Consentement aux cookies sur Chrome : les trois scénarios possibles

Consentement aux cookies sur Chrome : les trois scénarios possibles Chrome va-t-il favoriser le blocage des cookies tiers, inciter au contraire à leur acceptation ou trouver une troisième voie le temps d'optimiser Privacy Sandbox ?

Les ingénieurs de Chrome ne chôment pas : à eux de dessiner la "nouvelle expérience" que le navigateur proposera à ses utilisateurs pour leur permettre d'accepter ou de refuser les cookies tiers. Une nouvelle expérience annoncée par Google en juillet en même temps que sa décision de ne plus supprimer les cookies tiers.

Laisser le choix aux utilisateurs, c'est une manière pour Google de tenter de ne pas s'attirer les foudres des autorités de la concurrence ou de protection des données personnelles, d'autant que cette option existe déjà. "Les utilisateurs peuvent déjà bloquer les cookies tiers par défaut sur Chrome, il leur suffit de se rendre dans les paramètres. En pratique, personne ne le fait", rappelle Sébastien Gantou, CEO de Digital DPO. L'expérience concernant les cookies tiers consistera donc en une mise en avant d'une option qui existe déjà. Mais tout va se jouer dans la manière, la forme exerçant une très grande influence sur les utilisateurs. En attendant d'en savoir plus, l'industrie de la publicité trace trois scénarios possibles.

Scénario n° 1 : les utilisateurs seront fortement incités à refuser les cookies tiers

C'est le scénario privilégié par beaucoup d'observateurs, parmi les adtech et les agences notamment : une fenêtre de demande de consentement proposera le choix entre accepter ou refuser les cookies tiers suivant le modèle adopté par Apple en 2021 sur iOS avec son App Tracking Transparency (ATT). Il faut dire que l'industrie de l'adtech sort encore traumatisée de l'ATT, qui aurait "favorisé le refus" en adoptant un vocabulaire anxiogène et un modèle valable à tout l'écosystème mobile d'Apple. "Le terme 'tracking' comporte déjà un biais, il peut effrayer l'utilisateur. A l'instar d'Apple sur ATT, Chrome demandera à l'utilisateur s'il souhaite ou non être tracké", parie Aude Marchand, head of data chez Dentsu France. L'experte va jusqu'à penser que cette expérience concernera l'ensemble des services proposés par Google, y compris des applications comme Maps, YouTube ou Gmail, et pas uniquement Chrome.

D'autres observateurs imaginent encore pire : "Chrome va sans doute se diriger vers un refus des cookies par défaut en laissant aux internautes la possibilité d'accepter les cookies tiers s'ils le souhaitent", déclare Fabien Omont, product marketing director chez Adform. Dans ce cas, l'internaute aurait la possibilité d'accepter les cookies tiers en modifiant les paramètres du navigateur la première fois que l'expérience lui sera proposée mais également au fil de l'eau.

Ces deux variantes de scénario représenteraient un véritable coup de massue pour l'open web français, à entendre les éditeurs, car elles favoriseraient le blocage généralisé des cookies tiers. Bien que ces derniers se raréfient, ils permettent encore d'adresser près d'un internaute sur deux selon les estimations les plus neutres, tous navigateurs confondus. Sur Chrome, le taux d'opt-in aux cookies tiers monte à 75% chez les éditeurs premium ; il explose même (+ de 90%) chez tous ceux qui imposent des cookies walls aux visiteurs, selon les chiffres d'OptiDigital.

L'enjeu de ce virage est aussi de taille pour le côté buy side : "90% de ce que nous achetons en média digital pour nos annonceurs passe sur Chrome !", déclare Aude Marchand.

Scénario n° 2 : le consentement aux cookies tiers sera proposé par défaut

"Selon le scénario auquel je crois fortement, tout comme plusieurs éditeurs que j'ai consultés, ce sera à l'utilisateur avisé de bloquer les cookies tiers, en cochant un choix en ce sens", explique Sébastien Moutte, cofondateur d'OptiDigital. L'expert estime à 20% maximum la part d'internautes sur Chrome suffisamment avisés et motivés pour vouloir refuser le dépôt de cookies tiers.

Il explique son raisonnement : "Le plan initial de Chrome était de tout désactiver et il a fait marche-arrière avec la promesse de cette nouvelle expérience en cours de développement. Or, pourquoi revenir en arrière et faciliter l'opt-out dans ce cas ? Autant tout supprimer ! Supprimer les cookies tiers de manière trop rapide impacterait de manière beaucoup trop brutale le marché publicitaire dans son ensemble, notamment les médias et y compris Google lui-même. Cette alternative de laisser le choix aux utilisateurs est une manière pour Google de laisser les choses se faire de manière beaucoup plus douce et progressive tout en maintenant un taux de cookies tiers actifs au départ, de l'ordre de 70% à 80%", déclare-t-il.

Sébastien Moutte n'est pas le seul à le penser : quelques experts et chercheurs que nous avons consultés y croient fortement en argumentant que ce n'est pas dans l'intérêt de Google de "tuer l'open web".

Scénario n°3 : la fenêtre de consentement sera "équilibrée" et permettra une sortie progressive des cookies tiers

Des experts plus stratèges planchent plutôt sur un scénario mixte, avec une expérience favorable à la Privacy Sandbox sans pour autant inciter à un blocage généralisé des cookies tiers. "Chrome ne peut pas vraiment se permettre de proposer une ergonomie trop favorable aux cookies tiers car ce serait un camouflet pour la Privacy Sandbox", explique Damien Mangin, directeur data du groupe Figaro et CTO de CCM Benchmark (propriétaire du Journal du Net). "Sans compter que ce serait mauvais pour son image, qui est dégradée, l'entreprise étant attaquée de toutes parts", poursuit-il.

Souvenons-nous de la prudence avec laquelle Anthony Chavez, VP Privacy Sandbox, a annoncé la réflexion autour de l'expérience sur Chrome en évoquant la notion de "choix éclairé" chère au RGPD : "Au lieu de supprimer les cookies tiers, nous envisageons d'introduire une nouvelle expérience dans Chrome qui permettra aux gens de faire un choix éclairé qui s'appliquerait à l'ensemble de leur navigation sur le web, et ils pourraient ajuster ce choix à tout moment", avait-il déclaré.

D'un autre côté, Google doit sans doute calculer l'impact de l'arrêt des cookies tiers sur son propre business. "Cet arrêt lui donne-t-il un avantage concurrentiel ou le pénalise-t-il plus que les autres solutions ? Dit autrement, la Privacy Sandbox offre-t-elle déjà à Google une valeur business suffisante pour lui garantir un avantage vis-à-vis des autres solutions alternatives au point qu'il puisse se passer des cookies tiers ?", s'interroge Damien Mangin. "Je n'ai pas la réponse à cette question, mais cela m'étonnerait que ce soit déjà le cas. Je pense que Google est encore dépendant des cookies tiers, malgré tous ses efforts, et que l'entreprise ne peut ni l'avouer publiquement ni trop les mettre en valeur", conclut-il.

En supposant que les deux consentements – Privacy Sandbox et cookies tiers – soient traités séparément, l'expert table plutôt sur une fenêtre de consentement spécifique aux cookies tiers qui favoriserait son blocage mais pas de manière brutale. "Il n'est pas impossible que le reach des cookies tiers disponibles baisse des 60% que nous observons actuellement à 30% après la mise en place de cette nouvelle expérience", nous confie-t-il.

De fait, même un traitement qualifié de neutre pourrait avoir un impact négatif : "Pour rester conforme à la réglementation européenne sur le consentement, Chrome devra afficher à l'internaute : 1) une proposition neutre et équilibrée entre acceptation et refus (un silence valant refus) ; 2) une demande qui soit claire et compréhensible, ce qui suppose de fournir suffisamment d'informations à l'internaute pour qu'il comprenne ce que sont les cookies tiers : un dispositif technique majoritairement utilisé à des fins de publicité. Et dans ce cas, on peut imaginer une dispersion des réponses et donc une baisse du volume global de cookies tiers disponibles", explique Sébastien Gantou.