Tom Conrad (Pandora) "Nos revenus publicitaires ne couvrent pas les royalties demandées par les majors en Europe"

Cotée sur le Nasdaq, la radio en ligne Pandora est l'ancêtre de Spotify et Deezer. Son vice-président Tom Conrad décrypte le service et explique son absence du marché français.

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Tom Conrad est CTO et vice-président exécutif produit de Pandora © S. de P. Pandora

JDN. Pouvez-vous nous présenter le concept de Pandora ?

Tom Conrad. Pandora est né il y a douze ans à l'initiative du "Music Genome Project". Il s'agissait alors seulement d'une infrastructure de recommandation musicale. En 2004, nous avons choisi de repositionner le service sous la forme d'une radio online avec comme objectif d'offrir une expérience d'écoute personnalisée à chacun de nos utilisateurs. Nous comptons aujourd'hui près d'un million de morceaux dans notre catalogue. La société est basée à Oakland où travaillent environ 400 salariés, avec également des bureaux à Los-Angeles, San-Francisco ou encore Chicago, pour un total de près de 600 employés.

Pourquoi avoir fait le choix de vous développer sous la forme d'une web-radio plutôt que comme un service à la demande, comme Spotify, Deezer ou Grooveshark ?

Lorsque nous avons opté pour ce repositionnement, nous sommes partis du constat que près de 80% de la musique aux Etats-Unis était alors écoutée à travers la radio. La simplicité d'utilisation, la disponibilité et la possibilité de découvrir de nouveaux artistes sont autant d'atouts spécifiques à la radio qui ont aidé à déterminer notre choix. Notre idée a simplement été d'utiliser le web et les nouvelles technologies pour personnaliser l'expérience sur ce média qui est, par défaut, un média de masse. Cette stratégie a été payante puisque nous comptons aujourd'hui près de 175 millions d'inscrits pour 67,1 utilisateurs actifs sur le mois de décembre 2012.

Pandora est reconnue pour la pertinence de ses recommandations, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre méthode ?
C'est en effet le cœur de notre métier : jouer le bon morceau spécialement pour vous ! Pour cela, nous combinons différentes méthodes. La première est l'analyse de l'ADN d'un morceau grâce à la venue quotidienne d'une vingtaine de musiciens dans nos locaux qui, depuis maintenant près de 12 ans, dissèquent jusqu'à 100 000 morceaux par an. Par exemple, ils vont chercher à savoir quels instruments sont joués dans une chanson, quel  type de guitare est utilisé, etc. Ces analyses vont ensuite nous permettre d'effectuer des rapprochements entre différents morceaux, peu importe qu'ils soient connus ou pas. Nous ne nous contentons pas d'effectuer des recommandations simplement en fonction de la popularité d'un morceau ou du vague courant musical auquel il est associé. Nous nous concentrons sur la musique elle-même.
Ensuite, nous associons ces informations en les croisant avec les profils utilisateurs que nous avons établis au cours ces 8 dernières années, afin de peaufiner nos recommandations.

Pourquoi avoir choisi d'instaurer un certain nombre de limitations au service, comme le fait de ne pas pouvoir revenir en arrière lors de l'écoute d'un morceau ou de ne pas pouvoir écouter un seul et même artiste en continu ?

La raison principale tient à la manière dont le business, et notamment les accords de licences, fonctionnent. Il existe en fait deux types de services bien distincts. Tout d'abord les services à la demande, comme Spotify par exemple, qui vous permettent d'écouter la chanson que vous souhaitez lorsque vous le voulez. Et d'autre part les services type Radio Online comme le nôtre. Cette seconde catégorie de services est là pour divertir l'utilisateur mais également pour promouvoir de la musique et ainsi permettre aux labels de construire leur audience. Notre modèle permet ainsi de mettre légalement et gratuitement de la musique à disposition sans avoir à nous acquitter des mêmes frais que les services à la demande, qui sont souvent beaucoup plus élevés.

D'où provient le contenu présent sur Pandora ?

Nos sources sont en fait assez variées. Nous achetons une grande partie du contenu sous différentes formes, il nous arrive par exemple d'acheter des CD pour ensuite les convertir en format électronique. Les labels nous envoient également du contenu. Enfin, il arrive que des artistes nous envoient directement leur musique qui sera par la suite triée en interne.

Quel est votre business model ? La société est-elle rentable?

Notre modèle de revenu repose en grande partie sur la publicité sous forme display, audio ou vidéo. Elle représente près de 90% de nos revenus. Nos abonnements premium payants font le reste. Nous étions rentables sur ce dernier trimestre avec un chiffre d'affaire de 101,3 millions de dollars.

Le service n'est plus disponible en dehors des Etats-Unis depuis 2007. Où en êtes-vous dans vos négociations avec les majors pour vous développer à l'international ?

Nous sommes toujours en discussion avec les majors mais nous n'avons toujours pas réussi à nous mettre d'accord sur les termes d'un accord de licences. Le coût de ces droits est actuellement trop élevé pour permettre à notre business d'être viable. Nos revenus publicitaires ne nous permettent pas de couvrir les royalties demandées, notamment en Europe. Nous poursuivons néanmoins nos discussions en espérant trouver un modèle qui conviendra à tout le monde. Et nous avançons : nous avons en effet récemment lancé des versions beta en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Comment voyez-vous l'avenir de Pandora ?

Nous allons continuer à nous développer sur mobile. Nos applications iPhone et Android sont déjà parmi les plus téléchargées aux Etats-unis où près d'un propriétaire de smartphone sur trois a déjà utilisé Pandora au cours du mois dernier. Nous pouvons même dire que nous sommes déjà devenus un service principalement mobile puisque 75% de nos utilisateurs accèdent au service via un téléphone mobile ou d'autres appareils connectés, parmi lesquels la tablette, la télévision ou encore l'autoradio. Autre nouveauté, le service est désormais intégré aux voitures grâce aux nouveaux systèmes d'interfaces connectés au téléphone, et près de 19 partenariats ont ainsi été conclus avec des marques automobiles américaines.

Enfin, nous avons également étendu notre offre aux professionnels en concluant un partenariat avec DMX, spécialiste de la distribution de musique aux détaillants aux Etats-Unis, qui nous permet aujourd'hui d'être présents au sein des petits commerces dont notamment les bars, restaurants et magasins.

Tom Conrad a débuté sa carrière en tant qu'ingénieur chez d'Apple, travaillant notamment sur l'interface utilisateur du Mac OS. Il a par la suite occupé différentes fonctions au sein de nombreuses sociétés IT parmi lesquelles Berkeley Systems, Relevance Technologies, Documentum, Pets.com ou encore Kenamea. C'est en 2004 qu'il rejoint la web-radio Pandora en tant que CTO et responsable Produit. Tom Conrad est diplômé d'un B.S en Sciences Informatiques de l'Université du Michigan et est également l'auteur de 3 brevets, tous déposés aux Etats-Unis.