Transformation digitale : le nécessaire "rebooting" de l’informatique
Plus d’agilité dans les développements applicatifs, plus de transversalité avec les directions utilisatrices et plus de frugalité, pour pouvoir investir sans faire exploser les budgets. Les chantiers "big data" obéissent particulièrement à ce triple impératif.
La transformation digitale donne à l’informatique une position centrale d’accélérateur stratégique au cœur de l’entreprise. A ses missions traditionnelles de reporting, d’analyse et d’automatisation des transactions, vient s’ajouter un rôle essentiel de support à l’innovation sur l’offre, les processus et les modèles économiques. Revers de la médaille : l’informatique se trouve soudain sous une énorme pression, confrontée à un foisonnement exponentiel de projets et des attentes de réactivité sans précédent.
Comment réussir le "rebooting" de l’informatique pour digitaliser l’entreprise tout en gérant avec efficacité les systèmes hérités du passé ? Comment placer les moyens technologiques de l’innovation entre les mains des utilisateurs, tout en préservant les marges de contrôle et d’intervention nécessaires ? Comment, enfin, mettre les immenses gisements de données de l’entreprise, le Big Data, au service de sa stratégie ?
1. Le premier impératif est l’agilité. Les équipes informatiques les mieux préparées au digital ont mis en place des méthodes plus souples et plus rapides pour concevoir, développer et lancer les applications. Elles ont re-conçu l’architecture de leurs programmes informatiques dans un souci d’évolutivité et de cohérence. Pour ce faire, elles ont recruté de nouveaux talents et, si nécessaire, ajusté leur modèle organisationnel pour les intégrer et les fidéliser.
Une manière plus rapide de développer et lancer des applications. Les leaders du digital adoptent des modes de développement agiles, du type "DevOps" et s’appuient largement sur le cloud. Des équipes inter-fonctionnelles mettent en place des routines de collaboration quotidiennes entre l’informatique et les utilisateurs pour prioriser et affiner en continu les fonctionnalités applicatives. Les pratiques "DevOps" et "Agiles" favorisent une culture de test en continu, de découpage des projets complexes en modules simples, de réutilisation et de généralisation rapide des meilleures idées. Des études ont montré que la combinaison des méthodes "Agiles" et "Devops" et du cloud réduisait en moyenne les coûts de développement de 30% et divisait les délais par deux.
Une architecture applicative plus flexible et plus modulaire. Revoir l’architecture applicative est souvent indispensable pour préparer son informatique à l’ère digitale. Le but est d’introduire de nouvelles fonctionnalités sur des systèmes traditionnels câblés en dur de la façon la plus fluide possible. Une architecture applicative moderne offre des protocoles d’interfaces standardisés permettant de « brancher » facilement les nouvelles applications, sans intervention lourde sur les programmes existants et sans superposer les logiciels.
De nouveaux talents. La bataille pour l’agilité passe par l’adjonction de compétences non traditionnelles dans les équipes informatiques : spécialistes des architectures applicatives de dernière génération, des méthodes de développement "Agile" et "DevOps", du cloud engineering, du développement sur mobile, de la cyber-sécurité. Encore faut-il faire coexister harmonieusement cette nouvelle génération d’informaticiens avec les équipes existantes. La mise en place d’une organisation à deux vitesses avec deux groupes distincts reportant au CIO peut apporter une solution temporaire lorsque l’informatique est accaparée par les systèmes traditionnels et peine à attirer les nouveaux talents. C’est l’option qu’a choisi un grand groupe pharmaceutique pour attirer une nouvelle génération d’informaticiens tout en renforçant sa gouvernance digitale. Le plus souvent il s’agit néanmoins d’une solution transitoire car ce modèle est plus coûteux et parfois générateur de tensions. A terme, il faudra revenir à une organisation unifiée et dotée du bon mix de compétences pour optimiser l’existant et préparer l’avenir.
2. Le deuxième impératif est la transversalité et la mise en place d’une culture de travail collaborative entre les opérations et l’informatique, à la fois au plan stratégique et dans l’action quotidienne. Cette exigence n’est pas nouvelle mais elle devient vitale dans un monde digital. Le dialogue entre l’informatique et les directions utilisatrices permet de sélectionner les projets d’innovation en fonction de leur impact attendu sur le métier et d’éliminer les projets non critiques par rapport aux priorités stratégiques de l’entreprise. Au-delà des compétences techniques, ce nouvel environnement exige de solides aptitudes à la communication et la co-création de la part des informaticiens. Le CIO lui-même devra montrer l’exemple.
3. Le troisième impératif est la frugalité pour augmenter ses marges de manœuvre financières et répondre aux besoins croissants d’investissement en technologie. La transformation digitale exige une gestion consciencieuse des coûts IT pour pouvoir engager de nouvelles dépenses sans faire exploser les budgets. Un groupe de médias a ainsi adopté une approche « page blanche » pour recentrer le travail de son informatique sur ses vrais besoins. Le directeur informatique, n’hésite pas à arrêter les travaux non nécessaires et résister aux demandes non critiques des utilisateurs pour plus de fonctionnalités ou plus de personnalisation.
Cette réallocation des efforts informatiques passe par un robuste diagnostic préalable et une maîtrise des leviers non traditionnels de réduction de coûts : outsourcing, offshoring, gestion de la demande et des spécifications techniques, lean management… Combinées, ces approches peuvent entraîner une réduction des coûts IT de 20 à 30%... de quoi financer une part significative de l’investissement digital.
Un sujet emblématique : la gestion des données
Ces principes (agilité, transversalité, frugalité) trouvent tout leur sens dans l’ambitieux chantier de big data auquel s’attèle un nombre croissant d’entreprises. Les directions générales ne se sentent pas toujours prêtes à tirer toute la valeur des montagnes de données qui existent dans leur organisation et pensent à juste titre que la donnée est avant tout un enjeu de business et non une question de technologie. Produire de la valeur à partir des données ne peut pas être confié exclusivement à l’IT. Cela nécessite des équipes inter-fonctionnelles, afin de savoir où trouver la data et comment l’utiliser pour créer un avantage concurrentiel. La complémentarité est essentielle : l’IT ne peut savoir à elle seule où se situe la valeur dans les données, pas plus que les utilisateurs ne peuvent comprendre les subtilités techniques du stockage et du management des données. Les informaticiens définissent les typologies et les formats de données, installent et mettent à disposition les infrastructures et les outils d’analyse. Les opérationnels identifient les données à exploiter, exécutent les analyses et en tirent les enseignements dans l’action quotidienne. Les bonnes décisions exigent une compréhension mutuelle des deux perspectives.
En matière de données, le modèle opératoire doit ici encore privilégier l’agilité et l’ouverture. A l’ère du big data, il s’agit de rendre la data accessible au plus grand nombre pour permettre les découvertes et l’innovation. De même que les méthodes « DevOps » apportent plus d’agilité, des approches de type "DataOps" sont à envisager. Elles permettront d’améliorer la manière dont les analystes, les informaticiens et les opérationnels travaillent ensemble pour tirer de nouveaux enseignements des données. Un grand groupe international de services a d’ailleurs choisi de travailler sur deux horizons de temps distincts dans sa stratégie de données. Un horizon court (4-6 semaines) qui permet de réaliser des pilotes très convaincants sur quelques sujets critiques à partir des données existantes, quel que soit leur format, leur mode d’archivage et d’extraction. Un horizon plus long (12-24 mois) au cours duquel l’entreprise acquiert et déploie graduellement les ressources et l’infrastructure cibles.
Le nécessaire "rebooting" de l’informatique pourrait laisser penser que le principal défi de la digitalisation est technique. Pourtant c’est le plus souvent sur des leviers humains qu’achoppe la transformation digitale. Dans le troisième volet de notre journal du front nous verrons comment des entreprises aident leurs collaborateurs à trouver des points de repères et à prospérer dans un univers plus technologique.
Ecrit en collaboration avec Virginie Flam