l'accompagnement des « phases de retournement » qui se révèlent impossibles à financer, ce qui peut être destructeur de valeur sur le plan économique. Même un établissement de service public comme Oséo ne peut intervenir dans des restructurations. Cela est paradoxal, puisque c'est justement dans ces situations que l'on peut généralement sauver de la valeur des emplois.
 
La médiation, un trouble-fête dissuasif
Le plan de soutien à l'économie a créé la « médiation du crédit aux entreprises », instituant ainsi un interlocuteur nouveau, indépendant de la puissance publique, chargé d'aider les entreprises à résoudre les divergences avec le monde bancaire par un dispositif de proximité. Paradoxalement, la médiation n'est pas forcément bien vue par les banques qui dégradent les entreprises y faisant appel (ou les font migrer aux affaires spéciales). Cependant, la médiation a eu un effet très dissuasif et a permis des déblocages heureux (avec un taux de réussite de deux dossiers sur trois), dans un esprit de construction et de proposition. On a pu constater également que bon nombre de banques ont procédé à une sorte de prémédiation pour apporter une issue favorable à des dossiers aux risques jugés supportables, ce qui constitue un succès indirect et indéniable de la médiation, venant s'additionner aux 8 000 sociétés qui ont bénéficié de 1,65 milliards d'euros de crédits (soit 160 000 emplois sauvés).
La pérennité de ce dispositif, très bénéfique pour les PME souvent désarmées face à leurs banquiers, est une bonne chose pour la réactivité des entreprises.

Manque d'acteurs publics du financement
La crise a provoqué une culpabilité des banques dans la situation économique actuelle, alors qu'elles sont avant tout des acteurs privés libres de leurs choix et de leurs politiques, sans aucune vocation de service public. Or, les banques publiques n'existent plus et Oséo intervient surtout en contre-garantie (encore faut-il trouver préalablement une banque prêteuse...) et pas en financement (ce qui est dommage).
S'il n'est pas sain de financer des pertes, il peut être légitime de financer un retournement, en mêlant dans ce cas fonds propres et endettement. Les entreprises françaises souffrent d'une véritable faiblesse de fonds propres, au contraire des entreprises allemandes (car leurs banquiers y ont des participations en capital de longue date). Le nouveau Fonds de consolidation et de développement des entreprises (FCDE) a d'ailleurs pour but de soutenir des PME qui doivent faire face à un trou d'air dans le contexte dépressionnaire de ces derniers mois.
Il manque donc clairement en France un acteur du financement à destination des PME mais aussi un véritable dispositif de financement des restructurations.
 
Retour au client créateur de valeur

Accéder au crédit nécessite une évolution dans les rapports entre les banques et les entreprises :
- les entreprises doivent apprendre à « se vendre » et à constituer des dossiers complets, en établissant des prévisions d'activité et de rentabilité, fiables et réalistes ;
- ces prévisions doivent pouvoir être appréciées par les banques sous l'angle du point mort de l'entreprise mais aussi de « stress tests » (ou de « crash tests »), pour simuler les conséquences en cas de non-réalisation de tel ou tel paramètre ;
- ce n'est pas un plus grand laxisme dans l'examen du risque qui est attendu, mais bien une appréciation différente, plus complète, avec un élargissement à des critères qualitatifs ;
- les comités de crédit et les centres d'affaires doivent retrouver la proximité autrefois dévolue aux agences locales, en voie de disparition. Cette crise a rendu frileux, mais elle va peut-être mettre fin à la concurrence qui a eu tendance à tuer les pools bancaires : partager les bénéfices, certes, mais partager les risques également, comme savent le faire naturellement les compagnies d'assurance.
Finalement, il ressort, que le monde bancaire doit retrouver la notion de client créateur de valeur, et que le crédit sera d'autant plus facile à obtenir que les fonds propres auront été renforcés en amont. C'est là où les pouvoirs publics doivent porter leur attention, pour que les fonds d'investissement sortent de leur léthargie provoquée par une dictature du TRI ( taux de rentabilité interne), au détriment d'une vision créatrice à plus long terme.