Dédollarisation : les menaces à double tranchant de Donald Trump contre les BRICS
Le président américain a menacé les pays qui chercheraient une alternative à la domination du dollar d'une hausse drastique des tarifs douaniers.
L'une des grandes convictions de Donald Trump est que son pays se fait arnaquer par tout le monde sur la scène internationale. Les Etats-Unis seraient trop généreux, trop débonnaires, et les autres pays en tireraient profit. Une situation à laquelle le président fraîchement réélu entend remédier en tapant du poing sur la table et en mettant à profit ses supposés talents d'homme d'affaires et de négociateur.
Après les pays européens, ce sont les BRICS qu'il a menacés dans une publication sur Truth Social, un réseau social sans aucune censure créé en 2021 par Donald Trump comme alternative à Twitter, après son bannissement de la plateforme suite à l'attaque sur le Capitole. Trump y affirme qu'il imposera des tarifs de 100% aux membres des BRICS qui chercheraient à lancer une monnaie commune en guise d'alternative au dollar.
Pourquoi les BRICS veulent une alternative au billet vert
La réaction de Trump ne fait pas suite à une quelconque actualité récente, mais plutôt à un projet de long terme esquissé par les BRICS, un groupe de pays émergents formé en 2009 et composé du Brésil, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud, ainsi que, depuis le premier janvier 2024, de l'Ethiopie, de l'Egypte, de l'Iran et des Emirats arabes unis. Soucieux de construire un ordre mondial qui reflète davantage les nouveaux rapports de force et propose un rééquilibrage face à ce qu'ils considèrent comme un tropisme pro-occidental, les BRICS évoquent régulièrement la nécessité de trouver une alternative au dollar comme monnaie internationale.
L'idée de contester la suprématie du dollar ne date pas d'hier, et remonte même à bien avant la constitution des BRICS. En 1965, Valéry Giscard d'Estaing, alors ministre des Finances de Charles de Gaulle, évoquait déjà le "privilège exorbitant" que la position dominante du dollar accordait aux Etats-Unis. L'un des objectifs du lancement de la monnaie unique européenne était par ailleurs de proposer une monnaie internationale susceptible de servir d'alternative au dollar.
Mais ce sont les tensions récentes entre l'Occident et la Russie qui ont donné un sérieux coup de fouet à la volonté de trouver une alternative au dollar. Suite à l'invasion de l'Ukraine et l'adoption de sanctions américaines et européennes contre le pétrole russe, qui prévoient notamment l'imposition d'un prix plafond à soixante dollars le baril, une grosse partie du négoce international de pétrole se fait dans une monnaie autre que le dollar (condition nécessaire pour échapper aux sanctions). Ainsi, la Russie vend par exemple du pétrole à l'Inde (souvent au-dessus du prix plafond) et se fait rémunérer en roupies plutôt qu'en dollar. Mais ce système de pair-à-pair pose également problèmes, puisque la Russie se retrouve ensuite avec une vaste quantité de roupies sur les bras. D'où l'idée de proposer une monnaie commune qui serve de véritable alternative au dollar.
En mars 2023, l'Arabie saoudite a affirmé pour la première fois qu'elle était prête à échanger dans une autre monnaie que le dollar, et en octobre dernier, au sommet des BRICS, Vladimir Poutine a appelé de ses vœux un nouveau système de paiement international, affirmant que "le dollar était utilisé comme une arme" par les Etats-Unis.
Pourquoi la position du dollar reste difficilement contestable
Mais le projet des BRICs demeure pour l'instant un vœu pieux. Le dollar dispose en effet de nombreux atouts qui rendent très difficile son remplacement par une monnaie alternative, à commencer par la position ultra-dominante qu'il occupe dans les échanges internationaux. Selon l'Atlantic Council, un laboratoire d'idées basé à Washington, le dollar compte à lui seul pour 58% des réserves de change internationales, contre 20% pour l'euro et seulement 2% pour le yuan chinois, alors même que la Chine cherche depuis plusieurs années à pousser sa monnaie comme alternative au dollar.
La taille de l'économie américaine, ainsi que la confiance que les investisseurs internationaux placent dans la stabilité des institutions du pays et dans sa capacité à refinancer sa dette, sont d'autres atouts en la faveur du billet vert. Les BRICS, malgré leur poids croissant dans l'économie mondiale, sont loin de pouvoir se targuer de susciter une telle confiance.
Donald Trump risque de donner corps à une menace imaginaire
Etant donné qu'il n'existe actuellement aucun rival sérieux au roi dollar, certains économistes américains ont accusé Donald Trump de donner par ses menaces au projet des BRICS davantage de substance qu'il n'en a en réalité.
"En constatant que Trump voit une véritable menace dans une potentielle monnaie commune des BRICS, certains pays vont nécessairement en conclure que le comportement instable de Trump est une raison suffisante pour chercher des alternatives", a par exemple déclaré Brad Setser, un ancien membre du Département du Trésor, désormais au Council on Foreign Relations, un laboratoire d'idées spécialisé dans les relations internationales.
La Chine, de son côté, a accusé les Etats-Unis d'utiliser le dollar comme une arme géopolitique. Or, l'idée de voir dans le dollar un instrument employé par Washington pour sanctionner les pays hostiles plutôt qu'un simple moyen d'échange pratique à utiliser est la seule raison qui pourrait pousser un nombre croissant de pays à chercher une alternative au dollar. En semblant donner raison aux accusations de Pékin et Moscou, Donald Trump joue donc un jeu dangereux susceptible de nuire à long terme à la suprématie du dollar.
Les menaces formulées par Trump contre les BRICS semblent en tout cas indiquer qu'il n'a pas l'intention de chercher à abaisser la valeur du billet vert durant son prochain mandat. Le président fraîchement réélu a, par le passé, déclaré que le dollar était trop haut, handicapant les exportations américaines et les tentatives de réindustrialisation. Une idée également défendue par son vice-président, JD Vance. Or, le statut du dollar comme monnaie dominante accroit la demande de billets verts, donc sa valeur. La détermination de Donald Trump à défendre la position du dollar face aux BRICS semble donc indiquer qu'il compte défendre un dollar fort, ou tout du moins que la dépréciation du billet vert n'est plus sa priorité.