Comment le Royaume-Uni mise sur l'informatique quantique
En cette fin juin, deux semaines après la London Tech Week 2025, le gouvernement britannique continue de dérouler sa stratégie sur les technologies de rupture. C'est cette fois-ci sur le quantique, l'un des pôles d'excellence de l'écosystème tech britannique, que le gouvernement de Keir Starmer a choisi de concentrer ses annonces. 500 millions de livres sterling seront investis dans cette technologie au cours des quatre années à venir, et 170 millions supplémentaires passé cette date.
Les fonds seront particulièrement dirigés vers la construction de machines quantiques et la mise en place d'environnements de tests dans des institutions publiques et privées. Cette branche de l'informatique requiert en effet pour l'heure des ordinateurs très complexes et coûteux à construire, qui chiffrent à plusieurs millions, voire plusieurs dizaines de millions de dollars. Ils doivent par exemple opérer à une température proche du zéro absolu, utiliser des atomes neutres piégés par des lasers, ou encore exploiter des photons. L'an passé, le pionnier français Pasqal a livré sa première machine à 100 qubits au CEA, où elle est hébergée dans son Très Grand Centre de calcul, un environnement spécialement conçu pour abriter des supercalculateurs.
Un plan ambitieux, mais plus modeste qu'ailleurs
Le gouvernement britannique ne part pas de zéro. L'an passé, 100 millions ont déjà été alloués pour la création de cinq centres quantiques régionaux, ainsi que pour l'ouverture d'un National Quantum Computing Centre (NQCC) dans l'Oxfordshire, conçu comme un centre national pour la R&D sur le quantique. Si les 500 millions de livres sterling (environ 586 millions d'euros) représentent une somme non négligeable, celle-ci est inférieure à ce que les gouvernements français et allemands, les deux grands pays européens du quantique avec le Royaume-Uni, ont récemment investi dans cette technologie.
La France a débloqué un milliard d'euros à travers France 2030 entre 2021 et 2025, et l'Allemagne un milliard également sur cette même période. Le plan britannique est également beaucoup plus modeste que ce qu'envisageait le prédécesseur de Keir Starmer, le Premier ministre conservateur Rishi Sunak. En 2023, celui-ci prévoyait d'investir 2,4 milliards de livres sterling sur dix ans. Il est toutefois très probable que la réalité budgétaire l'aurait rattrapé et ramené à un niveau de dépenses plus raisonnable. Le gouvernement britannique est en effet en difficulté pour équilibrer son budget, alors qu'il cherche à rogner sur les dépenses tout en accroissant son arsenal militaire et en aidant les plus défavorisés.
Un écosystème dynamique…
L'écosystème quantique britannique peut compter sur l'un des meilleurs pôles de recherche au monde, avec près de 500 doctorants planchant actuellement sur cette technologie. L'héritage d'un système universitaire doté de plusieurs pôles d'excellence sur l'informatique quantique, dont les universités d'Oxford, Cambridge, Glasgow, Durham, ainsi que l'Imperial College London.
Le Royaume-Uni se démarque en outre par un écosystème privé dynamique : il est second derrière les États-Unis en termes de nombre de start-ups (11 % des jeunes pousses quantiques mondiales, avec des pépites comme Oxford Quantum Circuits, Riverlane et Universal Quantum) et d'attractivité pour les investisseurs (12% des investissements mondiaux). Il bénéficie également de sa proximité avec l'écosystème américain. La pépite Quantinuum est ainsi née d'une association entre le géant américain Honeywell et la jeune pousse britannique Cambridge Quantum. Le géant américain du quantique IonQ a en outre récemment racheté la jeune pousse britannique Oxford Ionics pour plus d'un milliard de dollars.
… mais fragile
Le secteur connaît cependant également son lot de problèmes. D'une part, le Brexit a rendu plus complexe la collaboration entre les chercheurs britanniques et leurs homologues du Vieux continent suite à la sortie du Royaume-Uni des programmes européens. Or, ces coopérations sont cruciales pour faire avancer la recherche, particulièrement dans un domaine comme le quantique où le pool d'experts disponibles est limité.
Un problème partiellement réparé avec le retour du Royaume-Uni dans le programme Horizon l'an passé et la signature d'accords bilatéraux, comme avec l'Allemagne en mars 2024. Dans le cadre de celui-ci, les principaux instituts scientifiques des deux pays, dont la société Max-Planck pour le développement des sciences, côté allemand, et la Royal Society britannique, sont amenés à collaborer pour identifier les opportunités de R&D les plus pertinentes et déployer des programmes de recherche communs.
Une autre faiblesse de l'écosystème quantique britannique est sa forte dépendance à l'investissement public, là où les jeunes pousses américaines comme Quantinuum, IonQ et PsiQuantum sont parvenues à lever des centaines de millions de dollars auprès des big tech, VCs et institutions financières. Cette faiblesse britannique (qui touche toutefois aussi les autres écosystèmes européens) s'est encore accentuée récemment avec la crise des VCs, qui ne concerne pas que le quantique. Elle peut conduire au rachat de jeunes pousses britanniques par des sociétés américaines, comme l'illustre l'exemple d'Oxford Ionics, ce qui est bon pour les fondateurs et signe de la qualité de cet écosystème, mais problématique pour la souveraineté britannique sur la technologie quantique.
Le gouvernement travailliste a récemment réagi en augmentant le budget de la British Business Bank, qui investit directement dans les start-up. La chancelière de l'échiquier Rachel Reeves porte également un projet visant à fusionner 86 fonds de pension existants pour composer quelques "mégafonds" capables d'investir des sommes plus importantes, notamment dans les jeunes pousses les plus matures, qui ont des besoins en trésorerie plus élevés.
La France compte, elle aussi, un écosystème quantique puissant et dynamique, avec des pépites comme Pasqal, Quandela, ou encore Alice & Bob. Le 10 juin dernier, Station F accueillait la 4ᵉ édition de la conférence France Quantum, lors de laquelle la France, les Pays-Bas et l'Allemagne ont annoncé une alliance trilatérale à 30 millions d'euros. En mars, Pasqal a également conclu un partenariat avec Nvidia qui va lui permettre de connecter ses machines à Cuda-Q, service open source du géant des puces d'IA dédié au calcul hybride quantique-classique, et donc d'accélérer le rythme de ses recherches.