Petit traité de changement amical : le paradoxe

Qu’un changement puisse avoir des conséquences amicales tient à presque rien. A l’opinion que nous avons de l’autre.

Après guerre, le mot changement était amical ! Cette chronique présente la plus simple de ces techniques du passé : le paradoxe. Et, elle se demande pourquoi le changement peut être, ou ne pas être, amical…

Le changement du changement 

Nos techniques de changement ont changé. Après-guerre, on ne parlait que "plein emploi". Souvenir de la crise de 29 et du nazisme, mais aussi menace soviétique ? Le changement devait être heureux : la crise produisait le totalitarisme, son antidote était la prospérité. Puis, années 60, excès de prospérité ? La société n’aspire qu’à la satisfaction de ses aspirations individuelles. Une idée des Lumières revient : le marché est auto régulateur. Une société aux mains du marché n’a pas besoin de chefs. L’homme est libre ! La "Nouvelle économie" affirme que c’est du marché, de la concurrence, qu’émerge l’innovation. La littérature du management explique comment transformer une entreprise en marché. Nous allons être éternellement riches et heureux. Y a-t-il des preuves, dans l’histoire, de ces affirmations ? C’est le propre des mythes de se moquer de la vérité. 

Les lois de la jungle

L’Anglais a deux façon de dire "diviser pour régner" : "divide and rule" et "divide and conquer". Mais, la traduction de "l’union fait la force" le laisse perplexe. Il a appliqué "diviser pour régner" partout : à l’Europe, à ses colonies, récemment à lui-même. "Diviser pour régner" casse le lien social et produit le conflit, la concurrence. Le propre du marché. La recette du changement ? Coupez les vivres à une organisation. La lutte pour la survie dissout les solidarités. Cela produit "l’anomie" (absence de règles sociales), dont parle Emile Durkheim dans son traité sur le suicide. Changement inamical ?

Le nouveau changement du changement

Selon un récent article de la Harvard Business Review, la condition de succès du changement est "l’empathie". Les obsessions de la société changent à nouveau ! D’ailleurs, le fait que nous repassions, avec MM. Xi Jinping et Trump, du libéralisme au protectionnisme, indique, paradoxalement, le retour d’une forme de solidarité sociale. Comment anticiper le mouvement ? 

Le paradoxe

Je rencontre de temps à autre un spécialiste des faillites. Sa technique ressortit à l’acte de foi. Il appelle cela "l’angle mort". Toute entreprise a un savoir-faire ignoré. Si on le cherche, on le trouve. "L’angle mort" est une variante de la technique du paradoxe. La technique du paradoxe est au cœur des sciences humaines. (Paradoxe s’entend au sens du dictionnaire : "contre l’opinion commune".) Voilà comme cela fonctionne. 

Lorsque nous rencontrons une difficulté, par exemple lorsqu’un de nos enfants ne fait pas ce qui est évidemment bon pour lui, nous pensons : bêtise. La technique du paradoxe fait l’hypothèse, inverse : bizarre = logique qui n’est pas la mienne. Du coup, j’ai là le levier du changement. Car, si je comprends cette logique, je sais exprimer le changement ! 

Transformons ces observations en technique. La réaction "c’est un imbécile" (ou "c’est bizarre") vous met sur la piste. Cherchez la logique qui expliquerait ce comportement "paradoxal". Puis demandez-vous, si vous avez vu juste, ce que cela signifie. Si l’action que cela vous inspire réussit, bravo. Sinon, recommencez. 

Une application 

Voici un exemple qui vient d’un temps où je ne connaissais pas cette technique…

J’avais été recruté par une société qui m’avait promis monts et merveilles. J’ai vite compris qu’on m’avait menti, grossièrement. Trop tard. Plus question de chercher un autre emploi. J’ai dû faire contre mauvaise fortune bon cœur. Je me suis mis à travailler comme un fou. Je faisais même une partie du travail de mes collègues. Injustice ! J’ai constaté qu’ils ne m’aimaient pas. Mais j’en suis venu à penser que, ne me voyant jamais, ils me trouvaient inquiétant. J’ai décidé de « perdre du temps » avec eux, et de faire ce que je considérais comme mon vrai travail la nuit ! Choix douloureux. Mais résultat inattendu. Non seulement je suis devenu sympathique, mais spontanément mes collègues se sont mis à m’aider. Pourtant je ne leur demandais rien. 

L’histoire a connu un autre coup de théâtre. J’ai réussi, mais n’ai pas pardonné. J’ai claqué la porte au bout de deux ans. Alors, mes dirigeants se sont mis en quatre pour me garder. Leur logique était celle du conflit. Si je l’avais adoptée, j’aurais pu obtenir ce que je voulais… 

L’amitié dans le changement

"Aime et fais ce que tu veux", disait Saint Augustin. Voilà, sans doute, la recette du changement amical. Comme le dit la technique du paradoxe, il est simple, efficace, et il donne des résultats heureux. On essaie ?