Quand le Droit des marques tombe sur un os
"Temps de chien pour le droit des marques !". Voici ce que le juriste pourrait légitimement s'exclamer à la lecture de l'arrêt rendu le 14 mars 2013 par la Cour d'appel d'Aix en Provence.
L'affaire opposait deux gérantes de centres de
toilettage pour nos amis à quatre pattes. La première, basée à Plan-de-Cuques
près de Marseille, exerçait ses activités sous la dénomination sociale
"FASHION DOG" depuis le 18 avril 2008 et était titulaire d'une marque
semi-figurative "FASHION DOG" déposée le 11 février 2009 pour viser
certains services de la classe 44, en particulier le toilettage canin et félin.
La seconde exploitait un centre directement concurrent basé pour sa part à
Marseille et exerçant ses activités sous la même enseigne "FASHION
DOG" depuis le 27 octobre 2008.
Il y avait donc un "FASHION DOG" de trop sous
le soleil des Bouches-du-Rhône et il n'a guère fallu de temps pour que l'un des
deux centres de toilettage montre les crocs. La première gérante s'est en effet
plainte de cette situation par le biais d'une lettre de mise en demeure
adressée à sa bête noire. Cette dernière a immédiatement modifié sa
dénomination sociale, devenue "LILLIPUCHIEN", sans toutefois modifier
l'enseigne de son magasin, demeurée "FASHION DOG", ainsi que cela
avait été constaté par voie d'huissier.
La société FASHION DOG, d'humeur mâtine, avait
alors assigné la société LILLIPUCHIEN devant le Tribunal de grande instance de
Marseille pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale. Déboutée en
première instance, elle avait interjeté appel du jugement et c'est la raison
pour laquelle l'affaire devait être tranchée par les conseillers aixois.
Pour se défendre, la société LILLIPUCHIEN soutenait
en premier lieu que la marque "FASHION DOG" était nulle car elle
avait été déposée alors qu'elle-même exerçait ses propres activités sous une
enseigne homonyme antérieurement au dépôt. L'argument manquait toutefois d'un
peu de mordant.
Certes, l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose qu'un signe ne peut être adopté comme marque portant
atteinte à une dénomination sociale s'il existe un risque de confusion dans
l'esprit du public. En l'espèce, la marque "FASHION DOG" était bien "antériorisée" par la première
dénomination sociale de la société LILLIPUCHIEN… mais cette dernière était
également "antériorisée"
par la dénomination sociale de la SARL FASHION DOG.
Dans ces conditions, la Cour a considéré que la
société LILLIPUCHIEN ne pouvait pas valablement solliciter la nullité de la
marque "FASHION DOG" pour indisponibilité, dès lors qu'elle-même ne
disposait d'aucun titre privatif sur ce signe au jour du dépôt de la marque.
Toutefois, l'arrêt rappelle fort justement que
l'enseigne n'est constitutive de contrefaçon que si la marque invoquée est
valable. Si la société LILLIPUCHIEN ne pouvait invoquer l'indisponibilité du
signe, elle a eu, en revanche, l'idée de soulever la nullité de la marque,
faute de caractère distinctif.
Il est constant en effet que, pour être valable,
une marque doit être de nature à distinguer les produits et services qu'elle
vise et sur lesquels elle est apposée de ceux d'entreprises concurrentes. Le
caractère distinctif de la marque s'oppose au caractère générique ou même
nécessaire d'un signe. Le signe "FASHION DOG" est-il distinctif eu
égard aux services qu'il vise ? La Cour d'appel d'Aix en Provence a considéré
que ce n'était pas le cas. Selon l'arrêt, "l'élément
nominal de la marque ne présente pas de caractère distinctif dès lors que les
termes FASHION DOG, qui signifient "mode pour chien", sont génériques
au sens de l'article L. 712-2 du Code de la propriété intellectuelle".
Les nombreux usages constatés par la société
LILLIPUCHIEN, notamment sur internet, auraient pu mettre la puce à l'oreille de
FASHION DOG, comme l'a retenu la Cour. Toutefois, il avait été jugé quelques années plus
tôt par le Directeur général de l'INPI que le signe "PARIS FASHION"
était bien distinctif pour désigner des vêtements, même s'il ne l'était que "faiblement" (Opp. n° 06-1177, "PARIS FASHION" /
"PARIS FASHION WEEK").
Et en
réalité, il n'est pas du tout évident que le signe "FASHION DOG" soit
générique, contrairement à ce que la Cour a jugé. Le caractère générique ne s'apprécie
pas dans l'absolu mais au vu des produits et services concernés. En tout état
de cause, il ne s'agit pas d'une expression nécessaire ni même désignant une
caractéristiques des services de toilettage. Le signe "FASHION DOG"
appliqué à des services de toilettage pour chien n'est en réalité que
faiblement distinctif, étant précisé que l'analyse de la Cour n'a pas tenu compte
des éléments figuratifs de la marque.
Au
demeurant, si le signe fait l'objet de multiples usages, il convient
d'apprécier de sa distinctivité au jour du dépôt et non au jour où le juge se
place pour trancher le litige. En somme, la Cour n'a pas su saisir la balle au
bond et rectifier l'erreur d'analyse des juges de première instance.
Pis, la
Cour a également débouté la société FASHION DOG au titre des actes de
concurrence déloyale, au motif que l'usage d'une enseigne identique pour
désigner des prestations identiques ne serait pas fautif "compte tenu de sa brièveté et de l'absence de tout préjudice".
Une telle motivation ne manque pas de surprendre, puisque, la contrefaçon
n'ayant pas été retenue, la Cour aurait dû se demander si l'usage d'une
enseigne identique, dans les conditions précitées, n'était pas, effectivement,
un fait fautif de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du
public.
La brièveté
et la prétendue absence de préjudice sont des critères de nature à limiter
l'indemnisation, mais pas à exclure catégoriquement l'existence d'actes de
concurrence déloyale.
En somme, voici une décision qui manque singulièrement de flair !