Compteur Linky d'ERDF : les coulisses d'un projet de smart grid géant

Compteur Linky d'ERDF : les coulisses d'un projet de smart grid géant Le nouveau compteur d'ERDF va remplacer les traditionnels compteurs électromécaniques. Un chantier de cinq milliards d’euros qui doit s’étaler jusqu’en 2021.

Avec 35 millions de compteurs électriques à changer d'ici à 2021, c'est un déploiement sans précédent ! Lancé il y a presque dix ans, le projet de compteur "intelligent" Linky est désormais sur les rails. Après une phase de tests auprès de 300 000 foyers d'Indre-et-Loire et de l'agglomération lyonnaise entre 2009 et 2011, le véritable coup d'envoi a été donné en décembre 2015 avec l'installation de 25 000 compteurs supplémentaires. Avec un objectif de trois millions de compteurs Linky installés fin 2016, 8,7 millions fin 2017, 16,7 millions fin 2018, 24,5 millions fin 2019. Et ainsi de suite jusqu'en 2021. En vitesse de croisière, Electricité Réseau Distribution France (ERDF), le gestionnaire du réseau de distribution, filiale à 100% d'EDF, devrait installer jusqu'à 40 000 de ces nouveaux boîtiers vert-anis par jour ! Une dynamique susceptible de créer jusqu'à 10 000 emplois chez les sous-traitants, essentiellement des installateurs locaux.

Pourquoi une nouvelle génération de compteurs ?

Le nouveau compteur communiquant Linky d'ERDF. © ERDF

Le coût du projet est estimé à cinq milliards d'euros dont la moitié pour la pose des compteurs. Au plan géographique, le déploiement s'effectue en "peau de léopard", c'est-à-dire sans privilégier une région à une autre. Environ 5 000 agents d'ERDF (sur un total de 35 000) y participent. Au plan industriel, six fournisseurs (parmi  lesquels Landis+Gyr, Sagemcom, Itron) ont été retenus pour une première tranche de trois millions de compteurs et 80 000 concentrateurs de données.

Principale innovation procurée par Linky, la relève de la consommation électrique à distance - plutôt que de déplacer un technicien une à deux fois par an. Autres avantages : des factures intermédiaires basées sur la consommation réelle et non plus estimée, une maintenance simplifiée conjuguée à une remontée d'informations en temps réel en cas de défaillance du réseau de distribution, un renforcement de la lutte contre la fraude, mais aussi la faculté de modifier son contrat d'approvisionnement et/ou la puissance de son compteur sans intervention extérieure.

Un portail de suivi des consommations électriques

Le projet fait cependant passer la maîtrise de la consommation au second plan. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) estime à 1% de la consommation électrique (soit deux milliards d'euros par an) les économies potentielles associées à l'arrivée de Linky. Ce qui pose incidemment la question de l'ergonomie de ce boîtier qui, à défaut d'affichage déporté, rend finalement peu lisible l'évolution de sa consommation. Seule solution pour y accéder, se connecter sur son compte ERDF via un portail dédié afin de consulter sa consommation de la veille. Une lacune pointée par le médiateur national de l'énergie et l'Ademe qui préconisaient l'installation à domicile d'un système d'affichage déporté afin de pouvoir visualiser sa consommation en temps réel. Autre grief, cette consommation à J+1 est affichée en KW-h et non en euros.

La perspective de développer des services individualisés

Pour le reste, ces compteurs devraient permettre aux fournisseurs d'électricité, EDF en tête mais aussi les divers opérateurs alternatifs comme Direct Energie, d'offrir des services individualisés, selon les profils de consommation par exemple, tout en favorisant le développement d'un écosystème propre aux smart grid.

Linky : une plateforme Hadoop pour traiter les données

D'une taille et d'un encombrement similaires aux compteurs électromécaniques traditionnels, Linky est connecté en CPL (courant porteur en ligne, ici dans sa version G3), technologie utilisant le réseau électrique basse tension, à un concentrateur de données (ERDF compte en déployer 600 000 à terme). Le concentrateur étant lui-même relié au centre national d'hypervision de l'opérateur d'électricité situé à Lyon. La transmission entre les concentrateurs et le centre de supervision s'effectue en mode GPRS, une fois toutes les 24 heures entre minuit et six heures du matin. Le dispositif a été élaboré  avec divers spécialistes IT, notamment Atos pour la partie développement.   

Les technologies Teradata sous le capot

En aval de la collecte d'informations, les données sont agrégées et traitées par une plateforme Big Data. Elle s'adosse à l'environnement UDA (Unified Data Architecture) de l'éditeur Teradata. Les flux sont d'abord stockés dans un cluster Hadoop qui joue le rôle de data lake (c'est la distribution Hadoop d'Hortonworks qui a été retenue). Le cluster vient ensuite servir la base de données maison de Teradata (Teradata Database) et son application d'analyse Aster Data. Objectif : disposer d'un système pour réaliser les traitements nécessaires au projet (pilotage du réseau IoT, suivi de consommation individuel...), et en développer de nouveaux dans la perspectives de livrer des services additionnels - notamment en réalisant des croisement avec des flux tiers (type données météo).

Linky est connecté à un réseau Internet de type CPL (courant porteur en ligne). © ERDF

Les exigences de la CNIL

Parmi les nombreux débats qui ont précédé son déploiement : la nature et la fréquence des informations transmises par le compteur, deux indicateurs au sujet desquels la CNIL s'est montrée particulièrement vigilante. Ainsi, aucune donnée individuelle concernant le niveau de consommation des différents équipements du foyer n'est transmise à l'extérieur du domicile (sauf accord express du client, en vue de futurs services à valeur ajoutée, par exemple). Autre volet sur lequel la CNIL s'est montrée particulièrement vigilante, la "courbe de charge" (relevé sur 24 heures de mesures effectuées à intervalles réguliers) et le "pas de mesure" (fréquence à laquelle la consommation est relevée en local), deux indicateurs permettant de reconstituer assez facilement le mode de vie des abonnés (heures de lever et de coucher, périodes d'absence, nombre de personnes présentes dans le foyer).

"Même intelligent, un compteur reste un compteur" (ERDF)

"Les informations personnelles concernant la consommation détaillée sont la propriété exclusive des abonnés" insiste-t-on chez ERDF. Partant de là, rien n'empêche de fournir volontairement ces données à son producteur d'électricité, afin de bénéficier de services ou de tarifs personnalisés, ou à d'autres prestataires. Pour ce qui est de la "courbe de charge" stockée localement, celle-ci a été fixée à une heure. Quant au "pas de mesure", ce dernier est défini par le client (10 minutes, ½ heure, une heure, 24 heures). Selon le choix effectué (qui est de 24 heures par défaut), c'est selon cette cadence que la consommation de la veille, exprimée en KW-h, pourra être visualisée le lendemain sur le portail d'ERDF. Ce qui, en l'état, laisse de nombreuses associations de consommateurs – notamment UFC Que Choisir – dubitatives sur l'ergonomie et les performances de Linky. "Ce qui compte, c'est le potentiel de nouveaux services, que ce soit à l'initiative des fournisseurs d'électricité, des acteurs du smart grid ou de l'Internet des objets", relativise ERDF où l'on ajoute, non sans humour, "même intelligent, un compteur reste un compteur"...