Bruxelles : les dossiers brûlants qui attendent Henna Virkkunen, nouveau gendarme de la tech
Après l'éviction de Thierry Breton, Ursula von der Leyen a choisi la finlandaise Henna Virkkunen pour le poste ô combien capital de gendarme de la tech à Bruxelles. Cette ancienne députée européenne hérite en outre d'une partie du portefeuille de Margrethe Vestager, qui s'est notamment fait connaître pour son intransigeance vis-à-vis des Gafam en tant que commissaire européenne à la concurrence. L'antitrust n'échoit toutefois pas à Henna Virkkunen, étant intégré à un autre portefeuille.
À son poste remanié de commissaire européenne à la souveraineté technologique, la sécurité et la démocratie, Henna Virkkunen aura la lourde responsabilité de faire appliquer trois gros règlements européens récemment entrés en vigueur : l'IA Act, qui régule l'intelligence artificielle ; le Digital Services Act (DSA), qui lutte contre la diffusion de contenus illicites par les grandes plateformes du numérique ; et enfin le Digital Markets Act, qui vise à adapter le droit de la concurrence au marché digital, et désigne particulièrement six "contrôleurs d'accès" à encadrer : Apple, Meta, ByteDance, Amazon, Microsoft et Google.
Vers un abandon de la stratégie Breton au profit d'une approche plus ouverte ?
Après des études de journalisme et une première expérience dans la communication, Henna Virkkunen a entamé une carrière politique, d'abord dans son pays, où elle occupe successivement les postes de membre du Parlement, de ministre de l'Éducation, puis de l'Administration Publique, et enfin des Transports. Elle est ensuite élue au Parlement européen en 2014. Sa carrière politique se joue alors principalement dans les couloirs de Bruxelles, où elle gagne progressivement en expérience et crédibilité en planchant sur des dossiers majeurs.
Elle sert ainsi au sein de la Commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie, travaille sur plusieurs dossiers en lien avec la cybersécurité et le programme de recherche Horizon, avant de contribuer à l'élaboration du DSA.
En lui confiant un poste clef au sein de l'exécutif bruxellois, Ursula von der Leyen marque sa volonté de combiner souveraineté européenne, innovation et attractivité, selon Konstantinos Komaitis, expert de la régulation de l'internet et résident principal à l'Atlantic Council, un laboratoire d'idées américain spécialisé dans les relations internationales.
"Le choix d'Henna Virkkunen semble indiquer une nouvelle approche européenne de la souveraineté, qui rompt avec la stratégie des cinq dernières années consistant à sélectionner des champions européens capables de rivaliser avec les géants numériques américains. Une stratégie notamment promue par Thierry Breton, qui a largement échoué. La souveraineté demeure malgré tout un angle clef de la politique européenne : le mot figure après tout dans l'intitulé du poste d'Henna Virkkunen. Mais il y a désormais à mon sens une volonté de conduire celle-ci d'une manière qui favorise l'innovation, offre davantage de prédictibilité et fasse de l'UE un lieu qui attire les capitaux et les idées venues de l'étranger, plutôt que de les repousser, tout en promouvant également l'innovation au sein du bloc", affirme l'expert.
Selon lui, c'est tout autant la longue expérience d'Henna Virkkunen dans le traitement de dossiers numériques à l'échelle européenne que sa nationalité finlandaise qui permettent d'envisager les futures orientations de sa politique. "La Finlande fait partie du groupe D9, qui rassemble des pays de l'UE favorables à l'innovation et à l'ouverture plutôt qu'au protectionnisme." L'économie finlandaise est par ailleurs à la pointe de l'adoption sur des technologies de pointe comme le cloud, l'IA et le big data.
Bras de fer avec les géants américains en perspective
La nouvelle commissaire européenne aura en tout cas fort à faire à son nouveau poste. Elle sera en effet chargée de piloter l'avancée de programmes technologiques européens de pointe comme le Chips Act, un plan d'investissement de 43 milliards d'euros pour renforcer la souveraineté européenne sur les semi-conducteurs, notamment en relocalisant une partie de la production partie vers l'Asie du Sud-Est. Mais aussi la création "d'usines d'IA", des supercalculateurs qui visent à permettre aux entreprises et chercheurs européens d'entraîner leurs algorithmes d'IA générative. Très gourmands en puissant informatique, donc coûteux, ceux-ci sont en effet aujourd'hui principalement la chasse gardée des géants du numérique américains et chinois, une menace pour la souveraineté technologique du Vieux continent.
Henna Virkkunen aura également la délicate mission de faire appliquer les nouveaux règlements européens sur le numérique, particulièrement vis-à-vis des géants de la tech américain, dont plusieurs ont déjà été épinglés au cours des derniers mois pour non-respect de ces textes. En juin dernier, la Commission européenne a ainsi lancé deux procédures contre Apple, accusé d'enfreindre le DMA de deux manières différentes. Des enquêtes contre Meta et Google ont également été ouvertes.
L'enquête contre X (anciennement Twitter), accusé de promouvoir la désinformation, dans le cadre du DSA, s'annonce, elle aussi, explosive. En août dernier, Thierry Breton a adressé une lettre à Elon Musk, le patron de X, l'incitant à se plier aux règles du DSA, à laquelle l'entrepreneur, qui juge le texte européen dangereux pour la liberté d'expression, a répondu par une insulte publiée sur son compte X. Nul doute que l'expérience accumulée par Henna Virkkunen dans la rédaction de ce texte lui sera précieuse pour gérer cet épineux dossier hautement médiatique.