Le temps est venu d'industrialiser le développement logiciel
Aujourd'hui, l'écrasante majorité des innovations produits est pilotée par les logiciels. Ils régissent les modes de production, de distribution et d'achat, aussi bien en ligne que dans l'aspect physique.
Il arrive fréquemment que les constructeurs automobiles informent leurs clients d’un défaut technique nécessitant le remplacement d’une pièce. Un processus rendu possible grâce à l’usage de leur logiciel, qui permet aux industriels de savoir précisément quelles pièces ont été installées sur quels modèles pour chaque client concerné.
Ce niveau de traçabilité soulève une question majeure dans le domaine du logiciel : pourquoi est-il encore si difficile d’identifier et de signaler les failles ou dysfonctionnement d’un composant logiciel, quelle qu’en soit l’origine?
Pour comprendre ce qui distingue la production logicielle de l’industrie manufacturière, il faut remonter à la Révolution industrielle. Celle-ci a vu les artisans remplacés par des usines dotées d’outils motorisés, puis par des chaînes de montage et des procédés standardisés permettant de tracer chaque étape de fabrication. Puis, à la fin du XXe siècle, une nouvelle révolution a émergé : l’informatisation. Le code est devenu un moteur central de la production et de la distribution comme le résume Marc Andreessen.
Aujourd’hui, l’écrasante majorité des innovations produits est pilotée par les logiciels. Ils régissent les modes de production, de distribution et d’achat, aussi bien en ligne que dans l’aspect physique. Le code est désormais aussi structurant que le capital, le travail, la terre ou la connaissance, qui constituent les piliers classiques de la production. Il est même possible de considérer que l’industrie moderne ne pourrait tout simplement plus fonctionner sans logiciel.
Le paradoxe du logiciel
Malgré son rôle central et les transformations profondes qu’il a engendrées au cours des 50 dernières années, le logiciel reste, dans bien des cas, développé de manière artisanale. Les équipes de développement, comme les artisans d’autrefois, travaillent avec des outils hétérogènes et selon des niveaux de compétence très variés.
La chaîne de production logicielle s’apparente davantage à un enchevêtrement d’interdépendances, souvent fragiles et inefficaces. Quant aux outils utilisés ? Il faut imaginer des briques Lego, chacune avec un système d’attache différent et incompatible. Ce désordre génère stress, surcoûts et confusion.
Les retards sont également une conséquence directe. Un seul goulot d’étranglement, comme l’absence d’un développeur ou la lenteur d’une phase de test, peut bloquer tout un projet. Entre 2016 et 2019, une grande banque en a fait l’expérience lors de sa transformation numérique. Ses anciens systèmes exigeaient des cycles de tests de sécurité de 3 à 4 mois à chaque mise à jour, alors que ses concurrents déployaient de nouvelles versions régulièrement. Résultat : une perte considérable de parts de marché sur le segment numérique.
Ces délais s’ajoutent à des inefficacités déjà bien ancrées. En effet, le Rapport Global DevSecOps 2024 de GitLab révèle que 63% des développeurs utilisent six outils ou plus, montrant un réel besoin de rationalisation des chaînes d’outils.
Les conséquences financières de cette désorganisation peuvent être majeures. Un constructeur automobile a, par exemple, commercialisé un nouveau modèle dont le logiciel n’était pas finalisé. Si les premiers acheteurs ont bénéficié de remises, l’entreprise a dû rappeler les véhicules pour y installer une mise à jour logiciel, une opération qui lui a coûté plusieurs milliards.
L’heure est venue d’industrialiser la production logicielle
Heureusement, l’intelligence artificielle et les approches DevSecOps sont en train de bouleverser les méthodes de production logicielle. Il ne s’agit pas de remplacer les équipes de développement, mais d’industrialiser leur travail pour le rendre plus efficace et plus fiable — à l’image de la Révolution industrielle qui a optimisé la fabrication des biens matériels.
De la même manière que les industriels ont standardisé leurs outils, méthodes et chaînes de production, le moment est venu d’harmoniser les outils, processus et pratiques du développement logiciel grâce à l’approche DevSecOps.
De nombreux procédés, perfectionnés au fil d’un siècle dans le secteur industriel, peuvent aujourd’hui être appliqués au développement logiciel moderne : élimination des inefficacités, réduction des dépendances, optimisation des workflows, et amélioration tangible de la productivité.
Cette approche offre également une visibilité complète sur les composants logiciels utilisés, renforçant ainsi la sécurité de l’ensemble de la chaîne logicielle. A l’image des fabricants capables de retracer chaque pièce d’un produit, les développeurs de demain seront en mesure de garantir la traçabilité de chaque ligne de code.
Les leçons tirées de l’industrialisation passée peuvent ainsi éclairer cette nouvelle ère de l’industrialisation logicielle.
Évolution ou révolution ?
Si beaucoup de dirigeants parlent de disruption, les révolutions sont rares précisément parce qu’elles bouleversent l’ordre établi. La plupart des entreprises préfèrent une évolution progressive, qui permet d’accompagner les équipes et de limiter les risques. Mais ce procédé est aussi plus lent.
Les entreprises les plus performantes aujourd’hui ne se contentent pas d’évoluer : elles repensent en profondeur leurs pratiques de développement logiciel et en récoltent les bénéfices à grande vitesse.
De la même façon que la Révolution industrielle a transformé la production physique, les années 2020 marquent un changement radical dans la production logicielle. Ainsi, les entreprises qui n’adoptent pas cette industrialisation courent le risque de devenir obsolètes d’ici la fin de la décennie. Les enjeux sont donc considérables.
Cette transition se prépare dès aujourd’hui : automatisation sans relâche, rationalisation des processus, et organisation rigoureuse de la production logicielle selon les principes d’une chaîne de montage moderne.
Adopter cette révolution logicielle devient donc la seule voie possible pour garantir la pérennité de toute entreprise.