Privacy Sandbox : Google répond à Criteo… et se fait étriller par Index Exchange
Le feuilleton de la Privacy Sandbox a repris en fanfare depuis que Criteo a rendu publiques les conclusions de ses tests, quelques jours avant la clôture le 30 juin des tests menés dans le cadre du suivi de la Competition and Markets Authority (CMA). Et ses constats sont sans appel : l'outil ne peut être déployé en l'état. Selon Criteo, il fait en effet fondre les revenus des éditeurs de 60% en moyenne, renforce considérablement la domination de Google Ad Manager (le SSP de Google) et multiplie par deux le temps de chargement des publicités sur les sites.
Des conclusions aussitôt contestées par Google, qui, sollicité par le JDN, questionne la validité de ces tests : "Il est impossible de prédire la performance des éditeurs en se basant uniquement sur l'efficacité d'une seule plateforme d'achat (Criteo en l'occurrence, ndlr), car les éditeurs travaillent généralement avec des dizaines de sources de demande. De plus, nous nous attendons à ce que les indicateurs de performance évoluent. Car ils ne reflètent pas actuellement le fonctionnement de l'écosystème global dans un véritable marché. Et un tel marché n'existera pas tant que l'adoption des API ne se sera pas étendue parallèlement au trafic sans cookies tiers", déclare un porte-parole de l'entreprise tout en saluant la tenue de ces tests.
1er argument de Google : les tests ont été faits avec une seule plateforme d'achat
Il est vrai que quand on se réfère à des tests ayant activé de nombreuses plateformes d'achat (DSP), les résultats sont moins alarmants que ceux présentés par Criteo. Mais ils restent décevants. La plateforme supply side Index Echange, parmi les seules SSP à tester officiellement l'outil, vient justement de dévoiler ses résultats mardi 2 juillet. Index a testé la Privacy Sandbox auprès de "plus de 100 publishers, des milliers de domaines et dix DSP" durant le premier semestre.
Outre les problèmes de latence (+28% contre +100% selon Criteo), l'absence de support pour des formats majeurs tels que la vidéo, et de nombreuses autres limitations pointées pour le sell-side, Index Echange a constaté une baisse de 33% des CPM transitant via la Privacy Sandbox, comparé aux CPM obtenus avec des cookies tiers. Une amélioration de seulement 3 points de ce qui est observé sans solution de ciblage... Des performances qui laissent donc fortement à désirer : "Compte tenu de ses limites actuelles, il se peut que la Privacy Sandbox ne soit pas encore une solution efficace pour une utilisation généralisée, ou qu'elle soit trop coûteuse pour que les entreprises technologiques préparent leurs implémentations en vue d'une mise à disposition générale", conclut Index Exchange.
2e argument de Google : un volume d'impressions limité
Nul doute également que le volume d'impressions pouvant être testées reste limité. Mais il s'est très fortement développé durant le premier semestre au point d'être considéré suffisant pour ces tests. "Nos tests ont prouvé qu'il est possible d'acheter et de diffuser des millions d'impressions dans la Privacy Sandbox, mais il reste encore beaucoup de questions et de problèmes à résoudre", l'atteste Index Exchange.
Ce qui nous ramène à Criteo : l'adtech n'est qu'une plateforme d'achat certes, mais il fait partie des seules entreprises buy side à pouvoir tester l'outil de manière massive. Criteo a déployé ses tests auprès des 1 200 publishers équipés de sa technologie et de milliers d'autres transitant par d'autres SSP. 55% de ce total (qui ne nous est pas communiqué) dispose selon Criteo d'une intégration complète avec la Privacy Sandbox. Ses observations ont de plus été faites dans le cadre de campagnes de ciblage et reciblage déployées pour le compte de la majorité des 18 000 annonceurs clients de Criteo pendant 8 semaines consécutives. Soit un volume de 100 millions d'impressions publicitaires achetées en moyenne chaque semaine… Certes, la baisse de 60% de revenus en moyenne reste circonscrite pour le moment à seulement 1% du trafic sur Chrome concerné par la suppression des cookies tiers. Mais les conclusions de l'adtech sont officiellement soutenues par deux autres acteurs : Raptive, technologie d'affiliation, et RTB House, retargeteur européen. Peut-on par conséquent balayer d'un revers de main la fiabilité de ces tests au prétexte qu'il ne s'agit que d'une seule plateforme d'achat et que les volumes testés sont limités ?
3e argument de Google : la Privacy Sandbox n'est pas là pour faire la même chose que les cookies tiers ou les ID
Google a toujours indiqué que les API de la Privacy Sandbox sont là pour équiper les annonceurs en préservant la confidentialité des personnes. Elles ne sont par conséquent pas conçues pour remplacer les cookies tiers ou les identifiants intersites. En face, Criteo se plaint du fait que la Privacy Sandbox rend difficile pour les marques de proposer un message engageant et adapté à un utilisateur. L'adtech soutient également que l'absence d'information sur les performances des campagnes pose un problème majeur pour les annonceurs. "Plus l'outil génère des incertitudes empêchant la compréhension des publicités, plus il est difficile d'ajuster la pertinence des messages", commente une source proche du dossier. Un point confirmé par Index Exchange qui précise ne pas disposer des données sur l'attribution ou la mesure.
Dans ses recommandations, Criteo propose d'améliorer certaines fonctionnalités, notamment de retargeting, en allongeant à 90 jours le délai pendant lequel les annonceurs peuvent recibler un individu, contre 30 jours aujourd'hui. Il s'agirait également d'améliorer les capacités de mesure, en facilitant une meilleure compréhension de la performance obtenue par une publicité (clics ou conversions attribuables à une impression) et en offrant la possibilité d'adapter le message à afficher à un utilisateur en fonction de son taux d'engagement.
Pourquoi les revenus fondent de 60%
C'est le nœud du problème : sans visibilité sur les performances procurées par l'outil, il est difficile de le défendre. Business is business, et lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous, les budgets fondent. L'IA de la plateforme d'achat de Criteo ne pouvant pas connaître les résultats ni optimiser la stratégie d'activation sur la base de ces derniers, elle ventile les budgets là où les retours des campagnes sont connus et satisfaisants vis-à-vis des objectifs assignés par les annonceurs en termes de ROI, de visites qualifiées, de CPA, etc. Comme la Privacy Sandbox n'a pas procuré de résultats mesurables ou estimables pour les différents objectifs de conquête ou reciblages, les budgets ont automatiquement été alloués ailleurs, faisant fondre les recettes des éditeurs.
Position dominante de Google Ad Manager (GAM) ?
Si Index Exchange n'évoque pas la position dominante de GAM, le SSP de Google, Criteo est très clair. Sur l'ensemble du trafic acheté avec des cookies tiers, 23% provient de GAM. Avec la Privacy Snabox, ce taux passe à… 83% .. Pourtant, GAM, qui participe aux tests, revendique un accord non privilégié avec les équipes de Chrome. "La raison de cette prédominance massive de GAM est qu'il est de loin le SSP le mieux connecté à la Privacy Sandbox. Ses clients éditeurs n'ont pas d'efforts techniques à fournir, contrairement à la plupart des autres SSP. Ces dernières doivent mettre en place des initiatives commerciales et techniques pour la déployer", nous précise un expert.
Toutes ces conclusions et recommandations sont entre les mains de Google et de la CMA depuis la mi-juin. La période de collecte de résultats de tests ayant été close le 30 juin, tous les regards se tournent désormais vers l'Autorité britannique qui doit publier son prochain rapport dans les prochains jours.