Utiq ne convainc pas les grands groupes médias français

Utiq ne convainc pas les grands groupes médias français Deux éditeurs français représentatifs des plus importantes marques médias de l'Hexagone se montrent sceptiques face à une proposition jugée techniquement et commercialement insuffisante

Utiq, la coentreprise des opérateurs télécom européens Deutsche Telekom, Orange, Telefonica et Vodafone proposant à l'industrie publicitaire une alternative aux cookies tiers, n'a pas réussi à convaincre pour l'instant de grands groupes médias français. En France, où un bureau a été officiellement ouvert le 6 juin, les communications et les présentations auprès des marques et de grands éditeurs se multiplient. Après une année de tests en Allemagne avec trois groupes médias, l'entreprise doit accélérer et recruter du monde chez les éditeurs pour disposer d'une masse critique d'audience sur des environnements premium afin d'attirer les grands annonceurs.

Nous avons consulté deux groupes français représentatifs des plus importantes marques médias de l'Hexagone. Se montrant sceptiques face à une proposition jugée techniquement et commercialement insuffisante, nos deux interlocuteurs confirment leur intention d'attendre que la solution évolue voire que certains de ses nombreux points bloquants soient résolus avant de reconsidérer la possibilité d'y prendre part.

Trois obstacles au reach 

Pour les responsables que nous avons consultés, nul doute que le double opt-in est un sérieux frein à l'acceptation des utilisateurs et par conséquent à la pertinence de la solution voire à sa pérennité. Utiq imposera en effet un bandeau de consentement qui lui sera propre et qui s'affichera juste après le premier bandeau de consentement diffusé par l'éditeur lors de la visite de son site. "L'expérience utilisateur est déjà mauvaise lorsqu'il doit répondre au premier bandeau : lui imposer une deuxième couche de consentement, c'est s'assurer de le perdre", indique l'un de nos interlocuteurs souhaitant rester anonyme.

"Cela va augmenter mon taux de rebond et me couper potentiellement d'au moins 5% de mon chiffre d'affaires"

"Il est paradoxal d'imposer un double consentement et même un premier consentement tout court alors qu'il s'agit d'une solution cookieless qui ne prévoit aucun dépôt de traceurs sur le device des utilisateurs", poursuit notre expert. "Cela va augmenter mon taux de rebond et me couper potentiellement d'au moins 5% de mon chiffre d'affaires à coup sûr", analyse notre autre source, souhaitant également rester anonyme.

Deuxième sujet d'inquiétude : le deuxième bandeau ne comportera pas l'identité visuelle de l'opérateur télécom associé à cette initiative mais uniquement le logo d'Utiq. "Personne ne connaît Utiq, l'absence de l'identité de marque de l'opérateur ne va pas rassurer l'utilisateur, et je serais très fortement étonné si ce dernier donnait son consentement !", analyse un spécialiste.

S'y ajoute enfin le fait que la technologie ne fonctionnera pas sur les connections Wifi, du moins dans un premier temps. "La promesse était un identifiant généré par les devices, universel et puissant. On se retrouve avec une accumulation de contraintes qui le vident de son intérêt parce que nous ne réussirons à toucher qu'une infime parcelle de nos audiences", conclut un de nos analystes.

Aucune fonctionnalité sell side

A condition de réussir à convaincre les éditeurs de devenir partenaires de l'initiative, Utiq est d'abord et avant tout une solution qui permettra aux marques de régler le problème de l'absence de solution cross-site due à la fin prochaine des cookies tiers sur Chrome (et son absence déjà sur deux autres navigateurs). En faisant le lien entre différents sites, Utiq entend permettre aux annonceurs de disposer de reach (la portée de la campagne en volume d'audience), de maîtriser la fréquence d'exposition à leurs campagnes et d'être capables d'attribuer leurs performances.

"Je m'attendais à ce que des fonctionnalités soient également proposées au sell-side. Le cross-site est extrêmement important aussi pour renforcer notre connaissance CRM, à des fins de marketing pour nos éditeurs et également pour l'extension d'audience proposée par les régies. Or, il n'en est strictement rien. Pourquoi ne rien proposer au sell side alors que c'est bien le sell side qui collecte le consentement et qui réunit les audiences ? Il n'existe aucun frein technique qui explique une telle décision", se lâche notre interlocuteur, visiblement déçu.

Un stack technologique "étrange"

Durant la phase de lancement de la solution, dont la durée n'est pas précisée, une seule plateforme d'achat, la DSP danoise Adform, pourra être utilisée par les agences et les annonceurs pour accéder à l'inventaire rassemblé par Utiq. Si Adform est bien installée sur les marchés allemand et anglais, il ne s'agit pas d'une plateforme très répandue en France.

"Utiq nous permet d'offrir zéro audience à zéro annonceurs."

A titre d'illustration, dans le top 15 des bidders actifs en France tous formats confondus présentés dans le dernier Baromètre du programmatique de l'Alliance digitale, Adform n'apparaît pas. "Si je devais résumer, Utiq vient nous chercher pour nous permettre au bout du compte d'offrir zéro audience à zéro annonceurs." Aucune précision n'est fournie à ce stade sur d'autres stacks technologiques possibles : côté SSP ou DMP, c'est le néant."

Un modèle économique opaque

Les groupes médias que nous avons consultés nous confirment qu'à ce stade Utiq leur propose une intégration gratuite et qu'aucun frais d'aucune sorte ni partage de revenus n'est pour l'instant évoqué. "Mais jusqu'à quand ? Et demain, si ce canal devient fortement utilisé par les marques, de quels garde-fous disposeront les publishers pour éviter le même sort que la TV segmentée qui coûte une fortune du CPM parce qu'entre 35% et 50% partent en commissions chez les telcos ? Est-ce le rôle d'une boîte privée très puissante de décider à l'avenir du sort des publishers et de piloter le fonctionnement de l'industrie publicitaire ?". A Utiq de répondre désormais à ces questions s'il veut percer en France.