Liens sponsorisés : les sources de responsabilité de l'outil de recherche

Si le principe de spécialité peut permettre d'écarter la responsabilité pour contrefaçon des outils de recherche en cas d'utilisation abusive de mots-clés réservés par des tiers, d'autres fondements permettent de retenir leur responsabilité civile et pénale. Explications.

Une application rigoureuse du principe de spécialité conduit à écarter la qualification de contrefacteurs, retenue trop souvent par les tribunaux, à l'encontre des prestataires de positionnement payant lorsque les liens hypertextes ont permis la réservation de termes protégés à titre de marques. Mais une série d'autres fondements permettent de retenir valablement leur responsabilité civile comme pénale.

Dans l'hypothèse d'actes de position squatting, la responsabilité de l'outil de recherche prestataire de positionnement payant, peut-être recherchée, au delà de la contrefaçon, tant sur le plan civil que pénal.

La responsabilité pénale

A. La complicité de contrefaçon de marque

Rien ne s'oppose à ce que soit retenue à l'encontre du prestataire de positionnement par lien hypertexte, sur le plan pénal, une complicité d'actes de contrefaçon, commis par l'annonceur et dont l'élément intentionnel serait constitué par l'acte positif d'insertion dans l'outil de suggestion de mots-clés, de marques déposées. Le moteur de recherche a en effet dans ces hypothèses "sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation du délit", comme l'énonce l'article L. 121-7 alinéa 1 du Code pénal. Mais nous l'avons vu, la jurisprudence actuelle considère la participation à la commercialisation de produits contrefaisants comme un forme de contrefaçon (F. POLLAUD-DULIAN, Droit de propriété industrielle, Montchrestien, 1999, n° 1375, p. 644).

B. La publicité trompeuse

Les liens commerciaux des moteurs de recherche sont des messages à caractère publicitaire, et ceux qui les fournissent, des régies publicitaires. Ainsi les liens sponsorisés susceptibles d'induire en erreur les internautes, tombent sous le coup de l'article L. 121-1 du Code de la consommation qui dispose qu' "est interdite toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, des indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur un ou plusieurs des éléments ci-après : existence, nature, composition, qualités substantielles, teneur en principes utiles, espèce, origine, quantité, mode et date de fabrication, propriétés, prix et conditions de vente de biens ou services qui font l'objet de la publicité, conditions de leur utilisation, résultats qui peuvent être attendus par leur utilisation, motifs ou procédés de la vente ou de la prestation de services, portée des engagements pris par l'annonceur, identité, qualités ou aptitudes du fabricant, des revendeurs, des promoteurs ou des prestataires". Et l'article L. 115-33 précise que "les propriétaires de marques de commerce, de fabrique ou de service peuvent s'opposer à ce que des textes publicitaires concernant nommément leur marque soient diffusés lorsque l'utilisation de cette marque vise à tromper le consommateur ou qu'elle est faite de mauvaise foi".

Comme le souligne Cyril Fabre, "le caractère trompeur des publicités mises en avant par les prestataires de positionnement payant peut s'apparenter de près ou de loin à la confusion née dans l'esprit du public (du fait d'acte de contrefaçon)" (C. FABRE, Moteur de recherche et positionnement payant par lien hypertexte publicitaire : qualification juridique et responsabilité, 2e partie, Expertises, novembre 2005, p. 376) , retenue implicitement par les juges dans les affaires Eurochallenges et Accor.

Malgré cela, les tribunaux ne retiennent que rarement ce fondement, en l'absence de démonstration de l'intention frauduleuse ou de la faute caractérisée du prestataire de positionnement payant. En effet ce type de programme "fondé sur l'usage des mots-clés et de liens hypertextes ne saurait être considéré intrinsèquement comme de nature à induire en erreur", compte tenu que "l'usage des liens hypertextes est consubstantiel à Internet, de sorte que les internautes ne sauraient se méprendre par principe sur leur utilisation" (TGI Nice, 3e ch., 7 février 2006, Revue Lamy droit de l'immatériel, mars 2006, n°14, p. 38).

Pourtant le Tribunal de grande instance de Paris, dans l'affaire Vuitton, choisit de retenir un élément factuel plus large, de nature à permettre la généralisation de la solution. Le tribunal condamne en effet le défendeur pour publicité de nature à induire en erreur les consommateurs, en considérant que le fait que les annonces litigieuses soient regroupées sous l'intitulé "liens commerciaux " laisse penser aux internautes que le site de la demanderesse est "en relation avec les sites litigieux" et les induit en erreur "sur l'origine et les qualités substantielles des biens ainsi proposés". "Cette présentation joue sur le double sens en cette matière du terme lien", ce qui est en effet, en soi, trompeur. On peut cependant s'interroger sur la pérennité de cette solution au regard de la connaissance croissante chez les internautes de la nature diverse des liens offerts par un moteur de recherche en fonction de leur emplacement. De plus la mention de l'URL de l'annonceur sous le texte du lien sponsorisé doit achever de convaincre les juges d'adopter une attitude réservée dans l'examen du risque de confusion.

C.
La substitution de produits

Selon l'article L. 716-10 du CPI réprimant la substitution de produits, "sera puni [...] quiconque [...] aura sciemment livré un produit ou fourni un service autre que celui qui lui aura été demandé sous une marque enregistrée". Le jugement de Nanterre écarte le jeu de cet article au motif que "la société Google France n'a rien fourni personnellement » (TGI Nanterre, 13 octobre 2003, Société Viaticum, Luteciel c/ Google France http://www.juriscom.net/documents/tginanterre20031013.pdf). Mais dans le processus de recherche de liens, Google France intervient positivement à deux égards.

Tout d'abord comme le soulignent certains auteurs (S. BOUVIER-RAVON, Expertises, décembre 2003, p. 430), la vente de mots-clés est en soi, une intervention positive dans le processus de substitution de services. Ensuite et surtout, en livrant un lien "trompeur " aux internautes leur ayant soumis une requête, l'outil de recherche fournit un lien vers un service autre que celui qui lui aura été demandé sous une marque enregistrée. Certes le prestataire ne fournit pas le service, mais seulement le lien vers celui-ci. Mais l'on a du mal à comprendre que les juges, dans le cadre de la contrefaçon, assimilent le lien vers un service donné à ce service lui même, alors qu'ils refusent de procéder à cette même assimilation dans le cadre de la substitution de produits.

La responsabilité civile

A. La responsabilité civile délictuelle

L'article 1382 du Code civil rend responsable civilement l'outil de recherche prestataire de positionnement payant qui cause un dommage à un tiers, du fait de la vente d'un mot-clé. Mais la faute de prestataire fournissant le service de recherche est difficile à rapporter. Il faudrait distinguer selon la technique utilisée par l'outil, dans la vente des mots (tel A. DIMEGLIO, Expertises, octobre 2002, n°263, p. 345.). Lorsque le positionnement est effectué de manière manuelle, la responsabilité de l'outil ne fait aucun doute. Lorsqu'il est automatique, sa responsabilité ne devrait pas être engagée sauf négligence ou imprudence.

Mais il ne peut être reproché au prestataire de ne pas connaître la totalité des marques enregistrées. Aussi, quelle que soit la technique employée, la faute consistera, sauf en présence d'une marque notoire, en une négligence soit pour défaut d'information en direction des annonceurs relative à l'interdiction d'enregistrer comme mots-clés des marques appartenant à des tiers, soit pour absence de procédure permettant aux titulaires légitimes de se plaindre, soit enfin en raison d'un manque de réactivité face aux demandes de retrait des annonces, émanant du titulaire légitime des marques.

Mais la faute pourra être toute autre. Dans la décision Kertel, le Tribunal de grande instance de Paris écarte la contrefaçon de marque pour retenir précisément la responsabilité civile du prestataire de positionnement payant sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, pour avoir favorisé une activité contrefaisante pour les besoins d'une activité publicitaire. Cette condamnation est l'occasion pour les juges de préciser la notion de faute du prestataire.

Pour la Cour, celle-ci consiste tout d'abord dans la proposition de mots-clés correspondants à une marque, Kertel. Elle réside ensuite dans l'absence de contrôle préalable des mots-clés réservés par les annonceurs, susceptible de porter atteinte aux droits des tiers. Elle consiste enfin dans l'absence de mécanisme de censure a posteriori.

Quant à la concurrence déloyale, trop souvent exclue par les demandeurs titulaires d'un signe protégé par le droit des marques, elle reste un fondement juridique opportun, notamment en raison de l'application irraisonnée actuelle du principe de spécialité, et ce, que le signe soit utilisé à titre de marque, de dénomination sociale, d'enseigne ou de noms de domaine. Malheureusement la jurisprudence ne fournit jusqu'à aujourd'hui d'exemples fructueux de son utilisation que pour assurer la protection d'un nom de domaine ou d'une dénomination sociale.

Pourtant une condamnation du moteur de recherche pour concurrence déloyale et en raison de son activité de liens sponsorisés, parait justifiée. Une analogie est en effet possible entre ce procédé publicitaire et la technique marketing du "couponnage électronique" utilisée en particulier par les grandes surfaces et qui consiste à délivrer une publicité grâce au signe distinctif d'un concurrent (P. STOFFEL-MUNCK, note sous : TGI Paris, 3e ch., 4 février 2005, Comm. comm. électr. , juill-août 2005, p. 27).

Grâce à la lecture de son code barre, l'achat d'un produit déclenche, à la caisse, l'édition d'un bon de réduction pour un produit similaire et concurrent. Or, malgré le degré plus élevé de respect des droits des sociétés concurrentes sur leurs signes, puisque seul un code barre est utilisé et non une marque, la Cour de cassation a considéré cette pratique comme constitutive de concurrence déloyale (Cass. Com., 18 nov. 1997, Bull. Civ. 1997, IV, n°294). L'on perçoit mal ce qui interdirait d'étendre la solution aux prestataires de positionnement payant par lien hypertexte.

B. La publicité comparative irrégulière

Les articles L.121-8 à L.121-12 du Code de la consommation réglementent la publicité comparative sans distinction de support, ce qui les rend applicables à l'Internet. Le premier d'entre eux, issu de l'ordonnance du 25 août 2001, définit largement la publicité comparative, désignant "toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent, ou des biens ou services offerts par un concurrent".

La publicité comparative est licite si elle n'est ni trompeuse ni de nature à induire en erreur ; porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ; compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives des biens ou services ; ne tire pas indûment profit de la notoriété attachée à une marque de fabrique, de commerce ou de service, à un nom commercial ou à d'autres signes distinctifs d'un concurrent ; n'entraîne pas le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activités ou situations d'un concurrent ; n'engendre pas la confusion entre l'annonceur et un concurrent ; enfin si elle ne présente pas des biens ou services comme une imitation ou reproduction d'un bien ou service bénéficiant d'une protection (conditions de licéité issues des articles L121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation).

Les prestataires de positionnement payant peuvent-ils voir leur responsabilité engagée pour ne pas avoir respecté ces prescriptions ? De fait, les prestataires présentent parfois leur outil comme un moyen efficace de comparaison instantanée des offres d'une multitude de sociétés pour un produit ou service donné. En dépit de cette présentation, le prestataire n'est pas un annonceur mais seulement le support de publicités. Une page de résultats contenant divers liens promotionnels n'est pas une publicité comparant plusieurs offres, mais uniquement le support d'autant de publicités distinctes. L'on ne peut donc reprocher une comparaison de biens ou services, et par voie de conséquence son caractère irrégulier. Il ne s'agit donc pas de comparaison mais d'appât (J. ANDRE, Le positionnement payant, http://www.juriscom.net/uni/etd/07/presentation.htm) , prohibé par l'article L. 121-9 du Code de la consommation selon lequel "aucune comparaison ne peut avoir pour objet principal de tirer avantage de la notoriété attachée à une marque" .

C. La responsabilité pour risque ?

La dernière menace pesant sur les prestataires de positionnement payant est de voir leur responsabilité engagée "pour risque » (comme le rappelle J. ANDRE (cf. réf. préc.). La doctrine à la fin du 19ème siècle (LABE, SALEILLES, JOSSERAND) a proposé la théorie du risque-profit, selon laquelle celui qui tire profit d'une activité doit en supporter les charges, ce qui englobe l'indemnisation des dommages qu'elle provoque"). Certains juristes (A. LUCAS, J. DEVEZE et J. FRAYSSINET, Droit de l'informatique et de l'Internet, PUF, nov. 2001, n°70.) évoquent ce fondement en raison du profit tiré de l'utilisation de marques réservées illégitimement comme mot-clé par un site positionné.

Si ce fondement n'a pas encore reçu de consécration jurisprudentielle, il reste une menace réelle pour les prestataires de positionnement payant, eu égard au fort rôle créateur des juges en matière de responsabilité civile. D'ailleurs le Tribunal de grande instance de Nanterre dans l'affaire Google/BDV semble avoir voulu faire assumer par le prestataire, maladroitement au regard du fondement choisi, les risques de sa nouvelle activité très lucrative. Le rejet de l'argument technique avancé par Google et le profit corrélatif souligné par le Tribunal attestent de cette volonté.