Clément Grandjean (CPA) "Les guides d'achat pourraient perdre 80% de leurs audiences à cause de Google SGE"

A entendre Clément Grandjean, VP du Collectif pour les acteurs du marketing digital (CPA), l'IA générative dans les résultats de Google annonce la mort d'une activité qui pèse lourd dans les recettes de bon nombre d'éditeurs pure players.

JDN. Vous êtes vice-président du CPA et responsable content to commerce du groupe Humanoid. Comment le secteur du content to commerce et plus généralement de l'affiliation haut de funnel réagit à l'arrivée prochaine de l'IA générative dans le moteur de recherche de Google (la SGE) ?

Clément Grandjean. L'arrivée de l'IA générative dans le moteur de recherche de Google (nommée Search Generative Experience ou SGE, en test aux Etats-Unis et en Asie, est prévue en France début 2024, ndlr), représente un vrai risque pour notre marché et cette crainte est partagée par tous les acteurs qui produisent des guides d'achat. Le risque concerne les requêtes liées aux produits. L'encadré SGE présenté dans la page pousse prioritairement les résultats Google Shopping et prend beaucoup de place en venant se positionner juste après les résultats sponsorisés (SEA) et avant les résultats organiques. Tous les liens organiques renvoyant vers des articles de qualité de recommandation, de comparaison et d'explication de ces produits testés par des journalistes sont affichés beaucoup plus bas dans la page. A travers la SGE, nous pensons que Google risque par conséquent de s'approprier ces requêtes produits en priorisant Google Shopping.

Prenons un des exemples utilisés par Google pour présenter la SGE : une requête pour une enceinte bluetooth pour une pool party. On y observe une double intégration de Google Shopping, d'une part sur l'encadré SGE mais également tout en haut dans les résultats sponsorisés. Les résultats organiques ne se voient même pas sur la page de résultats. Cela représente donc un risque très important pour les éditeurs de contenus qui produisent des guides d'achat puisque les réponses aux requêtes seront assurées prioritairement par l'IA générative.

Dans les exemples fournis par Google, des références sont faites aux sites source. Ne serait-ce pas une solution pour maintenir le trafic ?

Seules trois sources sont citées dans l'exemple que nous utilisons, dont une renvoyant vers un site de marque, qui recommande par conséquent ses propres produits. De plus, les liens vers les sites en question sont beaucoup moins visibles que dans les résultats organiques classiques. Par ailleurs, étant doublement exposé aux résultats sponsorisés de Google Shopping, le consommateur risque de se retrouver avec les seules recommandations poussées par Google, qui peuvent obéir à de critères financiers et non aux principes d'une recommandation neutre et fiable. Google est juge et partie sur le SEA : quand par exemple vous cherchez 'le meilleur smartphone' sur le moteur de recherche, il ne vous recommande jamais des iPhone, ce qui est pour le moins étrange.

Quel impact la SGE pourrait-elle avoir sur le trafic renvoyé aux guides d'achat ? Etes-vous nombreux à l'avoir estimé ?

L'acquisition des audiences des guides d'achat se fait à 99% à travers le SEO. Nous estimons que les guides d'achat pourraient perdre 80% de leurs audiences à cause de Google SGE, c'est un impact énorme d'autant qu'il s'agit d'une audience très qualifiée, en phase de recherche. Les guides d'achat pèsent lourd dans les revenus de notre société et de nos concurrents. Nous sommes une trentaine d'éditeurs en France, dont une dizaine au sein du CPA, à avoir une activité similaire de production de guides d'achat, c'est-à-dire des contenus éditoriaux qualitatifs de tests et de recommandations faits par des professionnels et intégrant des comparateurs de prix, comme le groupe Humanoid (éditeur de Frandroid, Numerama et Madmoizelle), Keleops (Presse-citron, Journal du Geek, 01net, etc., ndlr) et Unify/Reworld Media (Marmiton, auFeminin, Doctissimo, Les Numériques, etc., ndlr). C'est un sujet qui nous inquiète tous.

Quelles solutions explorez-vous à ce problème ?

Nous menons ces réflexions au sein du CPA mais également  conjointement avec Le Geste et l'Alliance Digitale. Nous explorons plusieurs pistes comme le partage de revenus avec Google sur le contenu scrappé par son IA et à partir de ce qu'il obtient avec Google Shopping. Une autre possibilité serait que Google pousse des liens directement vers les guides d'achat des éditeurs au lieu de donner priorité aux liens Google Shopping. Enfin, on pourrait envisager l'application de la réglementation des droits voisins. Aucune solution n'a pour l'instant été retenue. Le plus important, c'est que l'on puisse échanger avec Google assez rapidement pour clarifier tout cela. A ce stade, nous sommes dans le plus grand flou. Nous ne savons ni à partir de quand précisément ni comment ce dispositif sera mis en place, encore moins la manière dont nos contenus seront repris.