Julien Groues (AWS) "Les chantiers d'IA générative sur AWS France se focalisent sur la recherche de compétitivité et le salarié augmenté"

Le directeur France d'Amazon Web Services revient sur sa stratégie et les grandes tendances des projets de ses clients.

JDN. Où en est l'adoption des services cloud d'IA générative d'Amazon Web Services (AWS) en France ?

Julien Groues est vice-président France et Europe du Sud d'Amazon Web Services. © AWS

Julien Groues. Entre 2022 et 2023, on observait une hausse du taux d'adoption de l'IA générative de plus de 35% sur le cloud d'Amazon en France. En continuant à ce rythme, AWS contribuera à hauteur de 99 milliards d'euros à la valeur de l'économie française d'ici 2030. L'opportunité est immense. En 2024, on observe par ailleurs une accélération du mouvement. Nous sommes passés d'une année 2023 avec beaucoup de preuves de concept à une année 2024 avec un grand nombre de projets déployés. La montée en puissance de ces mises en production a été fulgurante, notamment à partir de l'été. Lors de notre événement AWS GenAI Loft (événement organisé par Amazon à Station F fin 2024, ndlr), plusieurs de nos clients comme Arkema, Bureau Veritas ou Imerys ont témoigné sur leur utilisation de la GenAI.

De manière plus globale, on observe en parallèle une montée en force des déploiements en matière d'IA générative au sein des start-up françaises. C'est une spécificité en Europe. Sur la dernière décennie, 42% des investissements européens en capital risque dans l'IA ont été réalisés en France. Ce qui permet à notre pays de voir émerger de nombreuses start-up. Je pense notamment à Hugging Face ou Mistral. Mais aussi aux jeunes pousses françaises hébergées par l'AWS Generative AI Accelerator (que sont FlexAI, Gladia et Phagos, ndlr).

Quels sont les cas d'usage mis en oeuvre par vos clients en matière d'IA générative ?

Arkema a par exemple accéléré son processus de R&D en utilisant nos services d'IA générative pour analyser les brevets qu'ils ont déjà déposés et booster la recherche de nouvelles molécules. Via notre service de GenAI Amazon Berock, Bureau Veritas déploie des agents d'IA pour aider les certificateurs dans leur process et ainsi optimiser leur productivité. Dans la même logique, Imerys déploie une IA générative sous forme d'agents dans le cadre du support à ses employés. Ces retours d'expérience prouvent que la logique que nous avons adoptée en faveur d'une approche ouverte intégrant un grand nombre de modèles permet de se différencier en termes de valeur ajoutée et de tendre vers le déploiement d'agents qui permettent un retour sur investissement rapide.

Pour résumer, nous avons observé sur 2023 une vague en faveur des chatbots, notamment autour du support et du service client, que ce soit sur des périmètres internes ou externes d'ailleurs. Un mouvement qui s'est depuis poursuivi. En 2024 se sont ajoutés à cette première vague des projets d'IA générative visant à améliorer les processus. Ces chantiers se focalisent sur la recherche de compétitivité et le salarié augmenté. En ce début d'année, on constate désormais un recours à l'IA générative pour résoudre des problèmes qui ne pouvaient pas être solutionnés sans elle. Je pense notamment à Accor qui s'adosse à la GenAI pour révolutionner le mode de réservation de voyage sur Internet en mutant vers une interface conversationnelle.

Est-il possible d'entraîner un large language model sur la région France d'AWS ?

C'est le cas. Notre service Bedrock centré sur l'IA générative a été ouvert sur cette région à l'occasion du dernier AWS Summit en France en avril 2024. Nous avons par ailleurs des clients qui entraînent et infèrent leurs modèles sur cette infrastructure. De plus en plus, nos clients réentraînent également des modèles existants pour les adapter à leur propre cas d'usage. Ils partent de modèles génériques, puis ils les déploient au sein de leur environnement cloud avant de les réentraîner. Partant de là, l'ensemble de la pile applicative, du modèle jusqu'aux données utilisées, demeure isolée sur un tenant sécurisé qui leur est propre. Ces actifs restent leur propriété et ne sont pas utilisés par AWS.

"Nous avons formé 200 000 personnes aux technologies du cloud entre 2017 et 2024, et nous prévoyons d'en former 600 000 supplémentaires d'ici 2030"

Le processus d'entraînement ou de réentraînement sur les données des entreprises fait toute la différence. Sans lui, les chatbots demeurent génériques et sans valeur ajoutée. Ce processus est donc absolument clé. Je pense notamment à Iktos qui est intégré à l'AWS Generative AI Accelerator. Cette start-up a recours à l'IA générative pour développer de nouvelles molécules pour combattre les infections bactériennes dans les cas où les antibiotiques ne sont plus efficaces. Dans la même logique, Thagos développe des médicaments. On peut penser aussi au retour d'expérience d'Arkema que j'ai déjà évoqué. Idem pour Accor.

Quelle est la maturité des entreprises françaises en matière d'IA générative ?

Les entreprises françaises ont clairement pris le tournant de l'IA générative. Celles qui avaient déjà amorcé une stratégie data et la mise en place de data lake ont été plus rapides. Celles qui ne s'étaient pas encore engagées dans cette voie ont pris depuis le pli, ce qui a engendré de nombreux projets orientés données sur 2024.

Néanmoins, il existe encore un décalage chez certaines PME et ETI. Il s'explique par un manque de temps ou un déficit en matière de compétences qualifiées. Nous travaillons actuellement avec nos partenaires pour les aider à rattraper ce retard. Pour accompagner le mouvement, nous avons formé 200 000 personnes aux technologies du cloud entre 2017 et 2024, et nous prévoyons d'en former 600 000 supplémentaires d'ici 2030. Du côté des grands groupes en revanche, l'adoption de l'IA générative est absolument massive.

Au-delà de l'IA générative, quelles sont les tendances que vous observez chez vos clients français sur le front du cloud en ce début d'année ?

Nous nous situons dans la continuité des dernières années. Les entreprises françaises continuent de migrer massivement leurs applications vers AWS en fermant leurs data centers internes. Et ce pour trois raisons. D'abord, elles sont en quête d'une infrastructure solide et sécurisée. Ensuite, elles se tournent vers nous pour optimiser leurs coûts. Enfin, elles recherchent une solution numérique durable leur permettant de réduire leurs émissions de CO2. Après la phase de migration observée depuis quelques années, nous observons de plus en plus de chantiers de modernisation d'application visant à tirer tous les bénéfices du cloud.

Est-ce que l'incertitude liée au contexte géo-politique a un impact sur les budgets des CIO en matière de cloud ?

Il existe certes une incertitude. On ne peut pas le nier. Mais nous ne constatons pas d'impact aujourd'hui sur les stratégies digitales et cloud de nos clients. Au contraire, le mouvement, comme je l'ai déjà dit, s'accélère. Les entreprises poursuivent leur chantier de modernisation, et les start-up continuent d'innover. Tous ces acteurs souhaitent bénéficier d'une informatique plus flexible en vue de s'adapter aux nouveaux contextes. Partant de là, l'offre cloud que nous leur proposons est une solution toute trouvée.

Dans ce cadre, nous continuons à investir massivement en France. Sur la période 2017-2032, nous avons annoncé un enveloppe 6 milliards d'euros pour notre pays. Un montant auquel s'ajoute 1,2 milliard d'euros supplémentaires annoncé l'année dernière dans le cadre de nos initiatives de formation. Dans l'IA générative, les projets vont par ailleurs poursuivre leur montée en puissance. Le nombre de modèles disponibles va s'accroître. Dans le même temps, ils vont devenir de plus en plus spécifiques. Ce qui permettra in fine de mieux maîtriser le rapport performance/prix.

Julien Groues est vice-président France et Europe du Sud d'Amazon Web Services depuis juillet 2023. Précédemment, il occupait la fonction de general manager France d'AWS. Auparavant, il a été vice-président des ventes EMEA puis vice-président groupe des ventes globales Utilities chez Oracle. Après Oracle, il a été vice-président EMEA de la start-up experte en intelligence artificielle C3.ai.