Guillaume Bacuvier (Google) "Non, nous ne voulons pas piquer le job des agences médias"

Le vice-président de Google en charge du développement de Doubleclick dans la zone Emea répond aux craintes d'hégémonie de son groupe au sein du marché français.

JDN. De nombreux acteurs du monde publicitaire online nous ont confié avoir le sentiment que "Google voulait éliminer tous les acteurs du secteur et former les annonceurs à sa technologie". Que répondez-vous à de tels soupçons ?

Guillaume Bacuvier est vice-président en charge du business adtech de Google dans la zone Emea. © S. de P. Google

Guillaume Bacuvier. Que le marché du programmatique est devenu tellement stratégique pour beaucoup d'annonceurs qu'ils préfèrent migrer vers un modèle où ils ont une relation contractuelle directe avec les technologies d'achat. Sans nécessairement "sauter" l'agence, il est devenu crucial pour ces annonceurs de garder la mainmise sur les données récoltées et exploitées dans le cadre de leurs actions programmatique. Ce qu'ils ne peuvent pas faire lorsqu'ils passent par un trading desk qui vend une audience comme le fait tout réseau publicitaire et a, à ce titre, le contrôle des résultats et des données de campagnes

C'est un problème de gouvernance de la donnée. De même, quand un annonceur est amené à changer d'agence média, il veut pouvoir récupérer tout l'historique de ses campagnes en ayant un siège directement au sein de la technologie d'achat.

Quel est le rôle de Google dans cet écosystème ?

Google a-t-il la volonté de devenir un conseil média auprès des annonceurs et de piquer le rôle des agences ? Absolument pas. La relation entre l'agence et l'annonceur évolue certes mais elle reste clé, avec une agence qui devient prestataire de services et garde toute sa dimension conseil.

A quoi servent la dizaine de vos collaborateurs installés dans les locaux de L'Oréal, si ce n'est pour l'accompagner dans sa stratégie média ?

Les outils de Google sont des outils de software complexes comme le sont ceux d'Oracle, Adobe ou d'autres… Il me parait normal qu'un fournisseur de couches technologiques s'assure également de la formation et de la compréhension de ses outils par ses clients. C'est légitime pour un annonceur comme L'Oréal, qui utilise l'ensemble des outils de la suite Google (Analytics, Data viz, DSP…), d'accueillir une dizaine de nos collaborateurs durant la période de montée en charge. En particulier au regard des enjeux et de la taille de L'Oréal qui veut déporter l'utilisation des solutions Doubleclick sur l'ensemble de ses filiales.

"Nous n'aurions aucune chance de réussir face à Adobe ou Oracle si nos outils étaient biaisés"

Comprenez-vous l'inquiétude d'une partie du marché lorsqu'elle voit le poids pris par Google, côté achat comme côté vente ? Les soupçons de conflit d'intérêts reviennent régulièrement.

Dans un marché où nous sommes de plus en plus concurrencés par des acteurs technos non présents côté média, comme Adobe, Oracle ou encore Salesforce, nous n'aurions aucune chance de réussir si nos outils étaient biaisés. Les outils de Google sont-ils objectifs ? Oui. Je n'ai aucun soucis à ce que Google Analytics 360, notre solution d'attribution, ne préconise pas d'investir plus en search en faisant remonter des taux de conversion pas terrible. J'ajouterai que nos outils d'achats médias, Doubleclick Bid Manager et Doubleclick Campaign Manager, sont connectés à tous les inventaires possibles. Même Facebook ! Ils n'ont pas vocation à être exclusifs à Google. Alors oui, il est indiscutable que l'intégration est plus facile quand on achète du média Google avec nos outils d'achat. Mais c'est aux agences et aux acheteurs d'arbitrer entre, d'un côté, le gain de productivité et la simplicité technique, et de l'autre, les répercussions d'un processus plus complexe sur le coût.

Le problème est aussi que les marges des agences sont mises sous pression par les annonceurs et n'ont plus forcément les moyens de mener une telle réflexion.

On est effectivement tombés dans un cercle vicieux en ce qui concerne le modèle de rémunération des agences. J'espère que les annonceurs pourront les aider à trouver une solution pour délaisser les prestations à faible valeur ajoutée au profit du conseil. C'est ce qu'on attend d'elles.

Comment analysez-vous le rôle de vos concurrents côté DSP ?

Si c'est une erreur pour un acheteur d'avoir plusieurs adservers ou plusieurs outils de mesure de ses audiences, il me semble en revanche tout à fait normal qu'il ait recours à plusieurs DSP et qu'ils les challengent. C'est d'ailleurs le cas de la majorité de nos clients.

Google n'a donc pas l'intention de verrouiller le marché de l'achat média programmatique comme il a pu le faire sur Adwords ? Il y a une dizaine d'années, de nombreuses plateformes permettaient d'acheter du search au sein d'Adwords jusqu'à ce que Google "tue" la concurrence en baissant subitement ses fees à 1% pour ceux qui achetaient directement depuis son outil propriétaire.

Les fees de l'outil d'achat de Google Adwords ont toujours été, aussi loin que je me souvienne, de 1%, identiques à ceux de ses concurrents. Mais il n'est pas étonnant que Google ait eu besoin de s'appuyer sur plus de prestataires à ses débuts quand il était encore trop petit. A mesure qu'il a grandi, il a pu accueillir directement de plus en plus de clients. Les plateformes aux outils d'achats propriétaires permettant de faire du Google Adwords existent encore. Google n'a pas tué la concurrence. Je rappelle que l'API d'Adwords est ouverte à tous et que rien ne nous aurait empêché de la fermer.

Peut-être l'impact en termes d'image…

Certes.

Que répondez-vous à ceux qui soupçonnent Google de verrouiller le marché avec des tarifs défiant toute concurrence côté DSP et en consentant d'importants rabais aux annonceurs et agences qui investissent beaucoup sur son adexchange ? 
Ces reproches m'ont beaucoup étonné car on ne nous dit quasiment jamais que nous sommes les moins chers, au contraire. Nous nous situons plutôt dans la fourchette haute car nous sommes les plus riches en termes de fonctionnalité. D'autant que ces "fees" de 10% pour le DSP de Doubleclick s'accompagnent d'un niveau de service faible. C'est quasiment de la pure techno. Pas du "managed services" comme chez beaucoup de nos concurrents qui proposent un accompagnement humain.

"Il y a une confusion au sujet de nos programmes d'incitations à destination des agences et annonceurs"

Je pense que toutes ces spéculations sur nos tarifs viennent d'une certaine confusion au sujet de nos programmes d'incitations, qui sont pourtant publics et transparents. Les annonceurs obtiennent, en échange d'un haut niveau d'engagement, des prix plus faibles à l'achat sur certains formats Youtube non vendus aux enchères (Masthead de la homepage par exemple, ndlr). Mais il n'y a pas de remise généralisée. On peut éventuellement cofinancer une étude de marché sur la campagne réalisée mais ça ne va pas plus loin.

Pour les agences qui s'engagent, elles, sur des volumes beaucoup plus élevés, nous allons plus loin. Outre les tarifs plus faibles sur les formats mentionnés plus haut, nous leur proposons également un accompagnement de type "Google at your desk". Mais l'offre commerciale n'est pas disponible en France, loi Sapin oblige.

A vous entendre, Google est donc toujours désireux de fédérer l'ensemble des acteurs de la chaîne de valeur programmatique autour de son offre.

C'est tout à fait ça. Nous sommes vraiment désireux de créer un écosystème partenaire autours de nous. Qu'il s'agisse des SSII, des solutions technos ou encore des agences de conseil média. Nous avons lancé un programme "DoubleClick Certified Marketing Partners" qui permet aux entreprises de se mettre en contact avec des agences certifiées et à même de les accompagner dans la définition et la mise en place de leur stratégie programmatique. NetBooster, Publicis Media et Remind ont récemment été certifiés. Je ne doute pas que l'essentiel des grosses agences l'obtiendront prochainement.

Vous ne mentionnez pas les trading desks ?

On parle d'un réseau au sein d'une agence qui vend du média plus qu'une prestation de service et qui peut être considéré à ce titre comme un concurrent de notre Google Display Network.

Même les pure-players indépendants ?

Disons que je pense que deux types d'acteurs vont se dégager. D'un côté des trading desks qui opèrent le service de bout en bout, comme une régie, auquel on achète du média. De l'autre, des trading desks qui remontent la chaîne de valeur et se situent plus en amont, dans une forte dimension conseil. Ces derniers peuvent effectivement devenir des partenaires de Google.

Guillaume Bacuvier est vice-président en charge du business adtech de Google dans la zone Emea. Il a été préalablement directeur des ventes et opérations des produits publicitaires sur mobile de Google sur les mêmes zones et directeur des grands comptes pour le secteur Hi-Tech. Guillaume Bacuvier est  diplômé X-Télécom et titulaire d'un DEA d'Economie et d'un MBA de l'INSEAD.

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