Denis Ranque (Groupe Airbus) "Un chaudronnier chez Airbus gagne beaucoup plus qu’un employé administratif du public"

Le président du conseil d’administration d'Airbus nous parle de l'évolution de son groupe. Il s'exprime aussi sur la formation à la française et sur les indemnités de l'ex-PDG de Vivarte.

Denis Ranque, président du conseil d'administration du groupe Airbus. © IESF

A l'occasion de la Journée nationale de l'ingénieur (JNI), Denis Ranque a confié au JDN sa vision de la formation des ingénieurs en France. Le président du conseil d'administration d'Airbus nous livre également les futurs grands projets du groupe.

JDN. Plus de 30 000 ingénieurs sont formés chaque année en France mais certains secteurs comme le numérique ont du mal à recruter. Est-ce que l'aéronautique et en particulier le groupe Airbus éprouve ces difficultés ?

Denis Ranque. Le groupe Airbus n'éprouve pas de difficultés à recruter des ingénieurs, tout comme nos sous-traitants et nos partenaires. L’aéronautique est extrêmement attrayante. Airbus est d'ailleurs régulièrement classé en tête des panels étudiants pour son attractivité. Plus généralement, depuis 40 ans que je suis dans le business, je n'ai jamais vu une entreprise qui ait dû réellement restreindre sa croissance à cause du manque d’ingénieur. En effet, les grandes écoles et les universités forment aujourd’hui des ingénieurs en grand nombre et les formations d’ingénieur se sont énormément diversifiées.

"Si la France tire son épingle du jeu dans l’aéronautique et l’informatique, c’est grâce à nos ingénieurs"

La formation peut-elle encore s'améliorer en France ? Des professionnels regrettent notamment le manque de réactivité des écoles pour créer de nouveaux cursus…

Je ne partage pas cet avis. L’appareil de formation des ingénieurs français est exceptionnellement bon, c’est un atout national. Si la France tire son épingle du jeu dans beaucoup de secteurs de haute technologie comme l’aéronautique et l’informatique, c’est grâce à nos ingénieurs. La formation des étudiants est un des points forts de notre pays.

De plus, l’ingénieur français a une grande qualité : il est adaptable et multidisciplinaire. Cela nous distingue des formations américaines. Les Américains sont beaucoup plus pointus dans un domaine précis. Le fait d'être multidisciplinaire est un atout à une époque où le monde évolue de plus en plus vite et où les industries qui vont survivre dans les pays industrialisés sont probablement plus des industries de systèmes et d’ingénierie et moins la production de biens élémentaires. Les ingénieurs ont donc besoin de compétences plus larges qui vont évoluer au cours de leur carrière. L’ingénieur français est très foisonnant, très imaginatif. Il devient même entrepreneur. Avant, ils voulaient tous être dans l’administration ou dans les grandes entreprises tandis qu’aujourd’hui, beaucoup de nos jeunes veulent créer une entreprise, c’est un réel changement d’état d’esprit. (Selon une étude des Ingénieurs et scientifiques de France  (IESF) qui paraîtra fin juin 2015, un ingénieur sur dix est entrepreneur chez les moins de 45 ans. A partir de 45 ans, ils sont un sur cinq, NDLR).

"Nous assurons la reconversion vers Airbus commercial des personnels d’Airbus Défense qui sont en excès"

Dans le groupe Airbus, en ingénierie, allez-vous recruter cette année ?

Oui mais si nous avons beaucoup recruté en ingénierie il y a quelques années, nous freinons le recrutement d'ingénieurs depuis un an ou deux. C'est dû au fait que nous passons d’une phase où nous avions besoin de beaucoup de développement, donc d’ingénieurs, à une phase où on a plus de production. Il existe une autre raison à ce frein : la partie défense du groupe (Airbus Defence and Space) n’est plus en croissance alors que la partie commerciale avec les avions Airbus est toujours en pleine croissance. On a donc effectué des transferts internes pour assurer la reconversion vers Airbus commercial des personnels d’Airbus Défense qui sont en excès. C'est pour cela aussi que l’on fait moins appel à l’extérieur aujourd'hui qu’au cours des années à très fortes croissance.

Quels profils spécifiques d'ingénieurs recherchez-vous ?

On recherche des profils très variés. Tout d’abord bien sur des ingénieurs spécialisés dans l'aéronautique, et il s’en forme d’excellents à Toulouse, mais aussi des ingénieurs dans les secteurs réseaux et systèmes parce qu’un avion, aujourd’hui, c’est beaucoup d’électronique et de logiciels. On recrute également des ingénieurs matériaux. On est en effet en train de passer de l’avion en aluminium à l’avion en composite ce qui demande des compétences nouvelles.

"Chez Airbus, nous freinons le recrutement d'ingénieurs depuis un an ou deux"

Selon le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas), le secteur peine à trouver des personnels de production. A quoi est due cette pénurie ?

C’est dû au fait qu'en France, la voie professionnelle, et singulièrement l’apprentissage,  n’ont pas bonne réputation contrairement à l’Allemagne où un apprenti peut devenir ingénieur et même chef d’entreprise. Chez nous, les apprentis sont considérés comme les parents pauvres. Tout le système scolaire milite quand vous êtes collégien pour que vous continuiez au lycée. Des métiers comme plombier ou chaudronnier sont considérés comme une voie de garage alors que pas du tout : un chaudronnier chez Airbus gagne beaucoup plus -plus de deux  fois le Smic- qu’un employé administratif dans une collectivité publique… Certaines professions à col blanc sont beaucoup moins intéressantes et moins bien rémunérées que certaines professions à col bleu quand celles-ci sont hautement qualifiées.

"En termes de proportion dans le groupe Airbus, le nombre relatif de Français va baisser"

L'effectif français du groupe Airbus a augmenté de 31% depuis la création du groupe en 2000 et représente aujourd'hui environ 37% de l'effectif total de l'entreprise. Comptez-vous poursuivre cette politique de développement sur le territoire français ?

En réalité, en termes de proportion dans le groupe Airbus, le nombre relatif de Français va baisser car à côté de nos implantations classiques qui sont en France, en Allemagne, en Espagne et en Grande Bretagne, on est  amenés à créer des chaines d’assemblage aux Etats et en Chine. Elles ne viennent pas se substituer aux usines françaises, elles viennent au contraire  nourrir la croissance : quand on crée un emploi en Chine, on en crée un aussi en France et en Allemagne parce qu’il faut alimenter l'usine chinoise : on ne fait pas tout en Chine, loin de là.

"Nous sommes de moins en moins  une entreprise sous influence étatique et de plus en plus une entreprise classique"

En dehors du nouveau siège du groupe à Toulouse fin 2015, quels sont vos futurs projets en France ?

Les grands mouvements structurants sont plutôt dans les pays d’exportation : les Etats-Unis, la Chine et peut-être la Pologne ou  l’Inde demain. En ce qui concerne notre chantier à Toulouse, le groupe Airbus avait deux sièges : un à Paris, l’autre à Munich. Dans le cadre de la modernisation du groupe, on l’a implanté à Toulouse ce qui est logique puisque cette ville est la capitale du monde Airbus. Nous sommes de moins en moins  une entreprise sous influence étatique  et de plus en plus une entreprise classique.

"On ne doit pas verser d'indemnités de départ à un dirigeant en situation d'échec"

En tant que président du Haut Comité de gouvernement d'entreprise, que vous inspire la prime de départ de l'ancien PDG de Vivarte (André, La Halle, Naf Naf, Kookaï…) alors que l'entreprise traverse une crise ?

Je ne connais pas le cas de Vivarte, sinon  par la presse, car cette société n'entre pas le champ d'action du Haut Comité, lequel ne s'occupe uniquement des 120 plus grosses entreprises françaises cotées en bourse, faisant référence au Code AFEP MEDEF,  ce qui je crois n'est pas le cas de Vivarte. Mais de façon générale, le code est très clair : on ne doit pas verser d'indemnités de départ à un dirigeant en situation d'échec. Ça a pu se passer par le passé, mais le code a changé depuis plusieurs années et aujourd'hui ce n'est plus possible. En outre, les entreprises cotées doivent déclarer chaque année leur système de rémunération, et consulter leurs actionnaires sur la rémunération de leurs dirigeants. Ceci comprend un encadrement très précis des indemnités de départ qui sont proscrites pour un dirigeant quittant une entreprise en situation d’échec.