Georges Epinette (DSI, Stime Intermarché) "La seule chose sur laquelle tout le monde s'entend : c'est la vitesse. Mais pour aller où ?"

JDN Solutions. Quels sont les systèmes et services que vous fournissez aux membres du groupement des Mousquetaires ?

Georges Epinette. Tout. Nous proposons une infrastructure matérielle et réseau, avec des services de maintenance associés. Les membres disposent d'un catalogue de 250 options qu'ils peuvent ou non choisir.

Un petit supermarché ou un magasin de hard discount n'a pas les mêmes besoins qu'un hyper-marché. On pourra avoir une ou deux stations dans le premier cas, et 50 à 60, voire davantage, dans le second. Face à la recherche d'unicité du système d'information, c'est aussi notre principale problématique. La difficulté est de proposer une infrastructure évolutive quelle que soit la taille du point de vente et quel que soit le métier [ndlr alimentation, bricolage...] mais basée sur le même socle. Nous y sommes parvenus depuis 1985.


les bureaux de la stime intermarché sont situés à montrouge.
Les bureaux de la Stime Intermarché sont situés à Montrouge. © Cécile Debise / JDN Solutions

Pour conserver votre indépendance, allez-vous jusqu'à faire l'impasse sur l'achat de progiciels packagés qui peuvent vous rendre tributaire d'éditeurs ?

Si le déploiement d'un progiciel ne nous permettait pas d'accélérer notre vitesse de mise en œuvre, nous aurions en effet tendance à favoriser les développements spécifiques, à la fois pour conserver notre indépendance mais aussi pour des raisons de coût et de capacité d'évolution. C'est vrai que la logique voudrait que l'on s'appuie sur des progiciels. Notamment pour capitaliser sur des fonctionnalités déjà existantes et éprouvées, mais aussi disposer d'une meilleure capacité de montée en charge, etc.

Globalement, les systèmes des points de vente reposent sur du cousu main. Mais, sur les systèmes amont, nous avons mis en œuvre beaucoup de progiciels, pour la logistique, le CRM, les systèmes administratifs.

Sur les progiciels, nous sommes confrontés à une offre oligopolistique. Le marché ne cesse de se consolider. Je m'interroge beaucoup sur le fait que, dans ce domaine, nous travaillons autant pour le business de l'offre que pour la stratégie de nos entreprises. Ce qui est paradoxal. Nous sommes amenés à faire des modifications profondes sur nos systèmes qui ne sont pas dictées par un besoin de l'entreprise, mais parce que la politique de l'éditeur requiert ces modifications. Typiquement, c'est le cas d'une montée de version, qui peut nous coûter très cher.

Pour parler clair, la belle histoire racontée avec force moyens marketing ne reflète pas vraiment la réalité : on demeure dans l'approximatif, le précaire, l'incertain. Certes, il existe une forme d'indétermination dans tout fonctionnement, mais aujourd'hui je pense le seuil d'alerte atteint.  

Ce qui est nouveau n'est pas obligatoirement mieux, ne crée pas toujours de la valeur - voire en détruit souvent : suivant le bon principe schumpétérien. Du coup, nos actions sont davantage tournées vers la cohérence du SI dictée par le marché alors qu'elles devraient exclusivement répondre aux stratégies de nos entreprises ! En fin de compte, nous bossons autant pour le business de l'offre que pour l'entreprise qui nous paie : quel paradoxe ! Si du moins la relation entre les fournisseurs et les clients était toujours équilibrée, collaborative, mais nous en sommes parfois très loin.

La globalisation est passée par là : broyant l'homme pour davantage de profits. Le cours de l'action est devenu le credo court terme et à force de parler de rationalisation nous n'avons plus aucune rationalité ! On mélange tout : agilité, flexibilité, performance, productivité, création de valeur. On se gargarise de mots qui n'ont plus aucune signification. La seule chose sur laquelle tout le monde s'entend : c'est la vitesse. Pour aller où ? La question demeure posée ?

Elle demeure posée alors qu'un monde nouveau se construit. Si son inéluctabilité est avérée, il ne doit pas nous empêcher de corriger les erreurs de trajectoire. A défaut, c'est nous exposer à ne plus maîtriser les effets de notre pensée. Il s'agit-là d'une forme d'aliénation qui ne se limite plus aux seuls artefacts numériques mais à tout l'écosystème, engageant de facto notre responsabilité pour les générations futures. 

C'est ainsi qu'au final, le TCO peut devenir très important, et parfois plus important qu'un développement spécifique. Il est intéressant pour cette raison de remettre régulièrement les choix sur le tapis, et d'analyser les coûts d'un redéveloppement interne – y compris pour des applications très génériques pour lesquelles il existe un large choix sur le marché..


"L'Open Source est une piste salutaire pour gagner en indépendance vis-à-vis des grands fournisseurs"

L'Open Source représente-t-il pour vous une alternative au modèle traditionnel du développement mutualisé proposé par les éditeurs propriétaires ?

C'est une piste de réflexion intéressante. Maintenant, pour la mettre en œuvre, il faut pouvoir s'inscrire dans un scénario de rupture. Il y a aussi le revers de la médaille : développer autour d'un logiciel Open Source implique de restituer les travaux réalisés à la communauté. Que faire s'il s'agit par exemple d'un algorithme stratégique très concurrentiel, relatif par exemple, à la gestion du réapprovisionnement ? Un certain nombre de questions se posent. Mais globalement, c'est une voie salutaire.

Y-a-t-il d'autres solutions possibles, le recours à des fournisseurs de solutions de taille plus modeste par exemple ?

Nous travaillons avec de grands fournisseurs, mais nous privilégions aussi beaucoup les PME, y compris pour des systèmes critiques. Avec ce type d'acteurs, nos interlocuteurs sont des entrepreneurs disposant d'une vision différente de celle du manager au sein d'un grand groupe IT auquel on aura fixé des objectifs commerciaux. Avec l'entrepreneur, la relation sera par conséquent plus partenariale et plus équilibrée. Au-delà des contrats, je crois beaucoup à la confiance entre les hommes, et au respect de la parole donnée, ce qui n'empêche pas le formalisme de la relation.

Mais, si l'outil est de qualité et le business au rendez-vous, un petit éditeur, par exemple, risquera de se faire racheter par un plus gros. Le produit se fera alors cannibaliser. Vous devrez ensuite adopter le produit du groupe, avec à la clé une nouvelle politique tarifaire. Et vous entrez alors dans un cycle sans fin.