Mesure de la visibilité : pourquoi Facebook ne vous dit pas tout

Mesure de la visibilité : pourquoi Facebook ne vous dit pas tout Critiqué pour de nombreuses erreurs commises dans la mesure de ses audiences, le réseau social a joué l'apaisement en s'ouvrant à des mesureurs tiers. Mais l'annonce a tout d'un faux-semblant.

C'est peu dire que les derniers mois ont été difficiles pour Facebook. La plateforme a été épinglée quatre fois depuis l'été pour des erreurs dans les mesures d'audience qu'elle communique aux agences et annonceurs qui achètent du média chez elle. De quoi remettre en question le traitement de faveur qui lui est accordé par le marché publicitaire (qui investit chez lui en masse): fort d'une audience de plus de 1,4 milliard d'utilisateurs et d'une offre de data inégalées, Facebook communiquait jusque-là ses propres indicateurs de mesure de la visibilité des publicités. Un cas à part dans un marché où les mesureurs indépendants comme IAS, Moat ou encore Adloox, tous accrédités par l'institut de référence, le MRC, étudient les performances des éditeurs.

Les nouveaux partenaires de Facebook ne taguent pas ses pages comme ils le font sur les sites des autres éditeurs

Tout en s'excusant de ses différentes bévues, Facebook a donc dû transiger. "Nous allons permettre aux annonceurs de vérifier la visibilité des impressions display grâce à des partenaires tiers comme Moat, IAS et Comscore", a annoncé mi-novembre le groupe. Les médias spécialisés saluent alors l'ouverture de la plateforme et agences et annonceurs se félicitent de la concession arrachée.

Problème, comme le font remarquer certains spécialistes de la mesure d'audience, l'annonce de Facebook tient pour beaucoup du faux-semblant. En effet, ses nouveaux partenaires ne taguent pas les pages de Facebook comme ils le font sur les sites des autres éditeurs. En temps normal, le mesureur pose son tag javascript autour de la publicité. Celui-ci mesure alors toutes les 100 millisecondes si la bannière est visible et dans quelles proportions. Mais pas sur Facebook. Le mesureur se contente de retraiter et analyser des données brutes qui sont remontées par… Facebook. "On réduit le rôle du mesureur à celui d'un chargé de validation des données communiquées par l'éditeur", déplore Romain Bellion, l'un des fondateurs du spécialiste français de la mesure, Adloox.

Facebook envoie donc à ses partenaires, Moat, IAS et Comscore, des "batchs" (fournées) de données brutes toutes les trois ou quatre heures. Pour chaque impression, une centaine d'informations. "Ce n'est pas notre technologie qui produit cette donnée mais c'est déjà un grand pas d'avoir accès à ces informations", estime le patron d'Integral Ad Science en France, Yann Le Roux. Mais pour Romain Bellion, "le fond du problème persiste".

"Facebook pourra-t-il s'adapter aux nombreuses mise à jour des navigateurs ?"

 

Car Facebook est loin d'être un spécialiste de la mesure publicitaire. Il n'a jamais été audité et n'est donc pas accrédité par le MRC. Ses récents déboires ont d'ailleurs montré qu'il était loin d'être irréprochable en la matière, même si les erreurs portaient sur les méthodes de calculs et non la remontée des informations.

Si Facebook a annoncé récemment qu'il allait faire de sa technologie Atlas un spécialiste de la mesure et de l'attribution, il n'a tout simplement pas la même expertise qu'un Moat, IAS ou Adloox. Comme le remarque Romain Bellion : "Nous sommes habitués aux nombreuses mises à jour des navigateurs et contraintes technologiques qu'elles peuvent générer. Facebook sera-t-il capable de s'y adapter ?" Et si ce n'est pas le cas, combien de temps faudra-t-il au marché pour se rendre compte d'une erreur ? Dans la configuration actuelle, tous les mesureurs travaillent à partir des mêmes sources de données. Si chacun était libre de poser son tag, le moindre écart entre deux outils permettrait de mettre en lumière la faille.

"Nos clients veulent une mesure complètement indépendante, pas tributaire techniquement de signaux qui sont remontés par l'éditeur qu'elle est censée mesurer", assène Romain Bellion. Tout en confessant qu'il se branchera à Facebook si un client le lui demande. "Dans ce cas-là nous préciserons qu'il s'agit de données communiquées par Facebook."

Facebook refuse les tags de peur de se faire piller en data

L'intransigeance de Facebook sur le sujet s'explique par plusieurs facteurs. D'abord, son aversion, comme beaucoup de plateformes fermées, à l'égard des tags posés par des tiers. Ces tags peuvent aspirer beaucoup d'informations sans même que l'éditeur ne s'en rende compte. Facebook, qui est surveillé de près en matière de protection de la vie privée, est donc très strict sur le sujet. "Si nous options pour une autre configuration, les informations personnelles de nos utilisateurs seraient exposées et l'expérience au sein de l'application serait significativement ralentie", argue un porte-parole de Facebook auprès du JDN. 

Il faut dire que certains prestataires peu scrupuleux n'hésitent pas à recourir à des "piggy backs", des tags posés sur un autre tag. Un acheteur qui pose un tag adserver pour enchérir peut discrètement y greffer des tags de sa DMP et de son outil de tracking. Il peut ainsi récupérer toutes les données de navigation des internautes. Chose que Facebook refuse légitimement de faire. "La plupart des régies Web françaises le feraient également si elles avaient le pouvoir de négociation de Facebook", note un spécialiste de la mesure des audiences.

Romain Bellion a pourtant du mal à entendre l'argument. "Nous avons pour habitude de signer des chartes très strictes avec les éditeurs dans lesquelles nous nous engageons à ne rien aspirer de plus que ce que l'éditeur accepte. Facebook peut se protéger contractuellement comme le fait Yahoo, par exemple, avec nous." Un faux débat pour Facebook qui argue que "chacun des partenaires mesureurs certifiés peut vérifier tous les détails de l'intégration via des tests live end-to-end et une analyse du code, ligne par ligne". 

Pour notre spécialiste de la mesure d'audience, l'alternative résiderait dans le recours à un SDK comme en ont l'habitude les mesureurs pour opérer dans le monde applicatif mobile. "C'est plus rare dans le monde Web mais ça permettrait de trouver une solution très normée, chaque SDK embarquant une liste de fonctionnalités bien précises." Romain Bellion n'est quant à lui pas convaincu par cette solution. "90% des mesureurs ont une certification pour leur outil javascript. Cela représenterait beaucoup de contraintes pour le marché." Facebook n'a de son côté pas pris position sur ces propositions.

Le SRI explique le manque d'entrain de la plateforme par sa volonté de ne pas déprécier son inventaire

Du côté du Syndicat des régies Internet, le SRI, on explique le manque d'entrain de la plateforme par sa volonté de ne pas déprécier son inventaire en étant mesurée de la même manière que ses concurrents. Exemple : selon des données d'agences ayant mesuré leurs campagnes avec un indépendant, la part d'impressions visibles sur Facebook en France n'était que de 15% tandis qu'elle se situe habituellement entre 50 et 60% pour une campagne classique. Le lobbying du SRI, qui réclame que Facebook soit traité comme tout le monde, a donc pour but de mieux valoriser l'inventaire de ses membres face à celui de la plateforme.

En ce sens, un premier pas a été fait car les agences peuvent désormais comparer Facebook et les autres éditeurs avec les mêmes metrics, ce qu'elles ne pouvaient pas faire avant l'ouverture aux mesureurs tiers. Et en ce qui concerne la visibilité, "les premières mesures ont permis de réfréner l'enthousiasme des annonceurs à l'égard de Facebook", note un patron d'agence média. Par contre, leur ardeur pour sa capacité à générer du lead n'a pas changé.