Les dérives du header bidding menacent SSP, annonceurs... et éditeurs

Les dérives du header bidding menacent SSP, annonceurs... et éditeurs Outre l'explosion des coûts techniques, la complexité du marché favorise la montée en puissance d'acteurs aux comportements peu responsables.

2016 a consacré le header bidding comme une des tendances fortes de l'adtech. Les éditeurs se félicitent de l'arrivée d'un outil qui leur permet de tirer leur CPM vers le haut en se connectant à un maximum de sources d'enchères. De leur côté, les SSP se réjouissent de pouvoir tailler des croupières à un Google qui n'est plus le seul à pouvoir mettre en concurrence vente directe et programmatique. Et pour tous, le résultat est le même : un chiffre d'affaires en hausse.

Tout le monde s'accorde donc à dire que ce dispositif décloisonne le marché, supprime les rentes octroyées par des contrats d'exclusivité et réinjecte un peu de méritocratie avec cette mécanique d'enchères vraiment ouvertes où, enfin, celui qui propose le plus, gagne la position. Mais des critiques commencent à poindre dans ce monde merveilleux.

"Le header bidding nous fait perdre l'exclusivité que nous avions avec notre portefeuille de clients"

Selon un haut-dirigeant de SSP, l'évolution actuelle des pratiques pourrait engendrer une bulle artificielle : "Tous les patrons de SSP disent , en 'on', que le header bidding est un levier de croissance car il nous permet de travailler avec des éditeurs qui nous fermaient jusque-là leur porte. Et c'est vrai. Mais il ne faut pas oublier que le header bidding nous fait perdre l'exclusivité que nous avions avec notre portefeuille de clients. Nos coûts techniques explosent car nous devons gérer beaucoup plus de 'bid requests', mais pas notre chiffre d'affaires dans la mesure où ne les gagnons pas toutes." La rentabilité des principales technologies de SSP s'érode donc. "Difficile dans ces conditions de continuer à investir pour améliorer le produit", argue-t-il.

Un avis que ne partage pas le directeur commercial France d'Appnexus, Paul-Antoine Strullu, qui fait de cette problématique un atout pour son SSP, dont "l'infrastructure lui permet de supporter un modèle économique à bas coût." Appnexus figure ainsi parmi les plus fervents défenseurs de la pratique. Le SSP a d'ailleurs mis au point un "wrapper headerbidding" open-source, baptisé prebid.js et adoubé par l'IAB comme le standard du marché. Ce dernier permet aux éditeurs de mettre en concurrence plusieurs SSP… dont Appnexus. Preuve que ce dernier n'a pas peur de la compétition.

Le patron du programmatique de Webedia, Sylvain Travers, figure parmi les premiers utilisateurs du "wrapper" d'Appnexus. "J'utilise en priorité le header bidding pour mettre en compétition ventes directes et programmatique", nous explique-t-il. Au Brésil, Webedia est connecté à deux SSP : Appnexus et Rubicon Project. "Il est inutile d'en brancher plus vu les parts de marché de ces deux acteurs. Cela augmenterait considérablement le temps d'affichage pour très peu de chiffre d'affaires supplémentaire." Paul-Antoine Strullu abonde. "Notre 'wrapper header bidding' est connecté à 27 partenaires. Nous déconseillons évidemment à un éditeur de se connecter à tous", explique-t-il.

L'annonceur dépense autant… beaucoup plus vite

Des arguments qui ne convainquent pas notre patron de SSP anonyme. Ce dernier note ainsi que le header-bidding a remis en selle quelques SSP qui n'arrivaient pas à percer. "Ils peuvent désormais taguer les sites et grappiller quelques parts de marché. Mais le gâteau ne grossit pas, contrairement au nombre d'acteurs qui se le partagent"

Des SSP qui basculent vers une logique de "1st price market"

Et ces acteurs peuvent être très agressifs pour arriver à leur fin. Alors que la logique du "2nd price market" est la norme (le SSP qui gagne paie un centime au-dessus du prix de la seconde meilleure enchère qu'il a obtenue), certains SSP n'hésitent pas à basculer vers une logique de "1st price market" (le SSP qui gagne paie le prix de sa meilleure enchère) pour être sûr de gagner l'impression. "C'est d'autant plus problématique en France que l'on a une faible densité d'enchères comparé à un marché comme celui du Royaume-Uni. L'écart entre les deux meilleures enchères obtenues par le SSP est conséquent. Un SSP qui passe dans une logique de "1st price market" est donc quasiment assuré de gagner, puisque son offre à toutes les chances d'être supérieure à celles de ses concurrents.

Process d'enchère sur une impression
Nom Plus forte enchère reçue par le SSP Logique d'enchère du SSP Prix soumis par le SSP Résultat Prix payé
SSP 1 6 euros  1st price 6 euros Gagne 6 euros 
SSP 2 6 euros  2nd price 4,31 euros Perd  
SSP 3 6 euros  2nd price 3,86 euros Perd  

Résultat : les campagnes de l'annonceur sont dépensées beaucoup plus vite et son coût d'acquisition explose. Il n'a alors pas d'autre choix que de couper cet éditeur devenu bien moins compétitif, la faute à un SSP trop agressif. Le problème existe, comme en atteste le CTO d'Appnexus dans une note de blog. Le "wrapper" d'Appnexus, Prebid.js, a d'ailleurs décidé de prendre le problème à bras le corps en lançant une fonctionnalité baptisée "Supply Path Optimization" qui pénalise les SSP qui pratiquent la logique du "1st price market".

"Certains annonceurs enchérissent sur la même impression via différents DSP… et s'auto-concurrencent donc"

Dans un marché du programmatique déjà critiqué pour son manque de transparence et sa complexité, il faut bien admettre que le header bidding n'aide pas vraiment à y voir plus clair. Certains annonceurs sont tellement dans le flou qu'il arrive qu'ils "enchérissent sur la même impression via différents DSP… et s'auto-concurrencent donc", regrette notre patron anonyme. La facture n'en est, encore une fois, que plus salée pour l'annonceur.

Paul-Antoine Strullu concède que ce genre de situations peut arriver et affirme qu'Appnexus fait tout pour y remédier. "Pour éviter cela, on privilégie l'accès le plus direct à l'enchère et au SSP et on bloque les bids qui font intervenir le plus d'intermédiaires… Ça peut paraître contre-intuitif pour l'éditeur mais sur le long terme c'est le plus vertueux." Même son de cloche du côté de Sylvain Travers qui reprend le marché brésilien comme exemple. "Un acheteur qui utilise le DSP d'Appnexus ne pourra enchérir que depuis le SSP d'Appnexus pour éviter ce genre de situation".

C'est ce genre de processus qui inquiète notre anonyme pour qui les DSP risquent de favoriser un exchange en particulier dans le but de diminuer leurs coûts techniques, persuadés que de toute façon tout est désormais disponible partout. "On peut imaginer qu'un annonceur utilisant le DSP d'AOL décide de se tourner exclusivement vers l'inventaire vendu via AOL. Même logique pour Google et Appnexus, qui sont présents des deux-côtés", explique-t-il.

Pure science-fiction ou avenir probable ? Sylvain Travers rappelle une évidence : "On ne peut pas empêcher les gens de faire n'importe quoi". Le header bidding, comme toute nouvelle technique, peut évidemment être dévoyé. C'est au marché de trouver des garde-fous. Ceux proposés par le 'wrapper' d'Appnexus, qui a été adoubé par l'IAB et est devenu complètement open-source, vont dans la bonne direction. Pour rééquilibrer le rapport de force entre Google et le reste du marché, "il est important de pérenniser une technologie dont l'intelligence ne provient pas de Google".