La guerre commerciale de Trump, une menace pour la (fragile) réindustrialisation européenne
Fraîchement réélu, Trump a promis une guerre commerciale tous azimuts et un recours massif aux énergies fossiles pour abaisser les coûts de l'énergie dans son pays. Autant de mauvaises nouvelles pour l'Europe.
Dès son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump a promis de mettre en place une vague de hausses de tarifs douaniers afin de corriger le déficit commercial des Etats-Unis, favoriser la production locale et financer des baisses d'impôt massives. Si la Chine, à qui le président fraîchement réélu promet des tarifs de 60%, est la cible principale de sa verve protectionniste, l'Union européenne (UE) ne sera pas épargnée.
Lors de son tout dernier discours de campagne, Donald Trump a ainsi directement ciblé le Vieux Continent : "Nos adversaires profitent de nous, mais nos alliés aussi. Prenez l'Union européenne, ils ont l'air gentils et pacifiques, mais ils sont très durs en affaires. Ils n'achètent pas nos voitures, ni nos produits agricoles. Et ils vendent des millions de véhicules aux Etats-Unis. Ils vont devoir payer le prix fort." Un prix fort qui pourrait prendre la forme de hausse des tarifs douaniers de 10%, que Trump a promis d'appliquer sur tous les produits importés. L'an passé, les Etats-Unis accusaient un déficit commercial de 208,2 milliards de dollars avec l'UE. Un déséquilibre que Donald Trump entend bien corriger.
L'UE veut se réindustrialiser
La guerre commerciale promise par Donald Trump fait peser une nouvelle menace sur la tentative de réindustrialisation européenne, déjà mise à mal par la flambée des coûts de l'énergie consécutive à la guerre en Ukraine et l'Inflation Reduction Act (IRA), une loi votée par Joe Biden pour favoriser l'essor de l'industrie verte aux Etats-Unis, à coup de généreux crédits d'impôts.
Toute idée de politique industrielle commune a longtemps été taboue dans l'UE, acquise aux sacro-saints principes du libre-marché et de la concurrence pure et parfaite. La pandémie a toutefois suscité une importante remise en question sur le Vieux Continent, alors que nombre de pays se trouvaient incapables de s'approvisionner en masques et en médicaments, ayant délocalisé leur production à l'étranger. La hausse des tensions avec la Chine et la Russie a achevé de convaincre le bloc qu'il était urgent de reconstituer une souveraineté industrielle.
L'idée de réindustrialiser n'est désormais plus taboue. Plus tôt dans l'année, Ursula von der Leyen, lors d'un voyage à Anvers, s'est engagée auprès de plus de 70 industriels à "continuer à faire croître l'industrie européenne". Surtout, plusieurs lois volontaristes ont été passées. Le Net Zero Industrial Act, voté en avril dernier et entré en vigueur en juin, vise notamment à simplifier et accélérer les procédures de délivrance de permis pour les nouveaux sites de production de technologies propres, ainsi qu'à rendre les projets stratégiques sur les énergies renouvelables éligibles à des aides d'Etat substantielles, chose encore impensable il y a quelques années.
Entré en vigueur en septembre 2023, le CHIPS Act européen vise quant à lui à soutenir l'industrie des puces électroniques sur le Vieux Continent. Il doit permettre aux Européens d'injecter 42 milliards d'euros d'investissements publics dans l'industrie des semi-conducteurs sur leur sol. Des dépenses qui iront à la fois dans des investissements directs dans la recherche et des subventions pour faciliter l'implantation d'usines en Europe.
Les premiers succès de cette politique volontariste ont déjà commencé à se faire ressentir. La production industrielle de l'UE était ainsi fin 2023 en hausse de 3% par rapport à 2019. La réindustrialisation tourne notamment à plein régime dans certains pays d'Europe central et du Nord : +22% en Pologne, +41% au Danemark, +13% en Slovénie et +7% en Suède.
Même en France, où la tendance est plus modeste, elle demeure bien présente. Les chiffres de l'Insee font état de 82 900 emplois nets créés entre la fin 2019 et la fin 2023.
Si ce chiffre peut sembler faible, rappelons que depuis les années 1970, on assistait au contraire chaque année à une diminution nette de l'emploi industriel dans le pays. La création nette de sites industriels suit depuis quelques années la même tendance : "Avec 300 créations nettes d'usines depuis 2017, la réindustrialisation du pays est visible dans les chiffres", rapportait ainsi en janvier la Direction générale des Entreprises.
L'UE prise en tenaille entre la guerre en Ukraine et l'IRA
Mais depuis 2022, cette politique volontariste se heurte à deux obstacles. Le premier, et le plus important, est la hausse spectaculaire des coûts de l'énergie consécutive à la guerre en Ukraine et à l'adoption de sanctions contre le gaz et le pétrole russe. S'ils sont depuis redescendus, ils demeurent très supérieurs à ce qu'ils étaient avant l'invasion déclenchée par la Russie. Ils constituent un handicap compétitif majeur pour les industriels européens. L'électricité est en moyenne désormais trois fois plus chère sur le Vieux Continent qu'aux Etats-Unis.
L'autre menace provient de l'IRA, signé par Joe Biden en août 2022. En offrant des crédits d'impôts très avantageux aux entreprises souhaitant investir dans les énergies propres aux Etats-Unis (qu'il s'agisse de construire une usine de batteries ou de véhicules électriques, de produire des panneaux solaires ou des éoliennes), il constitue une incitation supplémentaire aux industriels qui souhaiteraient investir aux Etats-Unis plutôt qu'en Europe.
"Biden entend réduire la dépendance des Etats-Unis aux importations, même au détriment de proches partenaires comme l'Allemagne", vitupérait ainsi en 2022 la Frankfurter Allgemeine Zeitung, un prestigieux quotidien conservateur allemand, après que Tesla a annoncé geler son deuxième projet à Grünheide, une importante usine de batteries près de Berlin, pour investir davantage aux Etats-Unis et profiter de l'IRA.
En octobre, le groupe automobile allemand Volkswagen a pour sa part annoncé la fermeture de trois usines et la suppression de milliers d'emplois en Allemagne, après avoir plus tôt dans l'année entamé la construction d'une usine de véhicules électriques aux Etats-Unis.
La menace Trump
Un danger que Donald Trump promet de rendre encore plus tangible, en taxant les produits européens importés, mais aussi en récompensant encore davantage les acteurs décidant de produire aux Etats-Unis. Lors de sa campagne, il a ainsi promis que les constructeurs automobiles étrangers choisissant de produire aux Etats-Unis bénéficieraient de procédures administratives accélérées, ainsi que d'avantages fiscaux, en plus des prix de l'énergie attractifs du marché américain. "Je veux que les constructeurs automobiles allemands deviennent américains", a-t-il clamé en septembre lors d'un rallye en Géorgie, un Etat du Sud des Etats-Unis.
Durant son premier mandat, Donald Trump avait d'ailleurs brandi la menace des tarifs pour inciter les entreprises européennes à accroître leurs investissements dans son pays. Les constructeurs automobiles allemands avaient ainsi négocié l'abandon de tarifs de 35 % sur leurs véhicules vendus aux Etats-Unis contre une vague d'investissements sur le sol américain, dont la production de véhicules électriques par Volkswagen dans le Tennessee, ainsi que des investissements respectifs de Mercedes et BMW en Alabama et en Caroline du Sud. A l'heure où l'industrie automobile allemande se trouve déjà en difficulté et contrainte de rationaliser ses dépenses, des investissements supplémentaires aux Etats-Unis pour apaiser Trump se feraient certainement au détriment de leurs activités en Europe.
Enfin, Donald Trump a aussi promis d'augmenter drastiquement la production de pétrole et de gaz de schiste aux Etats-Unis. Une volonté que confirment ses premières nominations à des postes clefs : le nouveau président a ainsi notamment choisi Chris Wright, qui a fait carrière dans l'industrie du pétrole et la fracturation hydraulique, pour diriger le département de l'Energie. Cette politique pourrait encore abaisser les coûts de l'énergie et renforcer l'attractivité des Etats-Unis, menaçant encore un peu plus la réindustrialisation européenne.