Le joker de la Chine contre Trump : cibler les big tech américains
Ni aussi exubérant que son homologue américain, ni aussi présent dans la sphère médiatique, Xi Jinping n'en fourbit pas moins ses armes, s'apprêtant à rendre coup pour coup alors que la guerre commerciale entre les deux puissances prend une nouvelle ampleur. La semaine dernière, après que Donald Trump a annoncé la mise en place de tarifs douaniers de 10 %, une enquête antimonopole a notamment été ouverte contre Google, moins de deux mois après l'ouverture d'une enquête du même genre contre Nvidia, fleuron américain de la conception de puces d'IA. Le gouvernement chinois préparerait également des mesures contre Apple.
Lors de son premier mandat, Trump n'aurait sans doute pas sourcillé. Le président était alors en guerre ouverte contre la Silicon Valley, qui avait massivement soutenu son opposante, Hillary Clinton, et ne se privait pas de critiquer publiquement la politique de Donald Trump, en particulier sa volonté de restreindre l'immigration et sa posture agressive sur le plan international.
Mais les choses ont bien changé. Amorcé durant la campagne, le ralliement d'une partie des élites de la Silicon Valley s'est accéléré depuis l'élection de Donald Trump, les grands patrons des big tech se précipitant pour payer leurs hommages au nouveau président et financer sa cérémonie d'inauguration. "Lors de mon premier mandat, tout le monde cherchait à me combattre. Cette fois-ci, ils veulent tous être mes amis", s'en est même amusé Donald Trump lors d'une visite de Masayoshi Son, le patron du conglomérat japonais Softbank, début janvier.
Le président américain peut effectivement se réjouir d'une telle révolution copernicienne. Elle signifie qu'il est davantage en position de force dans son pays et a désormais la main sur l'une des industries les plus puissantes et influentes. Mais elle constitue aussi une opportunité pour les puissances étrangères qui souhaitent riposter à la guerre commerciale tous azimuts qu'il entend mener depuis sa prise de poste, comme il l'avait à maintes reprises promis durant la campagne.
La riposte chinoise aux tarifs de Trump
La Chine a pris bonne note, et s'efforce depuis la victoire de Trump de muscler son arsenal pour s'en prendre aux entreprises de la tech américaine opérant dans l'empire du Milieu. Ironiquement, elle s'inspire en cela des méthodes déjà testées et approuvées par le rival américain. En 2020, elle s'est dotée de sa propre "Entity list" : sur le modèle de celle des Etats-Unis, elle cible certaines entreprises américaines en empêchant les sociétés chinoises de faire des affaires avec elles.
Cette liste contient pour l'heure quelques grosses sociétés qui vendent des armes à Taïwan, comme Boeing Defense, Space & Security et Anduril Industries, ainsi que quelques entreprises tech comme Illumina, un acteur des biotech spécialisé dans le séquençage du génome, qui collabore notamment avec Nvidia sur l'application de l'IA à la santé. Aucun géant de la tech américain n'a toutefois pour l'heure été placé sur cette liste, ce qui suggère que Pékin y voie une arme de dissuasion visant à prévenir Washington qu'une escalade dans la guerre commerciale pourrait avoir de lourdes conséquences. L'ouverture d'un procès antimonopole contre Nvidia semble jouer le même rôle. Un procès contre Apple, actuellement passé au peigne fin par l'autorité chinoise de la concurrence pour sa commission de 30 % sur les achats effectués dans les applications, pourrait bien être imminent.
Si Google et Meta sont interdits en Chine, l'empire du Milieu est un marché crucial pour plusieurs géants de la tech américains. Apple y réalise 15% de son chiffre d'affaires et Tesla 36,7% de ses ventes. Du fait de son écosystème tech extrêmement dynamique, la Chine est également un marché porteur pour les entreprises américaines des semi-conducteurs. Qualcomm y fait près de la moitié de son chiffre d'affaires, grâce aux ventes de smartphone dans lesquels ses puces sont intégrées, et même une société comme Nvidia, empêchée par les sanctions américaines de vendre ses puces d'IA les plus avancées aux entreprises chinoises, doit une part non négligeable de ses revenus à l'empire du Milieu.
Une autre arme dont dispose la Chine pour faire pression sur la tech américaine est sa domination sur le raffinage des minerais précieux, nécessaires à l'industrie des nouvelles technologies. Suite à la nouvelle vague de tarifs de Donald Trump, la Chine a ainsi restreint l'exportation du tungstène (utilisé notamment dans la technologie militaire), le tellure (panneaux solaires), le molybdène (semi-conducteurs) et le ruthénium (microélectronique).
La stratégie chinoise pourrait bien s'avérer payante. Malgré sa rhétorique martiale vis-à-vis de la Chine, Trump s'est contenté de tarifs de 10% contre celle-ci, là où il voulait diriger des tarifs de 25% contre le Mexique et le Canada. Une relative pondération que beaucoup d'observateurs ont mis sur le compte du rapprochement de Trump avec Elon Musk, pour qui la Chine est un marché crucial et qui s'est exprimé par le passé contre l'application de tarifs douaniers sur les véhicules électriques chinois, voulue par Donald Trump.
Une carte à jouer pour l'UE ?
L'Union européenne, que Trump a également menacée de tarifs douaniers imminents, dispose donc, elle aussi, d'un moyen de pression en ciblant les alliés de Trump dans la Silicon Valley. C'est d'ailleurs ce à quoi se préparent les dirigeants européens, qui ont dans leur escarcelle un outil clef en main, sous la forme de l'instrument anti-coercition, justement conçu pour répliquer aux menaces économiques et restrictions commerciales des pays tiers, et que la Commission prévoit d'utiliser pour répliquer aux futurs tarifs de Trump.
Depuis l'élection de celui-ci, Mark Zuckerberg multiplie les tentatives de rapprochement avec Donald Trump, tout en dénonçant les amendes infligées à son entreprise par Bruxelles, dont celle, récente, de 840 millions d'euros pour entorses à la concurrence. Mark Zuckerberg (et il n'est sans doute pas le seul dans le monde de la tech) y voit un protectionnisme déguisé, et a appelé Trump à venir à la rescousse des géants de la tech américains. Une rhétorique récemment reprise par Joe Kaplan, le nouveau président des affaires internationales de Meta. Trump ayant récemment utilisé les tarifs douaniers comme outil pour obtenir des concessions de la part du Mexique, du Canada et de la Colombie, il est probable qu'il tente d'en faire de même sur le Vieux continent et promette des tarifs très élevés avant d'offrir de les rétracter si Bruxelles se montre moins sévère avec la Silicon Valley. Les tarifs pourraient également servir d'arme de négociation dans le cadre de la tentative de Trump de s'emparer du Groenland.
Entré en vigueur fin 2023, l'instrument anti-coercition permet à l'UE d'adopter rapidement des droits de douane, restrictions commerciales et limitations sur l'accès aux investissements ou marchés publics en réponse aux actions d'une puissance économique étrangère.
Reste à voir si l'UE saura réagir rapidement. L'usage de l'instrument anti-coercition doit en effet être approuvé par au moins 15 des 27 Etats-membres. En 2018, le bloc avait mis trois mois à répondre aux tarifs douaniers de Trump sur l'acier et l'aluminium. Le Canada et le Mexique, eux, ont répliqué aux droits de douane du président américain dans les heures qui ont suivi son annonce, avant qu'un compromis ne soit finalement trouvé. L'UE a pour autant également prouvé qu'elle savait réagir rapidement, par exemple dans le cadre des mesures de rétorsion adoptées rapidement contre la Russie suite à l'invasion de l'Ukraine.