Journal du Front de la transformation digitale

Faire le tri et fixer les priorités, adapter l’approche à la nature des initiatives, justifier les investissements et choisir le bon pilotage central sont les problématiques fondamentales d’une transformation digitale.

En matière de transformation digitale, l’image de l’iceberg revient souvent. Au-dessus de la surface, des apps élégantes et des données pleines de sens, qui produisent de nouveaux revenus, abaissent les coûts et améliorent l’expérience des clients. 

Au-dessous, une informatique qui doit devenir plus agile, des collaborateurs qui doivent s’adapter au pas de charge, une masse de données protéiformes à dompter, des compétences à acquérir, des investissements à engager et de redoutables casse-têtes stratégiques. La partie immergée donne à la transformation le lest dont elle a besoin ou constitue l’écueil sur lequel elle se fracasse.

Nous avons voulu redonner la place qu’ils méritent aux enjeux de transformation, trop souvent négligés dans le discours sur la digitalisation. 

C’est pour répondre à cette quête que nous lançons aujourd’hui dans le JDN une série de quatre articles, simples notes de praticiens et sorte de "Journal du Front" de la transformation digitale. Le premier abordera les questions fondamentales de la gouvernance digitale : qui décide, qui fait, qui paie ? Le second décrira les évolutions nécessaires de l’informatique et les enjeux de maîtrise des données. Le troisième proposera des pistes pour aider les collaborateurs à trouver leurs marques dans un univers plus technologique. 

Le quatrième montrera comment une entreprise traditionnelle peut s’entourer d’un écosystème digital pour innover. A une époque où les groupes traditionnels redoublent d’efforts sur le front numérique, rien ne remplace le partage d’expérience pour trouver des idées et progresser. 



Gouvernance digitale, qui décide, qui fait, qui paie ?

" Comment ne pas prendre du retard ?" Face à la révolution digitale, cette question taraude nombre de nos clients dans l’industrie et les services. Dans la majorité des cas, des initiatives digitales ont déjà commencé à bourgeonner sur le terrain, imaginées par des managers inventifs. Mais peu visibles et sans budgets officiels, ces bonnes idées peinent à se concrétiser ou se généraliser. 

Les états-majors s’inquiètent du manque de cohérence et d’intégration avec l’informatique, des problèmes de qualité et des sujets non traités face à l’émergence continuelle de concurrents disruptifs, qui menacent le cœur de métier. Ces entreprises ont atteint un point critique de leur transformation digitale. L’impératif d’agilité et de transversalité se heurte à leur modèle traditionnel. De quelle gouvernance doivent-elles se doter pour avancer ?

Faire le tri et fixer les priorités

Dans un grand groupe, la quête d’agilité a un coût et ne dispense pas de règles du jeu claires. La technologie ne vient pas gratuitement. Cela commence par un diagnostic précis sur les manières dont le digital affecte l’activité, sur le rythme et l’intensité des changements à venir. Oui à la rencontre avec des entrepreneurs et des fonds de venture capital, oui aux hackatons, ces ateliers qui permettent d’imaginer comment la technologie va révolutionner votre supply chain ou l’expérience de vos clients. Mais très vite, il faut faire le tri. Plusieurs questions permettent de catégoriser les opportunités digitales avant d’aller trop loin : ces projets supportent-ils la vision de l’entreprise, vont-ils toucher toute l’organisation ou un champ limité ? Exigent-ils des compétences pointues ? Sont-ils exploratoires ou déjà incontournables ? 

Adapter l’approche à la nature des initiatives

Trois cas de figures se présentent fréquemment : 

Parfois l’initiative digitale n’a d’intérêt que pour une division. C’est alors à celle-ci de décider, de financer et de mettre en œuvre le projet.  Eventuellement, le siège social pourra appuyer cet effort avec un peu de "seed funding" (financement du démarrage d’activité) ou une assistance technique ad hoc afin de passer rapidement de l’idée à l’action.

Parfois, le projet intéresse toute l’entreprise. Il requiert alors une forte traction centrale, assortie d’un parrainage du comité exécutif, d’un financement du groupe et d’une collaboration étroite avec l’informatique. Ce sera le cas, par exemple, d’une app de productivité à l’usage de tous les employés, ou d’un système de "master data management" visant à définir l’architecture, le stockage et la gestion des données. Même si l’impératif d’agilité  exige un pilotage très local, le support doit venir du sommet de l’organisation.

Parfois, le sujet peut toucher une question stratégique majeure pour l’entreprise, telle que l’attitude à adopter face à une plateforme de désintermédiation, à  une technologie qui remplace le contenu humain de votre métier ou un modèle  qui "ubérise" votre activité. Quand bien même le sujet n’est pas tout à fait mûr, il est déterminant pour votre futur. Il est donc important de travailler avec l’équipe stratégie du groupe en mode "agile", selon un processus beaucoup plus rapide et créatif que le cycle traditionnel de planification.

Justifier les investissements

Choisir ses priorités digitales, soulève la difficile question de la justification financière. On ne peut calculer un ROI précis et exhaustif de la transformation digitale avant de se lancer… pas plus que l’industrie hôtelière n’aurait pu mesurer exactement l’impact d’AirBnB il y a trois ans ! Les dépenses digitales sont souvent transverses à plusieurs projets et difficiles à allouer.  Le rythme d’invasion des nouveaux modèles est peu prévisible.  Seul palliatif à ces difficultés : la construction, initiative par initiative, d’un business case robuste identifiant méthodiquement les principaux leviers de création de valeur. Cette app va-t-elle nous permettre de nous différencier de nos concurrents, de mieux fidéliser nos clients, de générer des revenus supplémentaires, de baisser nos coûts ? Quel manque à gagner si nous laissons le champ libre aux disrupteurs ? Combien devrons-nous dépenser en développement, en prototypage et en formation ? Un contrôle financier rigoureux est ensuite nécessaire pour suivre ces investissements et ce qu’ils rapportent.

Choisir le bon pilotage central 

Une bonne gouvernance digitale passe-t-elle enfin par la mise en place d’un Chief Digital Officer et, si oui, pour quoi faire ? Tout dépend bien-sûr du point de départ ! Si le niveau de maturité digitale de l’entreprise est faible, si les perturbations anticipées sont importantes, si surtout le degré d’engagement de la direction est élevé, alors le CDO peut constituer un accélérateur précieux. Plusieurs modèles sont envisageables : du simple agitateur qui sensibilise la direction sur ce qui se passe à l’extérieur, apporte des idées et de la formation… au pilier de la transformation qui arbitre des priorités, contrôle des budgets et prend directement en charge certains projets. Il n’y a pas une seule bonne réponse mais des conditions indispensables au succès. Plus la mission confiée au CDO est importante, plus le support de la direction générale doit être visible et constant.

Un bon CDO apportera la crédibilité et le tact nécessaire pour faire coopérer différentes parties de l’organisation, sans jamais se substituer aux managers opérationnels, propriétaires ultimes des futurs processus digitaux. Dans un grand groupe, il aura tout intérêt à fédérer et animer une communauté de « convertis » proches du terrain. Notons toutefois que de nombreux grands groupes, notamment américains, progressent aujourd’hui rapidement sans CDO, leurs managers ayant complètement intégré la dimension digitale dans leur stratégie et réuni les compétences nécessaires pour mener à bien leurs projets.

Nous venons de voir trois points clés de gouvernance d’une transformation digitale : mettre en œuvre une approche différenciée par type d’initiatives, apporter une justification financière rigoureuse par projet et faire ou non le choix d’un CDO. Dans le prochain article de notre Journal du Front, nous nous concentrerons sur deux facteurs critiques d’accélération ou de blocage : le rôle de l’informatique et l’enjeu stratégique de la maîtrise des données.

Ecrit en collaboration avec Virginie Flam