Le tracking publicitaire expliqué à ma fille, volet 4 : chez les plateformes

Le tracking publicitaire expliqué à ma fille, volet 4 : chez les plateformes Ces environnements fermés sont beaucoup plus tentaculaires dans leur capacité à collecter nos données. Je t'explique.

Chaque pas, chaque page ouverte, chaque contenu consulté ou produit acheté, chaque vidéo cliquée sont autant d'informations sur toi, sur ta vie et sur tes centres d'intérêt qui peuvent être collectées et traitées par les technologies publicitaires. La bonne nouvelle, c'est que, quand cela se passe sur le web, il existe au moins quelques limites. La mauvaise, c'est que la situation est beaucoup plus compliquée chez les grandes plateformes, là précisément où tu t'engages le plus.

Contrairement au web où très souvent on te demande d'accepter ou de refuser le tracking publicitaire, sur Insta ou TikTok on ne t'embête pas : tu as déjà oublié quelle question ils t'ont posée il y a longtemps avant que tu ne cliques sur le bouton te permettant d'accéder à leur service.

Ces environnements fermés que sont chaque réseau social et chaque grande plateforme aux 1 000 facettes et fonctionnalités telles que Google, Apple ou Facebook/Instagram, pour n'en citer que trois, sont beaucoup plus tentaculaires dans leur capacité à collecter la donnée servant à te segmenter à des visées publicitaires lorsque tu es loguée. Pour y échapper il faudrait que tu sois tout le temps déconnectée de ces services. Ce n'est pas un hasard si les annonceurs en raffolent : les segments de données de ces acteurs et leur capacité à permettre aux marques de toucher les "bonnes cibles" sont inégalés.

Parce que Google, c'est Android, le navigateur, le moteur de recherche, Shopping, Maps, gmail, YouTube… C'est-à-dire ta localisation (si tu l'autorises), tes données personnelles quand tu permets à Chrome de capter tes données d'inscription sur n'importe quel site, tes centres d'intérêt via ton historique de navigation, les mots-clés de ce que tu recherches, les dates de tes recherches et les liens sur lesquels tu as cliqués, tes trajets, tes goûts (quand tu navigues connectée à ton compte Google ou que tu es loguée sur YouTube), les destinataires de tes messages sur gmail (certains disent même le contenu de tes messages), ton carnet d'adresses… toute ta vie en gros. Même chose pour Apple (iOS, navigateur, applications).

Et ce n'est pas tout. Facebook sait tout ce que tu fais non seulement au sein de son réseau mais  partout sur le web. "Tous les sites qui font de la pub sur Facebook, y compris les sites de médias, disposent d'un pixel Facebook. Pour tout internaute qui ouvre une page web équipée, le pixel envoie à Facebook l'information qu'il a consulté cette page. Il suffit pour cela que l'internaute se soit connecté une seule fois sur Facebook sur le device qu'il utilise et qu'il ne se soit pas délogué lors de la dernière session d'utilisation du service", explique la head of performance d'une importante agence française. Et bien sûr cela se fait à condition que l'internaute consente au dépôt des cookies sur le site qu'il visite. Ce n'est donc même plus question d'afficher des boutons "like" (dans le passé, c'était ça le marqueur pour savoir si Facebook captait des données sur le web) ! Souvent le pixel est là, alors que le bouton like n'y est pas.

"Les sites partagent ton adresse e-mail à leurs partenaires et prestataires adtech sur l'open web et chez d'autres plateformes comme Pinterest et TikTok. Ils le font lorsqu'ils obtiennent ton autorisation pour collecter tes données. De même, si tu te logues sur n'importe quel site ou application à l'aide de Facebook, la plateforme capte ton e-mail : même s'il est haché, il est très facile pour les algorithmes de la plateforme de faire des rapprochements", rappelle Pascal Vautrin,  fondateur de DigniLog.

Tu vois bien, en matière de plateformes, la liste de ce qui est possible de savoir sur ta vie connectée est tellement longue, qu'il serait même plus judicieux d'inverser le raisonnement : "Au lieu de chercher à comprendre ce que Google ou Meta connaissent de toi, essaye de savoir ce qu'ils ne connaissent pas. Tu auras du mal à trouver", conclut le militant. 

Il va de soi que si tu regardes ou cliques sur une pub sur Insta, TikTok ou whatever, les annonceurs peuvent savoir. C'est essentiel pour eux pour qu'ils comprennent si leurs campagnes ont fonctionné. Ils ne sauront en revanche pas ce que toi, prise individuellement, likes, consultes ou postes en général sur le réseau.

Aussi, comme sur le web, les annonceurs peuvent "injecter" dans le circuit d'un TikTok ou d'un Instagram leurs propres données sur leurs clients dont hypothétiquement toi. Ils le font généralement soit pour exclure leurs clients de la campagne, afin d'éviter de gaspiller de l'argent et aussi de les fatiguer. Ils le font aussi et surtout pour cibler les personnes qui ressemblent à leurs meilleurs clients par exemple. C'est que l'on appelle en machine learning faire du "look alike", une carte maîtresse d'un Facebook, qui dispose d'un volume monstrueux de données sur plus de 3 milliards d'utilisateurs actifs mensuels dans le monde, dont les annonceurs raffolent.

Enfin, même dans ce domaine les choses commencent à bouger: Sous pression de la Commission européenne, et pour tenter de l'apaiser, Meta a annoncé courant novembre son intention de proposer prochainement en Europe sur Facebook et Instagram une option de "publicités moins personnalisées" à ses membres. Ceux qui choisiront cette option auront leur expérience plus fortement interrompue par la publicité, à laquelle ils ne pourront échapper pendant quelques secondes par exemple, un peu comme sur YouTube. En revanche Meta s'engage à ne plus collecter leurs données via ses pixels sur le web mais uniquement sur la base des contenus qu'ils consultent et avec lesquels ils interagissent à l'intérieur du réseau social. Cette option continue d'inclure la prise en compte de l'âge, du genre et de la localisation de l'internaute.