GroupM et Havas Media mettent en valeur l'open web premium... mais ne le vendent pas

GroupM et Havas Media mettent en valeur l'open web premium... mais ne le vendent pas En moins d'une semaine, ces deux grands groupes médias ont dévoilé leurs solutions pour rassurer les annonceurs quant à la qualité des sites médias.

Après GroupM (WPP) avec "Back to News" le 12 septembre, c'était au tour de Havas Media Network (Vivendi) de lancer cinq jours plus tard "La French Touch", une place de marché programmatique fermée rassemblant les marques de 25 groupes médias français, dont la presse quotidienne nationale et régionale, soit une version revisitée de leur offre "La Française de Programmatique", lancée en 2016. Si dans la manière de les présenter et dans les détails ces offres varient, le résultat est le même : proposer aux annonceurs une sélection de sites médias premium avec de nombreux gages de qualité. Ces annonces sont saluées par les interlocuteurs que nous avons consultés. Mais une question s'impose : pourquoi proposer ça maintenant ?

Le contexte est certes hautement favorable à l'impact médiatique que ce genre d'initiative peut générer. La difficulté pour les entreprises de presse à faire face à la domination des grandes plateformes numériques et leurs algorithmes est l'objet de nombreuses alertes et a été au cœur des Etats Généraux de l'Information dont les conclusions ont été rendues publiques le 12 septembre dernier. Pour les grands groupes d'agences médias, adopter des initiatives concrètes en faveur du soutien au financement d'un journalisme "responsable" et du pluralisme des médias, à l'instar de ce que propose GroupM, est aussi une manière d'exercer leur responsabilité sociétale (RSE) tout en stimulant les annonceurs à faire de même. Avec "Back to News", GroupM joue fortement sur ce registre : l'agence a sélectionné 100 sites d'information généraliste en se basant sur les critères de deux labels de qualité et avec un parti pris très fortement focalisé sur la lutte contre les fake news, la brand suitability et la qualité d'exposition.

Mais l'explication de fond est ailleurs, et est plutôt d'ordre stratégique : en proposant d'être à l'origine d'une sélection d'inventaires et de son pilotage sur la base de critères qualitatifs, les agences démontrent leur savoir-faire et la valeur qu'elles peuvent apporter aussi bien à la chaîne programmatique qu'au marché en général. Une mise en valeur nécessaire à un moment où les Gafam automatisent l'achat média, réduisant les marges de manœuvre des agences face aux algorithmes et aux budgets restreints des annonceurs qui empêchent la mise en place des dispositifs d'optimisation plus poussés. "Année après année, en étant de moins en moins transparentes, les plateformes américaines et chinoises ont amoindri la valeur ajoutée des agences qui n'ont plus vraiment la main sur le trading. Les offres sur l'open web qui établissent un lien direct avec les éditeurs représentent une opportunité pour les agences de reprendre le contrôle sur le trading et apporter davantage de valeurs à leurs clients", analyse Alban Peltier, CEO d'Antovice.

Havas Media Network, par exemple, centre son discours sur la nécessité de maximiser l'impact des investissements de ses clients annonceurs en réduisant le nombre d'intermédiaires et en déployant des KPI de pilotage en phase avec les attentes du marché, comme celui de l'attention. "Nos clients premium ont des exigences très élevées en matière de brand suitability et de pilotage ultra qualitatif du reach", précise Nathalie Bajeux, chief digital officer chez Havas Media Network. Or, d'après l'argumentaire de l'agence, l'approche 100% data planning des curated marketplaces proposées par les SSP ne suffit pas : il faut y ajouter le volet média "pour une maîtrise parfaite de l'univers de diffusion". Ce qui implique que l'agence se mette en lien directement avec les régies de chaque éditeur sélectionné pour définir le périmètre (ici 450 noms de domaine) et mettre en place des deals ID.

L'intérêt business des agences est aussi en jeu. "Pour de très nombreuses agences, grandes comme plus petites, tous ces éditeurs restent encore de sources importantes d'affaires sur l'offline", précise Emmanuel Crego, directeur de Values Media. Le groupe Prisma Media (Vivendi) en est une belle illustration. Sans parler de la rémunération. "Les agences sont mieux rémunérées par des deals conclus avec les grosses régies qu'avec un Google ou un Amazon", analyse un ancien responsable d'adtech souhaitant rester anonyme.

Un problème d'exécution

Il reste que jusque-là toutes les initiatives visant à favoriser les investissements chez les médias premium de l'open web n'ont pas été suffisantes pour empêcher la perte structurelle des revenus de ces  derniers malgré un marché publicitaire fortement haussier sur le digital.

Une des raisons selon les analystes que nous avons consultés se trouve dans le décalage entre les discours des dirigeants des grands groupes d'agences médias et la pratique sur le terrain des responsables de la définition et de l'exécution des plans médias. "Le problème n'est pas dans l'offre, mais dans son exécution. Souvenez-vous le label Digital Ad Trust : cela n'a jamais marché", commente un expert en trading. "Les dirigeants ont la vision mais les équipes en charge des plans médias ce sont des jeunes professionnels de 25 ans souvent mal rémunérés nés avec les réseaux sociaux qui ne connaissent même pas en profondeur les marques médias historiques. Pour ces derniers, ce qui fonctionne c'est bien le search et le social", commente cet observateur. "Surtout quand on sait que la délocalisation des ressources humaines bat son plein chez certains grands groupes : un trader croate qui gère 15 pays différents aura du mal à faire la différence entre Le Figaro et Le Gorafi", rajoute un autre fin observateur de ce marché.

Alexandra Chabanne, CEO de GroupM, insiste fortement sur la nécessité de former ses équipes de media planning à l'intérêt de l'investissement sur ces inventaires premium de l'open web et à leur valeur. Une initiative louable mais insuffisante selon un de nos observateurs : "Les agences devraient soit obliger leurs équipes à systématiquement placer un pourcentage du mix dans ces inventaires soit les stimuler à les faire en leur prévoyant des primes", déclare un autre expert souhaitant rester anonyme. "Il ne faut pas se leurrer : vous n'avez pas besoin de convaincre les annonceurs d'investir chez les éditeurs français car ces derniers font ce que leur agence leur dit de faire", conclut-elle.

"A la décharge des agences, n'oublions pas que les deux principales sources de revenus chez les grands éditeurs de presse intégrant le classement SRI viennent d'outils automatisés tels que Google Ads et Criteo", tempère Emmanuel Crego. Values Media place 55% des budgets médias de ses annonceurs chez les éditeurs premium de l'open web, 30% en social, 15% en search. Une répartition qui fait presque figure d'exception quand on regarde les moyennes du marché calculées par le Syndicat des régies internet (SRI) : 44% pour le search, 27% en social, 19% seulement en display (YouTube et CTV compris), 10% en affiliation, emailing et comparateurs en 2023.