Les pratiques obscures des plateformes d'échanges de crypto-monnaies

Les pratiques obscures des plateformes d'échanges de crypto-monnaies Coinbase, Binance, Poloniex & co sont pointées du doigt pour leur manque de transparence vis-à-vis des consommateurs et des pouvoirs publics.

Le bitcoin ne dépend d'aucun organe central mais les plateformes d'échanges de bitcoin répondent quant à elles aux réglementations en vigueur. Pourtant, certains acteurs étrangers ne respectent pas toutes les dispositions à la lettre. En France, les deux seules plateformes, Paymium et Coinhouse (La Maison du Bitcoin), sont autorisées à effectuer leur activité sur le territoire car elles sont approuvées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Dans cet article, nous nous focaliserons donc sur des sociétés étrangères, qui, en plus, enregistrent des volumes plus significatifs que les Françaises. L'Américain Coinbase revendique par exemple 13 millions d'utilisateurs dans le monde et a généré un chiffre d'affaires d'un milliard de dollars en 2017. La Japonaise Binance est l'une des premières plateformes d'échange en termes de volumes quotidiens et a dégagé un bénéfice de plus de de 200 millions de dollars six mois seulement après son lancement en juillet dernier.

Le non-respect de la conformité 

Comme toute entreprise du secteur de la finance, une plateforme d'échanges de crypto-monnaies doit respecter certaines règles pour lutter contre le blanchiment d'argent et mettre en place des procédures de KYC (know your customer, le processus pour vérifier l'identité de ses clients). De nombreux utilisateurs ont vu leurs actifs saisis ou gelés dus au manque de compliance des plateformes au regard des lois et réglementations en vigueur. Par exemple, Bitstamp a cessé ses opérations dans l'Etat de Washington fin 2016 pour des "contraintes réglementaires", dont les détails n'ont pas été communiqués. Poloniex, qui a récemment été racheté par la start-up de paiement Circle, pourrait aussi ne pas être en règle avec les pouvoirs publics américains, à en croire le document montré dans ce tweet :

Dans une slide que s'est procurée le journaliste du New York Times, Nathaniel Popper, on peut lire que Circle s'engage à enregistrer la nouvelle entité auprès de la SEC, le gendarme financier américain, et de la FINRA, un organisme équivalent privé, en tant que broker. "La SEC était favorable à cette approche et a indiqué qu'elle ne poursuivra aucune action coercitive pour ses activités antérieures", est-il écrit. Ce texte montre bien que Poloniex n'était pas une plateforme régulée mais aussi que les autorités américaines sont prêtes à passer l'éponge sur d'éventuelles infractions.

Un manque de communication

Le service client de certaines plateformes est peu réactif. Face à cette absence de réponses, les utilisateurs laissent des messages sur les réseaux sociaux comme Reddit, Steemit ou Twitter.

"Il y a une semaine, j'ai demandé deux retraits sur Bitstamp. Je n'ai pas reçu l'argent. J'ai demandé au service client. Personne ne m'a répondu", se plaint un utilisateur. "J'ai versé de l'argent via un transfert bancaire. J'ai utilisé toutes les références que vous m'avez demandées. C'était il y a une semaine. Ma banque a confirmé que la somme a été envoyée et reçue. Rien ne s'affiche sur mon compte Coinbase", témoigne un autre. Certains utilisateurs vont même jusqu'à déposer des plaintes auprès du Bureau américain de protection des consommateurs (CFPB). "Les plaintes contre les exchanges sont récurrentes car les attentes des utilisateurs sont bien plus élevées pour les exchanges que pour les banques. Ils veulent que tout soit rapide", souligne Pierre Noizat, cofondateur de Paymium.

Depuis avril 2017, la CFPB a enregistré plus de 1 300 plaintes de résidents américains clients de Coinbase.

37,5% des 1 300 plaintes des utilisateurs de Coinbase US concernent l'indisponibilité des fonds. © CFPB/JDN

Plus de 37% des plaintes concernent l'indisponibilité des fonds, 26,8% des problèmes de transactions et 15,6% des problèmes de service (non spécifié). Ces plaintes sont accompagnées de commentaires visibles sur le site de la CFPB. Par exemple, le 23 décembre dernier, un utilisateur écrit : "J'ai créé un compte Coinbase et investi XX livres sterling. J'ai fait une petite plus-value et vendu le stock qui vaut maintenant XX. J'ai essayé de retirer cet argent mais l'entreprise ne me l'autorise pas. Je les ai contactés, sans réponse."

Des commissions inadéquates

Le sujet des commissions est aussi fréquemment soulevé par la communauté. Sur le site spécialisé Bitsonline, Jon Southurst explique que beaucoup de plateformes ont une politique stricte envers les transactions qui ont été envoyées sur une mauvaise clef (ce qui arrive souvent chez les nouveaux utilisateurs). Après le signalement de l'incident, les transactions ne sont en général pas réapprovisionnées… Tout est donc perdu pour l'utilisateur. D'autres exchanges réapprovisionnent les comptes mais avec une commission un peu salée. CoinExchange.io facture par exemple 0,05 bitcoin par opération (365 dollars le 3 avril 2018), Bittrex facture 0,1 bitcoin (730 dollars) pour les montants de plus de 5 000 dollars au moment de l'envoi. Le wallet Bitcoin.com ne facture aucune commission pour ce type d'opérations, tempère Jon Southurst.

Le 22 décembre 2017, Coinbase a brusquement suspendu l'achat et la vente de crypto-monnaies

Sur le réseau Steemit, les témoignages sont multiples. Ici, un membre du réseau social explique que Binance ne permet pas de trader certaines crypto-monnaies pour un "montant fractionné". Cela signifie qu'un utilisateur peut seulement acheter ou vendre des comptes ronds de crypto-monnaies. Par exemple, il peut acheter 15 IOTA mais pas 1,5 IOTA. Pour l'achat d'une crypto-monnaie, Binance collecte une commission en BNB token (son propre jeton) ou de la crypto-monnaie achetée. Si vous achetez un IOTA, vous recevrez 0,99 IOTA car la commission s'élève 0,1%. Problème : vous ne pouvez pas vendre vos 0,99 IOTA contre un autre actif car la plateforme ne le permet pas. Il est évidemment possible de convertir l'actif en monnaie fiat (euros, dollars…) mais il faut aussi faire attention à la commission, qui peut être élevée.

Interruptions de service

Autre critiques des investisseurs : l'arrêt des opérations. Beaucoup de plateformes connaissent des interruptions de services pendant les périodes de haute volatilité, comme en décembre dernier. Coinbase a brusquement suspendu l'achat et la vente de crypto-monnaies le 22 décembre, jour où le cours du bitcoin venait de chuter de 20%... "En raison du trafic élevé aujourd'hui, les achats et ventes sont temporairement indisponibles. Nous travaillons pour restaurer une disponibilité complète dès que possible", avait déclaré Coinbase sur son site.

En août 2017, suite à des problèmes de performances qui ont causé un mini-krack, la plateforme Kraken a suspendu l'achat-vente de paires de crypto-monnaies comme EOS/GDP (livre sterling), et bloqué l'accès à des fonctionnalités avancées telles que des facilités pour emprunter des crypto-monnaies. Tout est revenu "à la normale"... le 20 février dernier. Ces pratiques ont au moins le mérite de faire bouger les lignes. Au Royaume-Uni, une association de plateformes de crypto-monnaies s'est créée pour s'autoréguler. Au Japon, 16 plateformes ont décidé de mettre en place un organe d'auto-régulation.