Pour Trump, le Groenland est un enjeu militaire… et tech

Pour Trump, le Groenland est un enjeu militaire… et tech Le contrôle de l'île hyperboréale figure de longue date parmi les grands projets géostratégiques américains.

Avant même son investiture, Donald Trump a suscité la stupeur au sein de nombreuses chancelleries européennes en affichant sa volonté d'acquérir le Groenland, surtout lorsque, dans une conférence de presse, il n'a pas écarté l'option militaire pour arriver à ses fins.

L'objectif n'est ici pas de discuter du bien-fondé des intentions du président américain, ni de ses chances de succès, mais plutôt de montrer qu'il ne s'agit pas d'une lubie apparue subitement dans le cerveau de Donald Trump, connu pour son imprévisibilité et ses sorties fantasques. C'est au contraire un projet que caressent les Etats-Unis de longue date, et qui répond à plusieurs de leurs inquiétudes géostratégiques pour le XXIe siècle.

Un projet longuement mûri

Ce n'est en réalité pas la première fois que Donald Trump exprime ses visées sur le Groenland. En 2019, lors de son premier mandat, le président américain avait déjà caressé l'idée, avant de partager un photomontage sur son compte Twitter montrant la Trump Tower plantée au milieu d'un village inuit, avec en commentaire "Je promets de ne pas faire ça au Groenland !". La sortie quelque peu surprenante du président américain avait causé un mini-incident diplomatique, la Première ministre danoise, Mette Frederiksen, ayant déclaré que le Groenland n'était pas à vendre, suite à quoi Donald Trump, froissé, avait annulé une visite prévue au Danemark.

Trump n'est toutefois pas le premier homme d'Etat américain à s'intéresser à l'île hyperboréale. Les convoitises américaines en la matière remontent même à très loin, jusqu'à l'année 1867. Fraîchement sortis de la Guerre de sécession, les Etats-Unis viennent alors d'agrandir leur territoire en rachetant l'Alaska à la Russie. William H. Seward, le secrétaire d'Etat du président Andrew Johnson, qui a succédé à Abraham Lincoln après son assassinat, vient de s'occuper de négocier le rachat, et lorgne désormais le Groenland et l'Islande. Il commande un rapport dans cette optique, qui vante les abondantes ressources naturelles des deux territoires. Des négociations pour les racheter au Danemark (l'Islande n'était pas encore indépendante) s'ensuivent, mais finissent par capoter du fait du manque de soutien dont bénéficie alors le président Johnson au Congrès.  

Un peu moins d'un siècle plus tard, au sortir d'une nouvelle guerre, le débat est relancé outre-Atlantique. En 1946, le sénateur républicain Owen Brewster, qui prévoit déjà le refroidissement accéléré des relations entre les Etats-Unis et leur allié soviétique, défend le rachat de l'île, y voyant une "nécessité militaire". Une idée alors également défendue par William C. Trimble, un membre du Département d'Etat qui voit dans le Groenland un excellent territoire stratégique pour lancer des opérations militaires depuis l'Arctique. Le pays y a d'ailleurs déployé des bases depuis la seconde guerre mondiale, alors que le Danemark était occupé par l'Allemagne nazie, bases qui n'ont jamais été retirées. Une offre de rachat pour 100 millions de dollars est soumise à Gustav Rasmussen, ministre danois des Affaires étrangères, qui la rejette. Cependant, suite à l'entrée du pays nordique dans l'Otan, en 1949, le Danemark et les Etats-Unis signent un traité entérinant la présence des bases militaires américaines sur l'île et confiant à l'armée des Etats-Unis un rôle clef dans la défense du territoire.

Un axe géostratégique majeur

Car la raison pour laquelle les Etats-Unis lorgnent ce vaste territoire à 85% recouvert de glace tient d'abord à la stratégie militaire. Il permet notamment à l'Otan de surveiller de près les sous-marins russes qui quittent leur bastion arctique pour gagner l'Atlantique nord. Les Américains y opèrent également un radar permettant la détection d'éventuels missiles russes en approche. James Stavridis, un ancien amiral de l'US navy, décrit ainsi le Groenland comme "un lien vital entre les défenses aériennes et maritimes de l'Otan et des Etats-Unis."

Cette importance géostratégique devrait encore s'accroître avec le réchauffement de l'Arctique et la fonte des glaces, qui va ouvrir une nouvelle route longeant la côte orientale du Groenland. La souveraineté du Danemark sur le Groenland lui permet également de clamer le Pôle nord comme sien (ce que contestent la Russie et le Canada). Alors que la Russie et la Chine renforcent leur collaboration et leur présence militaire dans l'Arctique, il est logique que les Etats-Unis cherchent à solidifier à leur tour leur position dans cette zone hautement stratégique.

Comme le résument Lawrence Muir et Drew Horne, deux vétérans de la première administration Trump, dans une tribune cosignée en faveur de l'acquisition du Groenland, "alors que la Russie et la Chine étendent leur présence dans l'Arctique, soulevant des inquiétudes en matière militaire et d'accès aux ressources, un Groenland indépendant, allié aux Etats-Unis, formerait un rempart stratégique contre ces incursions."

Une terre riche en minerais

C'est la deuxième grande raison derrière les vues des Etats-Unis sur le Groenland : son sol est riche en minerais précieux, nécessaires à la production des nouvelles technologies, des smartphones et ordinateurs aux puces informatiques, en passant par les véhicules électriques, les énergies renouvelables et l'industrie 4.0. Or, les Etats-Unis sont pour l'heure très largement dépendants de la Chine dans ce domaine, offrant d'importantes possibilités de riposte à l'empire du Milieu, dont les Etats-Unis essaient actuellement de freiner l'avancée sur les semi-conducteurs de pointe et auquel ils mènent une guerre commerciale depuis la première présidence Trump, qui devrait encore s'intensifier. Si les Etats-Unis cherchent désormais à miner ses ressources sur leur territoire, avec par exemple la réouverture de la mine de Mountain Pass en Californie, et déploient une diplomatie visant à sécuriser d'autres gisements ailleurs dans le monde, notamment en Afrique, le Groenland constitue un eldorado sur lequel ils peuvent difficilement faire l'impasse.

"La Chine domine le marché mondial des minerais précieux, dont elle contrôle 60% de la production et 85% du raffinage, en plus d'exercer un quasi-monopole sur certaines denrées comme le cobalt (principalement miné au Congo, mais par des entreprises chinoises, ndlr) et certaines terres rares. Le Groenland possède d'importants gisements non exploités de terres rares, d'uranium et autres ressources stratégiques. Elles pourraient considérablement réduire la dépendance des Etats-Unis à des pays hostiles", écrivent ainsi Lawrence Muir et Drew Horne, qui bénéficient tous deux d'une expérience dans l'industrie des minerais rares et précieux.

Un seul gisement situé près de la commune de Narsaq, dans le sud du pays, compterait 10 millions de tonnes de minerais, parmi lesquels de l'or, du fer, du cuivre, du plomb et du zinc, ainsi que du néodyme et du dysprosium, deux terres rares respectivement utilisées dans les appareils électronique grand public comme les enceintes et les écouteurs, ainsi que les infrastructures de stockage informatique, les moteurs d'éolienne et des voitures électriques.

La Chine s'efforce depuis quelques années de conclure des accords avec le Groenland pour en exploiter les ressources afin de renforcer sa domination sur la chaîne de valeur mondiale des minerais précieux. Une avancée face à laquelle les Etats-Unis ne comptent pas rester passifs, comme le montre la récente rhétorique de Trump.