La coproduction franco-brésilienne par Sébastien Lachaussée, Avocat et Victoria Poncet, Stagiaire

Le Brésil a vu son paysage audiovisuel se métamorphoser. Le nombre de salles de cinéma et de spectateurs a augmenté, et la numérisation du parc des salles s’est accélérée. Il s'agit de voir ici en quoi le Brésil est un partenaire de choix pour les producteurs français.

 

Signé le 18 mai 2010 par la présidente du CNC de l’époque, Véronique Cayla, et son homologue brésilien, Manoel Rangel, directeur président de l’ANCINE, autorité compétente brésilienne, l’accord de coproduction entre la France et le Brésil

prévoit tout d’abord des mesures classiques en matière de coproduction cinématographique. Ainsi l’œuvre coproduite via cet accord est considérée comme nationale aux yeux des deux Etats, ce qui lui permet de bénéficier des avantages procurés par chaque autorité compétente, et les tournages réalisés sur les territoires français et brésiliens ainsi que les équipes techniques composées de nationaux sont une condition sine qua none du bénéfice de l’accord.

 Les précédents accords entre la France et le Brésil se penchaient tout particulièrement sur les rapports entre coproducteurs, visant à imposer un équilibre minimum. La nouveauté de l’accord de 2010 réside donc en une révision pragmatique de ce minimum puisqu’il tolère désormais une part minoritaire de coproduction de 10% et réciproquement une part majoritaire de 90%. Cette mesure est cependant voulue comme exceptionnelle, puisqu’elle doit être autorisée par chacune des institutions, à défaut de quoi seul le « droit commun » de l’accord restera applicable, soit une part de coproduction minoritaire de 20% au minimum. Les coproducteurs devront justifier que leurs contributions respectives sont effectivement « déséquilibrées », car l’accord rappelle que la répartition doit correspondre à une réalité et que chaque coproducteur doit contribuer à l’une des conditions du bénéfice de l’accord. A cet effet, les institutions contrôlent cet équilibre de la coproduction tous les deux ans. Afin d’aider les coproducteurs à remplir les obligations de l’accord, celui-ci prévoit également que chaque état facilitera la libre circulation du matériel de tournage et des équipes, ainsi que le libre séjour de ces dernières.

Malgré cette bonne volonté de coopération, il s’agit de marier les paysages audiovisuels de ces pays qui sont bien différents. Car si les deux états se distinguent d’abord de par la taille de leurs territoires, le Brésil n’a produit que 127 films en 2013 contre 270 en France. Disposant d’un parc de salles très faible au regard de son territoire, l’audiovisuel brésilien est essentiellement porté sur la télévision et notamment les telenovelas qui s’exportent vers plus de cent pays à travers le monde et dégagent la majorité des recettes publicitaires du pays. Parallèlement le problème d’accès au salles, toutes concentrées dans les mêmes régions qui concentrent également les forces de production, et le prix élevé des billets font que peu de brésiliens se rendent dans les salles obscures (en 2009, 82% des brésiliens disaient ne jamais y être allé). Ce contexte a affaiblit la diversité cinématographique du pays puisque la part de marché en nombre de spectateurs des films non brésiliens et non anglo-saxon est passée de 10% en 2009 à 2% en 2011, l’audience du pays se focalisant à 79% sur les films anglo-saxon et à 19% sur les films nationaux. Quant aux films nationaux ils sont essentiellement le fruit de productions commerciales issues de la concentration des investisseurs qui bénéficient d’un accès privilégié aux salles du pays.

 L’accord de coproduction entre la France et le Brésil présente par conséquent un grand intérêt, puisqu’en bénéficiant de la nationalité brésilienne, les coproductions pourront bénéficier des mesures de soutien mises en place par l’ANCINE. Aussi, avant la signature de l’accord pratqiquemment aucune coproduction franco-brésiliennes ne voyait le jour, alors que depuis un à deux films par ans ont été coproduits entre les deux pays et que les projets sont plus nombreux ces dernières années.

L’accord présente également un intérêt en ce que le Brésil dispose d’un système de financement du cinéma tout aussi atypique qu’efficace. Mis en place au début des années 90 suite à un échec du cinéma national face à la concurrence des pays étrangers, la loi dite Rouanet permit une renaissance de celui-ci en mettant en place une culture du sponsoring privé par des mécanismes de déductions fiscales. Ainsi le financement du cinéma brésilien est adossé sur trois mécanismes aux succès déséquilibrés :

Le Fonds du Secteur Audiovisuel (FSA) correspond tout d’abord à un soutien direct sélectif. Crée en 2006 par une loi fédérale, il fournit une aide financière aux programmes et projets liés à l’Industrie de l’Audiovisuel Brésilien par le biais d’appels à projets. Les ressources du FSA proviennent principalement du CONDECINE (Contribution au Développement de l’Industrie Cinématographique Nationale) qui est une taxe appliquée à la diffusion, à la production, à l’octroi de licences et à la distribution de films et d’œuvres en vidéo, à des fins commerciales. Le FSA fonctionne selon quatre lignes budgétaires : la production indépendante de long-métrages et de programmes audiovisuels, l’acquisition de droits de distribution, le marketing  et la distribution de longs métrages. Si ce mécanisme constitue une part minime du financement du cinéma brésilien (32% en 2010 selon l’Ancine), il a toutefois le mérite de soutenir un cinéma plus exigeant face aux productions commerciales issues des incitations fiscales. Il est à noter que l’Ancine a également mis en place deux soutiens automatiques fonctions des résultats au box office des films brésiliens ainsi que de leur succès dans les festivals internationaux, qui fonctionnent également par le biais d’appels d’offre : Il s’agit du Prix du Box Office (seuil d’entrées en salles) et du Programme d’Incitation à la Qualité (seuil de points obtenus dans une sélection de festivals). Les ressources distribuées par ces programmes à la production, à la distribution et aux sociétés d’exploitation doivent être réinvesties dans l’industrie. Malheureusement ce soutien automatique ne représentait en 2010 que 3% du financement public dans le secteur.

 Les FUNCINES (Fonds de Financement de l’Industrie Cinématographique) sont des fonds fermés administrés par des institutions financières brésiliennes, agrées par leur Banque Centrale, dont les capitaux doivent être investis dans des projets approuvés par l’Ancine, tendant à soutenir la production, la distribution et l’exploitation. Les entreprises peuvent ainsi déduire jusqu’à 3% des fonds investis en FUNCINES de leur IS, en échange d’une participation aux résultats et de la promotion de leurs marques. Les particuliers peuvent quant à eux déduire jusqu’à 6% des fonds investis de leur IR.

 Les incitations fiscales, soutien public indirect au secteur cinématographique, restent la source principale de financement dont elles représentaient 65% en 2010. Mises en place en 1991 par la loi Rouanet et en 1993 par la Loi de l’Audiovisuel, elles sont très diverses. La loi Rouanet a mis tout d’abord en place une déduction d’impôt au bénéfice des entreprises comme des particuliers, respectivement de 4 et 6%, qui investissaient sous forme de parrainage ou de donation dans la production d’œuvres cinématographiques brésiliennes indépendantes. Si cette loi existe toujours, elle est toutefois rarement utilisée par les porteurs de projets qui ont généralement recours aux mécanismes proposés par la Loi de l’Audiovisuel. Ainsi, l’article premier de la Loi de l’Audiovisuel autorise tout d’abord une déduction d’impôt de 3% pour les entreprises et de 6% pour les particuliers en cas d’investissement dans l’acquisition de droits de commercialisation d’un projet Audiovisuel. Ce mécanisme, applicable à la distribution, l’exploitation et la production d’œuvre cinématographiques brésiliennes, autorise les entreprises à toucher une part des recettes enregistrées par le producteur du film. L’article 1 A de la même loi autorise également une déduction d’impôt de 4% pour les entreprises et de 6% pour les particuliers en échange d’investissements en tant que mécène dans la conservation, la distribution, l’exploitation, la diffusion et la production d’œuvres cinématographiques brésiliennes indépendantes. La différence du mécénat implique ici que les investisseurs ne puissent pas tirer profit des recettes du film aidé, ce qui explique probablement la déduction plus importante accordée aux entreprises. L’article 3 de la loi met quant à lui en place des abattements. En effet, selon la loi brésilienne, les contribuables touchant des revenus issus de l’exploitation d’œuvres audiovisuelles étrangères au Brésil sont sujets à une taxe de 25%. Cette taxe touche ainsi les chaînes de télévision, tant nationales qu’étrangères. L’article 3 leur offre toutefois un abattement de 70% sur cette taxe si ces ressources sont investies dans le développement de projets audiovisuels brésiliens. Ce mécanisme eu l’intérêt d’inciter les collaborations entre les industries du cinéma et de la télévision dans la production et la coproduction d’œuvre audiovisuelles indépendantes brésiliennes sans imposer d’obligations de production aux chaînes. Une loi de 2001 exempta également les programmateurs internationaux de télévision ayant des parts sur le marché télévisuel brésilien de 11% du CONDECINE sous condition d’investissement du montant équivalent à la déduction dans la (co)production d’œuvres audiovisuelles brésiliennes de production indépendante.

Coproduire avec une société de production brésilienne peut donc s’avérer intéressant du point de vue d’un producteur français dans le sens où la levée de fonds se fera assez naturellement dans ce pays. Il convient toutefois de rappeler que le Brésil n’exploite pas encore son marché autant que son territoire le lui permettrait en raison d’une concentration tant géographique que financière des investisseurs et des exploitants, ce qui ne laisse pour l’instant qu’une bien petite fenêtre de diffusion à un cinéma d’auteur brésilien pourtant historiquement prolifique.