Apple vs Autorité de la concurrence : l'industrie de la pub ne peut pas encore crier victoire
Près de trois ans après la saisine de l'Autorité française, Apple va pouvoir se défendre face à l'accusation d'abus de position dominante et manœuvre anticoncurrentielle matérialisés formulée par les associations françaises
Rattrapé par la patrouille. L'Autorité de la concurrence a fait savoir ce mardi 25 juillet qu'un grief a été notifié au groupe Apple, "concernant des pratiques dans le secteur de la distribution d'applications sur les terminaux mobiles, qui sont susceptibles d'avoir des effets sur plusieurs marchés connexes de services publicitaires et de services aux consommateurs". Cet acte administratif est le résultat de plusieurs années d'instruction menés par l'Autorité à la suite de sa saisine, en octobre 2020, par quatre associations du secteur de la publicité, dont l'UDECAM, l'Alliance Digitale (à l'époque IAB et MMA) et le SRI, rejoints ensuite par le Geste, contre Apple pour abus de position dominante et manœuvre anticoncurrentielle matérialisés. Au cœur du dossier, la politique anti-tracking d'Apple, l'App Tracking Transparency (ATT).
Pour les associations françaises, qui sollicitées par le JDN n'ont naturellement pas souhaité commenter cette information à ce stade, cette décision est évidemment une nouvelle très positive après près de trois ans d'attente et surtout après le refus de l'Autorité française, communiqué en mars 2021, de prononcer des mesures conservatoires à l'encontre d'Apple en attendant l'instruction du dossier. Même si la notification de griefs ne préjuge pas de la culpabilité de l'entreprise visée par la plainte, elle équivaut à un acte d'accusation et ouvre ainsi la procédure contradictoire pendant laquelle Apple devra se défendre. "Seule l'instruction menée de façon contradictoire, dans le respect des droits de la défense de l'entreprise concernée, permettra au collège de déterminer, après échanges d'observations écrites et après une séance orale, si le grief est ou non fondé", précise l'Autorité dans un communiqué.
Hécatombe des revenus
Les associations ayant saisi l'Autorité de la concurrence, représentatives du marché publicitaire français en ligne (éditeurs, régies, agences et prestataires technologiques), contestent la modalité de consentement au suivi publicitaire imposée par l'ATT d'Apple à l'occasion de la mise à jour de son système d'exploitation, alors l'iOS 14, appliquée en avril 2021. Cette mise à jour a introduit un changement de taille : l'autorisation ou le refus du traceur publicitaire (IDFA) doit depuis se faire au moment du téléchargement de l'application ou en cas de changement de device avec un texte standard jugé anxiogène par ses contestataires, ne favorisant pas de changement d'avis et venant en plus s'ajouter au recueil du consentement imposé par le RGPD et la directive e-Privacy. Une mesure qui, craignaient les associations, devait avoir pour impact de faire baisser sensiblement les taux d'acceptation au suivi publicitaire sur iOS avec des effets désastreux sur le ciblage, le reciblage et la mesure et attribution des campagnes publicitaires.
A l'époque de la saisine, la mise à jour n'était pas encore en application et son impact sur le marché publicitaire n'était pas mesurable. Or, dès sa mise en application, l'industrie a observé une véritable hécatombe de ses revenus liés à la promotion des applications mobiles auprès des mobinautes sur iOS. De plus, l'IDFA étant devenu une denrée rare, les annonceurs se l'arrachaient, ce qui a contribué à faire grimper le prix d'un inventaire générant forcément moins de conversions. Mais la situation s'est ensuite plus ou moins rétablie, même si à des niveaux jugés très insatisfaisants par l'industrie et avec une perte considérable de visibilité sur l'attribution des conversions. Une étude réalisée par Appsflyer sur iOS en avril 2022, soit un an après l'application du nouveau système, indiquait que près d'un mobinaute français sur deux refusait le tracking publicitaire sur iOS. Ce ne sont pas les 80% de refus que tout le monde redoutait mais tout de même la moitié… (un taux sans doute supérieur comparé au système précédent où l'opt-in par défaut était la règle).
Impossible retour en arrière
Le raisonnement des auteurs de la plainte contre Apple pour abus de position dominante et manœuvre anticoncurrentielle matérialisés, commenté avec le JDN l'automne dernier, est le suivant : en affaiblissant le modèle publicitaire des acteurs de la chaîne publicitaire, soit ses concurrents, Apple encaisse davantage de commissions sur les applications payantes et monopolise la maîtrise des données des utilisateurs sur iPhone, ce qui a pour effet de lui permettre de mieux vendre la publicité sur Apple Search Ads. Sans a priori aller jusqu'à demander un retour en arrière (d'autant plus difficile à concevoir aujourd'hui que les traceurs à l'individu sont en perte de vitesse, notamment chez Google), les associations souhaitent entre autres forcer Apple à accepter un compromis par exemple en autorisant la personnalisation de la pop-up ATT par les éditeurs d'applications afin de pouvoir l'utiliser comme CMP pour le RGPD/ePrivacy, ou bien permettre l'interopérabilité des CMP existantes avec iOS.
Aucun délai pour la conclusion de la procédure n'est précisé et même si la décision devait être favorable aux plaignants, Apple pourrait encore la contester devant la cour d'appel de Paris.