La PME a-t-elle sa place en France ?
Au-delà des invocations convenues lors des rendez-vous électoraux, peu de choses ont réellement changé pour les PME depuis trente ans. Il est malheureusement à craindre qu’il en soit de même pour les cinq années à venir.
Comme lors de chaque élection présidentielle, les PME et ETI ont été au cœur des débats économiques. Une fois de plus tous les candidats se sont accordés à souligner l’importance des entreprises de taille moyenne pour le tissu industriel français, et le retard de notre pays dans ce domaine par rapport à nos voisins. Cependant, au-delà des invocations convenues lors de ces grands rendez-vous, force est de constater que peu de choses ont réellement changé pour les PME depuis trente ans. Il est malheureusement à craindre qu’il en soit de même pour les cinq années à venir.
Passé une certaine taille
(50 employés), les PME françaises sont soumises, peu ou prou, aux mêmes
contraintes et aux mêmes réglementations que les entreprises plus importantes.
La gestion des ressources humaines chez France Télécom ou Renault
déclenche-t-elle une malheureuse vague de suicides chez leurs salariés, et ce sont
des milliers d’entreprises de taille moyenne qui doivent travailler sur un plan
d’urgence de lutte contre le stress au travail. Des disparités de salaire entre
hommes et femmes sont-elles constatées dans tel ou tel grand groupe, les
directions de toutes les PME sont invitées à élaborer rapidement un plan
d'égalité hommes/femmes ? Un patron du CAC40 abuse de stock-options ou se verse
une rémunération indécente et c’est une nouvelle avalanche de réglementations
tatillonnes qui s’abat immédiatement sur des milliers de chefs d’entreprise
dont les salaires dépassent rarement ceux des médecins spécialistes.
Face à la loi et aux
contraintes administratives, les entreprises
grandes ou moyennes sont traités de la même manière mais cette égalité
de façade s’efface totalement lorsqu’il s’agit d’activités économiques.
De nombreuses petites
« Grandes Ecoles » irriguent parcimonieusement le sommet de la
pyramide des entreprises françaises avec leurs jeunes diplômés. 400
polytechniciens sont produits avec constance chaque année. Leur effectif n’a
pas augmenté depuis 50 ans malgré le doublement de la population française. Dès
leur sortie, ils sont immédiatement happés par la haute fonction publique ou
les entreprises du CAC40 quand ils ne sont pas dévoyés par la finance
internationale plus rémunératrice. Cette pénurie d’ingénieurs de haut niveau
prive les entreprises de taille moyenne de nombreux talents. Elles sont
contraintes de s’en passer ou de les trouver à l’étranger lorsque les lois
françaises sur l’immigration ne leur interdisent pas de le faire.
La commande publique
française n’est accessible aux PME qu’au prix de coûts commerciaux prohibitifs.
Elle oblige nos équipes commerciales à travailler trois à cinq fois plus pour
un appel d’offre public que pour une affaire commerciale privée, sans avoir
jamais la certitude que le projet sera finalement réalisé. Les règles de
transparence apparente empêchent également les entreprises moyennes de mettre
en valeur leur savoir-faire et leur contribution à l’économie locale. Le diktat
du moins disant financier favorise les grands groupes rompus aux arcanes de la
commande publique et pouvant activer des réseaux conduisant très souvent à la
fuite des emplois hors de France. Face à cette situation, l’idée d’un
« Small Business Act » à la française est souvent évoquée… pour
retomber régulièrement dans les oubliettes des programmes politiques.
De leur côté, les grandes
entreprises françaises pourraient être un facteur formidable de développement
des ETI, y compris à l’international où, comme chacun sait, se déroule la vraie
compétition pour la création de valeur et la croissance. Les grands groupes
allemands appliquent parfaitement ce principe, et appuient fortement leurs
succès internationaux sur un tissu de partenaires impliquant directement de
nombreuses ETI et PME qui font à la fois leur force et leur capacité
d’innovation. A l’opposé, les grands groupes français sont généralement
hermétiques à l’offre des PME nationales et préfèrent travailler avec d’autres
grands acteurs. Cela contraint les PME à ne vendre qu’à d’autres PME, les
privant ainsi d’un flux d’activité et de références prestigieuses qui
pourraient leur servir sur d’autres marchés. Cet ostracisme est-il un effet de l’extrême centralisation de notre
pays ? De la concentration des élites dans un nombre restreint
d’entreprises ou de corps administratifs? D’une aversion au risque
caractéristique des sociétés sclérosées ? Je n’ai pas la réponse mais
force est de constater que cela ne constitue pas un environnement favorable
pour le développement des PME et qu’il ne contribue pas à l’émergence de
nouvelles grandes entreprises en France.
Ce sont les raisons pour
lesquelles l’entreprise que j’ai créée et que je dirige s’est rapidement
tournée vers l’international. Outre les
opportunités de marché apportées par un développement à l’étranger, le « made
in France » y semble paradoxalement plus apprécié qu’en France. En 27 années
d’existence, nous avons accumulé quatre fois plus de grandes références
publiques à l’international qu’en France (Mairie de New York, Maison Blanche,
Sénat américain, Police anglaise, Armée Allemande, Ministère des Affaires Étrangères de Singapour, pompiers d’Australie, …). Il en va de même pour les
grandes entreprises privées. Nos solutions équipent des multinationales comme
Samsung, Sony, Johnson& Johnson, Whirlpool, Hertz, Microsoft, Honeywell,
ABB, GE, Abbot, Eli Lilly, BASF mais fort peu d’entreprises du CAC40 (5 au
total). A titre de comparaison, notre taux de pénétration du Fortune 500 américain
est proportionnellement deux fois supérieur à celui que nous avons avec le
CAC40.
Paradoxalement, une PME
française vend plus facilement à des grands comptes lorsqu’elle travaille hors
du territoire français. Ces grandes sociétés, souvent marquées par la culture
économique anglo-saxonne, ne semblent pas soumises aux mêmes préjugés que
l’establishment étatique et industriel français. Seules comptent pour elles la
qualité des produits et des services proposés, leur adéquation à des besoins
avérés et la valeur apportée, éléments sur lesquels les PME françaises n’ont
pas à rougir vis-à-vis de leurs concurrents internationaux. Ce dernier point
sera aisément confirmé, pour ce qui concerne mon entreprise, par les grands
groupes français visionnaires qui travaillent avec nous, parmi lesquels je
citerais, Sanofi, Valéo ou France Télécom.
Bien entendu, il serait
inexact de dire que les affaires se font facilement hors de France et que
l’international est un paradis pour les PME françaises. La concurrence y est
féroce, les clients sont exigeants et difficiles d’accès, les cycles de ventes
y sont longs et complexes. Cependant, même si les contrats ne se signent pas
facilement, le succès est possible et aucun plafond de verre ne vient vous
rappeler votre taille et votre statut.
Il arrive que nos démarches
commerciales nous amènent à approcher les filiales étrangères de grands groupes
français. Ironiquement, leur comportement est proche des grandes entreprises
étrangères et nous comptons désormais davantage de filiales de grands comptes
français parmi nos clients à l’étranger qu’en France.
La bonne nouvelle c’est que ces filiales de grands groupes français à l’étranger nous permettent souvent d’entrer en contact avec le siège social parisien, autrefois inaccessible. C’est cependant un bien long chemin de passer par Sydney pour vendre à Paris et cela même si nul n’est jamais prophète en son pays.
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* Editeur de logiciels créé en 1985, Esker réalise 66% de ses 36,3 millions d’euros de chiffre d’affaires à l’international, ce qui fait d’elle une des PME françaises les plus présentes à l’international. Organisée comme une véritable multinationale, Esker réalise proportionnellement deux fois plus de chiffre d’affaires avec les sociétés du S&P 100 aux Etats-Unis qu’avec les sociétés du CAC 40.
** Source : KPMG, Mars 2012, « Voyage au cœur des ETI : stratégie de conquête »