A peine signé, l'accord commercial transatlantique craque déjà de toutes parts

A peine signé, l'accord commercial transatlantique craque déjà de toutes parts L'encre a tout juste fini de sécher sur l'accord de libre-échange américano-européen, mais les deux parties en remettent déjà en cause les principes.

Ursula von der Leyen a beau présenter l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis comme une victoire pour l'Europe, tous les Européens ne partagent pas son optimisme. Des voix dissonantes se sont fait entendre dès la signature de l'accord, et ne se sont pas calmées depuis, bien au contraire.

La grogne vient actuellement des entreprises européennes frappées de plein fouet par les droits de douane de Trump sur les produits contenant de l'acier et de l'aluminium. L'accord prévoit en effet un maintien de ceux-ci à 50%, là où les droits de douane sur la plupart des produits européens entrant aux Etats-Unis ont été ramenés à 15 %.

Les industriels allemands se rebiffent

Pire : les droits de douane s'appliquent à un plus grand nombre de produits que ce qui était prévu au départ. En effet, les droits de douane sur l'acier et l'aluminium ne devaient s'appliquer qu'auxdits métaux ainsi qu'aux composants simples produits à partir de ceux-ci (par exemple, les clous). Mais ils concernent dans les faits une gamme de produits bien plus large : moteurs, machines et engins de construction. Cet aspect flou de l'accord, qui laissait planer de nombreuses incertitudes quant au nombre de produits susceptibles d'être concernés par les droits de douane, a d'ailleurs été critiqué dès sa signature par certaines voix dissonantes.

Les droits de douane sur l'acier ont toujours revêtu un caractère hautement symbolique pour Donald Trump, qui y voit une manière de redynamiser l'industrie de la Rust Belt, dont les électeurs avaient permis sa première élection en 2016. Ils lui permettent de se poser en champion des travailleurs américains, contre un commerce international qu'il estime biaisé en leur défaveur.

Mais ces droits de douane plus larges que prévu font désormais leur lot de mécontents dans l'UE, à commencer au sein de l'Allemagne, la première puissance industrielle du Vieux Continent. "Environ 30 % des machines exportées depuis l'Europe vers les Etats-Unis font désormais face à des droits de douane de 50% sur leurs composants métalliques", écrit Bertram Kawlath, président de la Verband Deutscher Maschinen- und Anlagenbau (association industrielle allemande de la mécanique industrielle, ou VDMA), un lobby industriel allemand, dans une lettre adressée à Ursula von der Leyen fin août. Le secteur fait selon lui face à une "crise existentielle". Le VMDA souhaite que la Commission obtienne des droits de douane maximum de 15% sur les machines, sur le modèle de ce qui a été obtenu pour les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques.

Le groupe automobile Volkswagen, peu satisfait des droits de douane de 15% qui s'appliquent aux voitures exportées aux Etats-Unis depuis l'Europe suite à l'accord, cherche de son côté à conduire un accord à part avec Donald Trump. Misant sur le penchant qu'éprouve le président américain pour la signature de contrats, le groupe ambitionne d'obtenir une baisse, voire une exemption des droits de douane contre la promesse d'investissements massifs aux Etats-Unis. "Nous n'apprécions pas l'accord asymétrique entre les Etats-Unis et l'Union européenne", a récemment confié Oliver Blume, le patron de l'entreprise, à Bloomberg TV. "Nous préférons compter sur notre propre offre."

Le meilleur accord possible ?

Les industriels allemands ne sont pas les seuls à remettre en cause les conditions de l'accord. Plusieurs députés européens de tous les bords politiques sont également montés au créneau pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme une capitulation face à Donald Trump, qui ne fait pas grand-chose pour résoudre l'incertitude commerciale planant sur les relations transatlantiques depuis la réélection du président américain. Ces critiques ont été émises par des élus de gauche, comme Kathleen van Brempt, élue belge siégeant au sein de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen. Mais aussi de droite, comme Rihards Kols, du groupe Conservateurs et réformistes européens, qui a dénoncé un accord "vague" et "manquant de force exécutoire".  

L'accord "n'offre ni sécurité, ni prédictibilité", s'est pour sa part insurgé Bernd Lange, un homme politique allemand qui préside la Commission du commerce international au Parlement européen. Il demande une révision de l'accord pour obtenir la suppression des droits de douane sur un certain nombre de produits exportés aux Etats-Unis.

Ce sentiment est largement partagé par le public européen : un récent sondage mené auprès des cinq plus grands pays de l'Union montre ainsi que 77% des répondants pensent que l'accord profitera aux Etats-Unis plutôt qu'à l'Europe. Ils n'étaient que 2% à penser le contraire…

Face à ces critiques, plusieurs membres de la Commission sont montés au créneau pour défendre l'accord. Maroš Šefčovič, le commissaire européen au Commerce, tout en concédant que l'accord n'était pas parfait, a affirmé que "nul n'avait pu obtenir un meilleur accord que l'UE".

"L'accord est un choix délibéré, celui de la stabilité et de la prédictibilité, plutôt que de l'escalade et de la confrontation", a pour sa part déclaré Ursula von der Leyen dans une tribune reprise par plusieurs journaux.

Trump s'en prend aux règlements européens sur la tech

Cette stabilité a malheureusement été remise en cause par Donald Trump lui-même, qui, moins de 24h après la publication de la tribune en question, a menacé l'UE de nouveaux droits de douane suite à l'amende infligée à Google, qualifiant les régulations européennes sur la tech de "discriminatoires" à l'encontre des entreprises américaines.

Comble de l'ironie, la possibilité de garder intacts les divers règlements sur le numérique de Bruxelles, comme le DMA, le DSA et l'IA Act, a été brandie en étendard par les défenseurs de l'accord commercial suite à sa signature.

Ces règlements se trouvent de longue date dans le collimateur de l'administration Trump 2.0, qui a reçu le soutien de nombreuses figures de la Silicon Valley. Plusieurs patrons des big tech ont directement demandé à Donald Trump d'intervenir en leur faveur pour leur permettre d'échapper aux lois européennes. Le Congrès américain a prévu cette semaine une audience sur le sujet. Thierry Breton s'est pour sa part fendu d'une tribune aux accents churchilliens dans le Guardian. Il y critique les attaques de Trump contre les règlements européens et affirme qu'en choisissant la capitulation pour obtenir la stabilité, l'Europe risque finalement d'obtenir et l'humiliation et la guerre commerciale. A peine signé, l'accord semble d'ores et déjà bien fragile.