Damien Rodière (TheFork) "La question n'est plus de savoir si le restaurant du futur sera data-driven, il doit l'être"

Damien Rodière est VP & directeur général general manager western & south Europe de TheFork. Intervenant à l'occasion du Mastercard Innovation Forum 20225 en partenariat avec le JDN, il revient sur l'importance de la data pour le secteur de la restauration.

JDN. Vous collectez des millions de signaux de réservation : comment transformez-vous cette data en insights actionnables pour les restaurateurs ?

Damien Rodière est VP & directeur général general manager western & south Europe de TheFork. © TheFork

Damien Rodière. Nous leur fournissons un logiciel dans lequel un restaurateur peut se constituer une base de données client. Pour chaque client, il peut collecter diverses informations : des données basiques comme le nom, mais aussi des informations permettant de personnaliser l'expérience, comme les allergies ou les habitudes de consommation. Les avis clients sont également importants. Après le repas, nous invitons le client à déposer un avis, et le restaurateur peut capitaliser sur ces retours pour comprendre et améliorer l'expérience.

"Notre outil fonctionne donc comme un CRM avec une dimension prédictive"

Notre solution, TheFork Manager, permet au restaurateur d'agréger toutes ses réservations, qu'elles proviennent de clients directs ou de canaux affiliés. Notre outil de revenue management lui permet d'analyser finement ses réservations : délais de réservation, origine de la clientèle, proportion de nouveaux clients et de clients fidélisés. Nous fournissons un tableau de bord qui permet de suivre l'évolution de l'activité et d'en tirer des insights : quel est mon taux d'occupation ? Ai-je une marge de progression pour attirer plus de clients ? Que puis-je faire pour y parvenir ? Le restaurateur peut ensuite mesurer son retour sur investissement : combien de clients ont bénéficié d'une offre promotionnelle ? Combien de nouveaux clients ai-je acquis ? Quel revenu additionnel ai-je généré ?

Notre outil fonctionne donc comme un CRM avec une dimension prédictive, capable de projeter l'évolution de l'activité dans les semaines à venir en tenant compte de la saisonnalité et des événements qui impactent fortement la restauration.

Vous évoquez l'utilisation de l'IA et du machine learning. Concrètement, quels types de cas d'usage vous développez aujourd'hui pour vos clients, que ce soit sur la prévision des pics d'activité, la gestion du no-show ou d'autres enjeux opérationnels ?

Nous utilisons l'IA et le machine learning pour plusieurs cas d'usage, notamment la gestion des no-shows. Nous surveillons si le client s'est présenté ou s'il a annulé sa réservation. L'enjeu est de limiter au maximum ces no-shows. Pour cela, nous avons développé un score de fiabilité basé sur l'historique des dizaines, voire centaines de millions de réservations effectuées via TheFork. Nous avons identifié des critères et des patterns qui permettent de déterminer si une réservation présente un risque ou non.

Quand nous identifions un risque, nous alertons le restaurateur. Parmi les critères corrélés aux no-shows, on trouve notamment le délai de réservation : plus la réservation est prise en avance, plus le risque de no-show est élevé. L'historique du client est également déterminant, particulièrement s'il a déjà fait des no-shows par le passé. Nous avons mis en place un système de machine learning qui apprend en continu et fait évoluer ce scoring pour aider le restaurateur à anticiper les risques et à prendre des actions préventives. Ces actions peuvent consister à reconfirmer automatiquement les réservations à risque par SMS ou email, ou à appeler directement les clients pour les réservations les plus critiques.

Sur la partie B2C, on observe une montée en puissance des expériences agentiques, par exemple pour la réservation de restaurants. Est-ce un domaine sur lequel vous souhaitez vous positionner ?

Il n'y a pas encore beaucoup d'agents aujourd'hui pour la réservation de restaurants. Pour l"heure, nous avons développé notre propre IA, accessible directement dans notre application via un petit bouton dédié. L'idée est de simplifier la recherche. Nous savons que dans 80% des cas, les gens cherchent des recommandations auprès de leurs amis avant d'aller au restaurant.

Depuis un mois et demi, nous avons lancé une IA qui permet à n'importe quel utilisateur de formuler sa demande soit oralement, soit par écrit en langage naturel. À partir de là, nous émettons des recommandations personnalisées. Si vous précisez votre recherche, par exemple en demandant une pizza napolitaine, nous analysons toutes les photos, les avis, les menus et toutes les informations que nous collectons pour vous présenter les options les plus adaptées à votre demande.

Comment luttez-vous contre la problématique des faux avis, d'autant plus que l'IA générative est désormais utilisée pour en produire ? Quels systèmes ou garanties avez-vous mis en place pour y répondre ?

Nous possédons un élément de différenciation majeur par rapport aux autres plateformes, tous les avis publiés sur l'application TheFork proviennent exclusivement de clients qui ont réservé et honoré leur réservation. Il est impossible de déposer un avis sur un restaurant si vous n'y avez pas effectivement mangé. Notre système fonctionne grâce à une traçabilité de bout en bout entre le client et le restaurateur. Etant intermédiaire, nous fournissons un logiciel au restaurateur qui nous confirme lorsque vous vous présentez au restaurant. A la fin de votre repas, après un délai d'environ trois heures, vous recevez un email ou une notification vous invitant à déposer un avis. Si vous ne vous êtes pas présenté, le restaurateur nous le signale et vous ne pouvez alors pas laisser d'avis.

"Contrairement à Google, où n'importe qui peut laisser un avis sur n'importe quel restaurant sans y avoir jamais mangé, notre modèle a été conçu pour rendre cela impossible"

Cette traçabilité complète garantit que tous les avis sur TheFork sont certifiés à la fois par TheFork et par le restaurateur. Notre partenariat avec les établissements crée un lien de confiance, car ce sont eux qui nous confirment la présence des clients. Contrairement à Google, où n'importe qui peut laisser un avis sur n'importe quel restaurant sans y avoir jamais mangé, notre modèle a été conçu pour rendre cela impossible.

Avec la volatilité du secteur, entre no-show, saisonnalité et autres aléas, le restaurant du futur sera-t-il data-driven ?

Aujourd'hui, la question n'est même plus de savoir si le restaurant du futur sera data-driven, c'est qu'il doit l'être. En réalité, le restaurateur a toujours été "data-driven" d'une certaine manière. Avant, il avait un cahier de réservation papier où il notait les informations de ses clients. Quand un client se présentait, il l'accueillait par son nom. Il exploitait parfois ce qu'on appelait un "cardex", où il consignait des informations sur les clients, leurs habitudes de consommation, leurs allergies, etc. - pour personnaliser leur expérience lors de leurs prochaines visites. La différence aujourd'hui, c'est qu'il dispose d'une technologie qui lui permet d'aller encore plus loin pour mieux comprendre sa clientèle et pérenniser son activité. Il peut analyser les comportements, identifier quel type de client il attire, quand et comment. Ces données lui permettent de développer son activité, fidéliser sa clientèle et lutter contre certains problèmes comme les no-shows.

Beaucoup de restaurants sont déjà data-driven. En France, pour un restaurant qui utilise nos outils, deux tiers des réservations sont faites en ligne. Ce n'est même pas seulement le restaurateur qui est data-driven, c'est le consommateur qui est devenu plus digital. Le restaurant se doit donc d'être digital. S'il ne l'est pas aujourd'hui, il est mort. Ce n'est même plus un besoin, c'est devenu une commodité. Aujourd'hui, tout se fait sur mobile. Il ne nous viendrait plus à l'esprit de réserver un billet de train par téléphone. De la même façon, de moins en moins de personnes appellent pour réserver un restaurant. Cela ne disparaîtra pas complètement, mais les comportements sont de plus en plus digitaux.